Dans une enquête sur les fours électriques en provenance de Turquie, le ministère de l'Industrie et du commerce a conclu à l'existence de dumping. Le département de Ryad Mezzour envisage un droit antidumping sur les producteurs turcs. Décryptage... Dans une nouvelle enquête, le ministère de l'Industrie et du Commerce confirme l'existence de pratiques de dumping pour les fours électriques (mobiles, non encastrables, d'une capacité n'excédant pas 70 litres) en provenance de Turquie. Dans les détails, les marges de dumping, calculées et exprimées en pourcentage du prix à l'exportation, sont de l'ordre de 34,05% pour le producteur-exportateur ITIMAT et de 71,43% pour les producteurs-exportateurs des autres marques de fours électriques turcs, lit-on dans l'avis de la Division de Défense Commerciale. Le ministère envisage, après l'avis de la Commission de Surveillance des Importations réunie le 22 avril dernier, l'application d'un droit antidumping provisoire. Ce droit sera de 34,05% pour le producteur-exportateur ITIMAT « ayant coopéré à l'enquête et fourni des réponses complètes ». Pour les autres producteurs-exportateurs turcs, en revanche, ce droit passe à 62,07%. Eléments clés de l'enquête L'examen et l'analyse des éléments du dommage ont permis de dégager que le volume des importations des fours électriques originaires de la Turquie a connu une augmentation notable durant la période examinée, aussi bien en absolu que par rapport à la production et à la consommation nationale. Lire aussi | Défense commerciale. Les dessous de la riposte marocaine Cette analyse a montré aussi que les importations ont eu un effet notable sur les prix des fours électriques produits localement, matérialisé par l'existence d'une sous-cotation maintenue durant toute la période examinée. De même, les données de la branche de la production nationale mettent en évidence un dommage matérialisé par la dégradation de ses indicateurs économiques et financiers au cours de la période examinée. Pour l'économiste Driss Assaoui, « le fait est que le Maroc ne peut empêcher les industriels turcs d'avoir accès au marché marocain ». « La Turquie aujourd'hui a une parfaite maîtrise des règles du commerce international. Et elle utilise la politique de l'ouverture pour se positionner sur le marché marocain. » Et de poursuivre : « cette décision du ministère de l'Industrie de pratiquer ce qu'on pourrait appeler un droit antidumping à l'égard de la Turquie et de l'Egypte est justifiée. Ce sont des pays qui profitent de politiques monétaires très flexibles à leur niveau et continuent donc d'envoyer des produits, surtout dans l'agro-alimentaire, très intéressants pour le consommateur marocain mais qui, en termes de concurrence, constituent un dumping. Il fallait impérativement réagir. » Rappelons qu'en ce début de l'année 2024, les exportations turques vers le Maroc poursuivent leur courbe haussière. Durant le premier trimestre, leur valeur a atteint 733 millions de dollars, faisant de Rabat le second client africain d'Ankara. Au cours des 20 dernières années, les échanges commerciaux entre les deux pays sont passés de 700 millions de dollars à 4,4 milliards, avec une balance commerciale très déficitaire pour le Maroc. BIM, le cheval de Troie Depuis l'arrivée de BIM au Maroc en 2009, les acteurs de la grande distribution sont sur le qui-vive. Son ascension fulgurante – 390 magasins à fin 2017 à 604 magasins à ce jour – et sans oublier les pratiques de dumping, poussent à se poser des questions sur la concurrence déloyale que subissent les opérateurs locaux. Aujourd'hui, avec sa stratégie agressive dans le commerce de proximité, BIM est le cheval de Troie de l'industrie turque au Maroc. Servant de point de vente clé des produits turcs, BIM ne se prive pas d'utiliser le levier du dumping pour écouler ses produits. Lire aussi | Le gouvernement impose des mesures antidumping sur les fours électriques turcs À Derb Omar, par exemple, lorsque nous sommes allés à la rencontre de certains vendeurs, Hussein, grossiste, nous confie qu'il y a quelques années, il vendait 80% de produits chinois et 20% de produits marocains. Aujourd'hui, c'est quasiment 40% de produits chinois, 50% de produits turcs et moins de 10% de produits marocains. Un autre, sous le couvert de l'anonymat, nous précise que certains se ravitaillent chez BIM ou directement en Turquie. Aujourd'hui, il est probable que BIM soit devenu la porte d'entrée des industriels turcs au Maroc. Notons qu'en 2019, l'ex-ministre de l'Industrie, Moulay Hafid Elalamy, avait tiré la sonnette d'alarme, appelant à une révision totale de l'Accord de Libre-Echange (ALE), scellé en 2006 entre les deux pays. En 2020, le Maroc a trouvé un accord avec les Turcs, obtenant une liste négative de produits sur lesquels les droits de douane seront rétablis à hauteur de 90% du droit commun. Il s'agit de plus de 1 200 produits locaux impactés par les importations de Turquie et regroupés en 630 positions tarifaires. La liste porte sur des produits relevant des secteurs du textile et habillement, du cuir, de la métallurgie, de l'électricité, du bois et de l'automobile. Mais malgré ces mesures, la balance penche toujours en faveur de l'économie turque.