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ON NE VOUS DIT PAS TOUT A LA BOURSE !
Publié dans Challenge le 24 - 05 - 2008

«Dire qu'il n'y a pas d'anomalie sur le marché boursier serait un mensonge. Mais nous n'avons pas le pire des marchés. Le nôtre est quand même sain dans l'ensemble». Voilà en substance des déclarations d'officiels qui méritent des éclaircissements. Les acteurs du marché, plus particulièrement les traders, voient souvent défiler sous leur nez des opérations ambiguës, pas nettes. D'une part, des informations diffusées ça et là permettent aux uns et aux autres de spéculer sur des valeurs. Alors qu'elles ne sont pas encore officielles. Elles utilisent d'autres canaux. En d'autres termes, cela veut dire qu'il n'y a pas d'équité en termes d'informations sur le marché puisque les « plus » initiés disposent d'informations importantes avant les autres. Ils peuvent faire baisser ou monter les cours pour réaliser les profits qu'ils souhaitent. D'autre part, certains patrons se hasardent à «manipuler» leurs comptes pour maquiller subtilement des vérités qui dérangent. La communication de la vie des entreprises, et notamment financière, n'est finalement pas une garantie en soi pour permettre aux boursicoteurs, les plus petits notamment, de profiter des opportunités qui se présentent. Le marché est biaisé. Les traders ne l'ignorent pas mais font avec. L'autorité de contrôle, bien qu'elle ait les outils nécessaires pour détecter les anomalies, ne parvient pas ou n'affiche pas constamment une réelle volonté d'aller jusqu'au bout. Des experts-comptables, soucieux de ne pas perdre leur mandat, se laissent « berner » par des patrons d'entreprises. Finalement, la plupart y trouvent leur compte, sauf celui qui mise quelques sous et qui ignore tout de ces rouages. Comment en est-on arrivé là ? Enquête au cœur de l'information.
Faut-il prendre pour argent comptant toute information – financière notamment- diffusée par une entreprise ? Les déclarations de responsables ayant requis l'anonymat sont édifiantes à ce sujet. Des entreprises chercheraient à masquer certaines informations souvent cruciales pour leur activité. Cela peut déjà apparaître dans la mise en page des résultats publiés qui sont illisibles. Ceci est valable pour l'aspect forme mais aussi pour l'aspect fond. Les choses sont parfois alarmantes. « En scrutant les comptes publiés cette année par la CGI, le tableau des stocks n'apparaît nulle part. D'autant plus que pour une entreprise qui fait de l'immobilier son activité principale, cet élément est déterminant pour suivre son évolution et évaluer ses perspectives de développement », souligne un expert-comptable préférant garder l'anonymat. Marché oblige. Quand l'information n'est pas tout bonnement occultée, elle subit des «transformations» dès l'amont. C'est ainsi qu'un directeur financier au sein d'une entreprise cotée témoigne. «Il arrive que notre patron nous donne des directives pour afficher un certain niveau de performance. A nous les financiers de nous débrouiller pour arranger les comptes et exaucer son vœu. Nous pouvons gonfler les charges et réduire les produits pour ne pas payer trop d'impôts. Nous pouvons aussi maquiller certains postes. Par exemple, les primes que nous distribuons annuellement ne sont pas enregistrées sur la fiche de paie. Le personnel les reçoit via des virements séparés de ceux des salaires. Cela nous permet de noyer les montants en question dans d'autres charges. De cette manière, nous exonérons le patron de sa part patronale. Autre exemple : dans le poste des investissements immobiliers, nous ne déclarons pas la valeur réelle des biens étant donné que, nous aussi, nous sommes tenus de payer une partie au noir». Cette gymnastique des chiffres devrait être normalement relevée par les commissaires aux comptes, censés passer au peigne fin les comptes de l'entreprise. Mais les responsables financiers ont depuis longtemps affûté leurs armes et c'est sans fausse pudeur qu'ils dévoilent «leur génie». «Nous sommes en mesure de leur soumettre des pièces justifiant les erreurs qu'ils ont pu déceler», confie le directeur financier. Ces déclarations sont d'une extrême gravité mais pas dénuées de tout fondement. En sondant des experts-comptables, il s'avère que, malheureusement, ces actes existent bel et bien. À l'évidence, ils ne sont pas généralisés. Mais ils se pratiquent dans les règles de l'art. Au risque de voir son mandat rompu, un expert-comptable pourrait fermer les yeux sur certaines incohérences tout en s'assurant bien sûr qu'il ne risque pas sa peau en certifiant des comptes trop « trafiqués ».
Ce genre de pratique est puni par la loi. «Les articles de la loi 17-95 sur les sociétés anonymes et 446 du code pénal prévoient des sanctions importantes à l'égard du commissaire aux comptes, défaillant en matière de communication d'informations mensongères sur la situation de la société ou la non-révélation de faits lui apparaissant délictueux dont il aura eu connaissance à l'occasion de l'exercice de ses fonctions», explique Faïçal Mekouar, expert-comptable. Le cas de GSI est encore présent dans les esprits. Le dossier a été traduit devant la justice et aucune action n'a encore été entreprise. Pour se « dédouaner», des experts-comptables cherchent parfois à montrer des manquements ou des incohérences en émettant des réserves. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Les réserves ne sont pas faites pour se racheter. Elles font partie de l'activité même de l'expert-comptable. «Lorsque nous terminons notre rapport, nos remarques sont portées à l'attention des organes de gestion pour leur permettre de corriger les erreurs ou les désaccords éventuels sur les états financiers avant de les soumettre à l'assemblée. Les réserves éventuelles validées avec lesdits organes sont portées à l'attention des actionnaires et bien entendu publiées», souligne Mekouar.
Il est possible que les mêmes réserves soient reportées d'une année à une autre sur les états de gestion. Et pourtant, les entreprises ne semblent pas vraiment s'en inquiéter. Le gendarme de la bourse ne semble pas non plus au fait de ces reports.
Le mensonge est punissable, le délit d'initié aussi
Il y a un élément encore plus grave que l'information mensongère, c'est l'information vraie mais qui n'est exploitée que par une frange de personnes « privilégiées ». C'est ce que l'on appelle dans le jargon le « délit d'initié». Il faut croire qu'autour de la communication de la vie d'une entreprise, il y a du business qui se fait. Le constat est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de sociétés cotées. Selon les témoignages d'analystes et de patrons de sociétés gestionnaires requérant l'anonymat, des informations importantes circulent sur le marché avant même qu'elles ne soient publiées. Ce sont des rumeurs qui s'avèrent souvent vraies. «Parfois, des personnes s'adressent à nous pour nous annoncer une information que l'on retrouve une semaine plus tard, à la virgule près, inscrite dans un communiqué», assure un trader. Ces informations, en fait, seraient « vendues » discrètement entre confrères. La contrepartie n'est pas financière. Les deals peuvent voir le jour entre deux traders, opérant dans des sociétés différentes. Ces tractations reposent sur le système traditionnel de l'échange de bons procédés : l'un fait des faveurs à l'autre sur une opération donnée en termes d'achat ou de vente de titres. En contrepartie, l'autre demandera une faveur sur une opération à venir. «J'ai eu parfois vent d'opérations qui se passaient entre deux traders de deux sociétés différentes qui ont un lien de parenté. Par un simple coup de fil, ils usent d'informations importantes qu'ils ont obtenues d'une manière ou d'une autre pour agir sur une valeur. Ils se mettent d'accord pour que l'un achète et l'autre vende», témoigne un ex-trader. Mais les délits d'initié sont difficilement « prouvables » même si le CDVM, le gendarme de la bourse, dispose de ses propres outils pour surveiller les transactions boursières. «Nous le faisons en temps réel pendant la séance de bourse et en différé sur la base des données transmises par la Bourse de Casablanca. Nous disposons d'une batterie d'outils qui permettent de détecter tout comportement anormal», reconnaît Hicham Elalamy, directeur général adjoint du CDVM. Mais en fait, il est très rare que le gendarme de la bourse prouve ce genre d'acte. Un seul aurait été déféré devant la justice. Pour le CDVM, des enquêtes sont ouvertes pour traiter toute suspicion. « Ces comportements anormaux doivent impérativement être expliqués. Une enquête peut conduire à des auditions de personnes ou des perquisitions. Par exemple, lorsqu'il y a des variations importantes sur le cours d'un titre, alors qu'aucune information importante n'a été diffusée auprès du public, nous cherchons alors à savoir qui a acheté, qui a vendu », fait remarquer Elalamy. Vraisemblablement, cela s'arrête à ce niveau. Les traders, eux, ne conçoivent pas que le CDVM ne soit pas plus ferme. Eux qui disposent de moins d'outils pour détecter ces anomalies en recensent plusieurs sur le marché. Pourquoi pas le CDVM? C'est le cas par exemple d'une opération qui s'est produite fin 2006 sur une valeur qui, la même année, a été introduite et a connu un engouement sans précédent sur le marché. A la veille d'une opération stratégique, le cours avait explosé, dépassant les 2.000 DH. Le lendemain, le CDVM a décidé de suspendre le titre parce qu'il a eu vent de cette opération. Mais il était trop tard. Des personnes auraient profité de l'information avant son annonce officielle. Pour se justifier, la société en question avait publié un communiqué expliquant qu'elle était novice sur le marché boursier et qu'en substance, elle ignorait les procédures à suivre dans ce cas. Les analystes ont déploré l'attitude du CDVM qui n'a pas sévi. D'ailleurs, d'après nos informations, plusieurs d'entre eux se seraient plaints auprès du Conseil pour dénoncer des pratiques peu
«commodes» de confrères. Coïncidence ou pur hasard, le CDVM vient de décider de mettre à jour les règles appliquées par les analystes financiers. Un projet de circulaire a été mis en ligne pour débat. Pour la première fois, le CDVM introduit des définitions relatives à l'information privilégiée, l'information fausse ou trompeuse, les conflits d'intérêts … Il consacre également un article au traitement des informations privilégiées, à l'utilisation d'informations détenues par les autres départements de l'établissement employant l'analyste financier… Une manière de remettre un peu d'ordre dans le marché. « Il est ressorti des réunions tenues régulièrement avec les différentes professions le besoin de mieux encadrer l'activité d'analyse financière, surtout lorsqu'on sait que l'activité n'est pas encore réglementée. La circulaire en question fixera les principes déontologiques devant guider les analystes dans la production, le traitement et la diffusion de leurs analyses et recommandations», explique le directeur général adjoint du CDVM. L'appréciation de ce projet de circulaire est pour l'instant mitigée. Les articles en question seront-ils appliqués sur le terrain pour autant? Pour le CDVM, qui en est l'initiateur, la possibilité de contrôler une règle n'est pas une condition sine qua non pour son adoption. «Le contrôle et la sanction ne sont pas une fin en soi. Mais je vous rassure, le CDVM veillera à son application effective», convient Elalamy. Les analystes ne sont pas les seuls à être contraints de respecter des règles. Il faut savoir qu'au sein même du CDVM, l'équipe dirigeante et l'ensemble du staff sont tenus de respecter certaines dispositions. Pour lever toute ambiguïté sur l'utilisation d'informations stratégiques qu'ils peuvent détenir, chaque personne travaillant au sein du Conseil est tenue de déclarer toute opération boursière au contrôleur interne de l'institution. Ce dernier dispose d'une fiche actualisée de chacune des personnes, administrateurs compris. Il les « traque » pour qu'il n'y ait pas d'abus. Il a été également décidé de restreindre à 60 jours la durée minimale de détention d'une quelconque action. En d'autres termes, un cadre du CDVM ne peut vendre ses titres avant 3 mois. Si la valeur baisse durant ce temps, il n'aura qu'à en assumer les conséquences.
Pistes pour améliorer
la com' financière
Finalement, nous constatons donc qu'il existe encore des lacunes en matière de communication de manière générale et de communication financière de manière particulière de l'entreprise, surtout cotée. Comment peut-on l'améliorer? Le gendarme du marché ne s'est pas contenté des obligations légales en la matière. Il a également émis un certain nombre de recommandations qui visent à améliorer ce volet déterminant à plus d'un titre. Hicham Elalamy cite par exemple celles qui consistent en la publication des indicateurs trimestriels, en l'accompagnement de la publication des états financiers d'un communiqué explicatif des principales évolutions et en l'organisation des points de presse et des réunions avec des analystes. La démarche est louable, toutefois, reste à savoir si les résultats suivront. Ce n'est pas notre interlocuteur qui dirait le contraire.
« 34 sociétés ont organisé des réunions d'analystes en 2008 à l'occasion de la publication des comptes de 2007 », ne manque-t-il pas de préciser. Et d'ajouter : « globalement, les recommandations du CDVM sont de plus en suivies par les sociétés ». Le CDVM voudrait aller encore plus loin. Il estime qu'il existe un certain nombre d'éléments vers lesquels ils peuvent encore se diriger. Il est question de la communication hors bilan qui pourrait être plus explicite, de la communication sur les objectifs à moyen et long termes, sur les moyens de contrôle, sur les règles de bonne gouvernance et pourquoi pas sur la rémunération des dirigeants. En outre, Elalamy ajoute que des efforts restent à faire au niveau du contenu des rapports annuels et des profits warning (avertissements aux résultats).
D'autre part, Didier Guiguou, président d'Euroficom, conseil en communication financière en visite au Maroc à l'occasion d'un séminaire organisé par AOB Consulting portant sur «les nouveaux enjeux et perspectives de la communication financière», va encore plus loin. Il prône le dépassement du strict respect d'un calendrier précis qui repose sur les obligations légales de publication des comptes. « La communication financière ne se limite pas à ces dates légales. Les sociétés sont tenues de répondre durant toute l'année aux attentes et aux questions des investisseurs ». Guigou relève également qu'il est également important de développer «l'information extra-financière». Il s'agit en substance de la gouvernance, des actions réalisées en matière environnementale ou encore sociale et sociétale. Voilà qui est dit.
L'amélioration de la communication financière passe aussi par la mise en place d'une institution qui œuvre pour la défense des intérêts des actionnaires minoritaires. Une association des actionnaires minoritaires comme il en existe sous d'autres cieux, pour défendre leur droit à l'information, serait recommandable. Un projet embryonnaire avait commencé à germer au Maroc. Qu'est-il devenu ? Personne ne se hasarde à répondre. « Si par le passé, de nombreuses entreprises n'ouvraient qu'une partie minime de leur capital, aujourd'hui elles sont de plus en plus nombreuses à ouvrir au public entre 20 et 40% de leur capital », estime cet expert-comptable de la place. D'ailleurs, la réglementation marocaine édicte que des actionnaires représentant 10% du capital social sont autorisés à soulever des questions inhérentes au rapport de gestion, à mandater des professionnels pour diligenter une expertise. « Les experts-comptables produisent de la matière première comme le rapport de gestion qui peut servir de support aux souscripteurs», explique pour sa part Zakaria Fahim, qui opère également dans le commissariat aux comptes pour le compte du cabinet d'expertise Asmoun, membre du réseau BDO. La législation sur les sociétés anonymes est claire à ce sujet. Tout actionnaire disposant de 10% a le droit d'agir sur la gestion. De parole d'experts, cette situation ne s'est jamais posée au Maroc. Les gens boursicotent sans aucune visibilité.
Une autre piste mérite l'attention : celle du développement de l'information via les sites Internet qui font plus office d'interface commerciale que de plateformes institutionnelles. On y retrouve parfois des résultats financiers qui datent de deux années, et ce, même chez les principales sociétés cotées de la place. Rares sont les entreprises qui ont conscience de l'importance de ce mode de communication. Comme ne manquent pas de le relever nombre d'experts : «si l'on devait recenser les sociétés dont les sites fournissent les informations financières actualisées, elles ne seraient guère nombreuses». Il est vrai qu'en développant cet outil de communication, les investisseurs du monde entier peuvent se faire une idée de la santé financière de la société. Ce n'est pas tout que de souligner que les entreprises nationales enregistrent un déficit en termes de communication financière, encore faut-il se pencher sur les solutions pour y pallier. Au final, toutes ces pistes restent à défricher. La communication de l'entreprise, et financière plus particulièrement, a du chemin à parcourir. Mais tant qu'il y aura l'intervention manuelle de l'Homme dans l'élaboration des comptes, des erreurs, volontaires ou pas, seront toujours relevées. Faudrait-il alors que nos sociétés se mettent à automatiser leur système pour éviter les dérapages? Là encore, elles ne seront pas à l'abri, comme en témoigne l'exemple de la Société Générale en France, qui a démontré que malgré tous les filtres de sécurité, un trader a déjoué la vigilance des contrôleurs. Les failles, il en existera toujours. ◆
De nouveaux
garde-fous pour
les programmes
de rachat
A travers les programmes de rachat de leurs propres actions, les entreprises cherchent-elles vraiment à régulariser leurs cours comme les y autorise la loi ou bien cherchent-elles plutôt à les soutenir? Le CDVM convient qu'entre les deux, la frontière n'est pas évidente à tracer. « Mais dans le cadre de la surveillance des transactions boursières, nous suivons de près ces opérations », commente Hicham Elalamy, directeur général adjoint du Conseil. En France, l'objectif de ces programmes est la réduction du capital ou la couverture de titres de créances ou des stocks options. L'Autorité des Marchés Financiers (AMF) française accepte le rachat d'actions pour des opérations de croissance externe. Par contre, les rachats d'actions pour la régularisation du cours ne sont plus autorisés. Ce qui n'est pas le cas au Maroc. Ces opérations sont toujours tolérées, et de plus en plus. Pour mieux cerner ces opérations, le CDVM a demandé à la Bourse de Casablanca de leur réserver un code spécifique. Aujourd'hui, ces opérations sont encadrées sous les dimensions fourchettes de prix, pourcentage du capital, période du programme… Le CDVM envisage de serrer les boulons davantage en instaurant de nouveaux garde-fous. Des règles d'intervention sur le marché seront prochainement fixées. Mais avant d'en arriver là, des questions se posent. « Devrons-nous instaurer une limite relative au pourcentage que représenteraient les opérations de rachat dans le total du volume de la journée ? Faut-il autoriser les opérations de rachat sur le bloc ? Dans quelles conditions se dessaisir des titres accumulés dans le cadre d'un programme de rachat ? », s'interrogent les responsables du CDVM. Les réponses à ces questions devront être trouvées d'ici à la fin de l'année.
AVIS D'EXPERT
Jamal Maatouk, docteur en droit et conseiller juridique
«Il reste encore des choses à faire
au niveau du statut de l'analyste»
Jamal Maatouk voit d'un bon œil le projet de circulaire relatif aux règles appliquées par les analystes financiers que le CDVM vient de soumettre à une consultation publique. Pour lui, le texte permet déjà de prime abord de définir clairement et précisément la terminologie nécessaire dans ce domaine. « Cette approche nous éloignerait des quelques habitudes de notre législateur, à savoir les expressions générales, molles voire même concurrentes du droit dur, ce qui n'est pas sans conséquences sur les actionnaires ou l'investisseur». Le texte permet aussi de responsabiliser l'analyste financier. Cette circulaire insiste sur l'indépendance de l'analyste, la qualité de son travail, le choix de ses sources, elle fait des recommandations au niveau des archives, qu'il faut conserver pour une durée ne pouvant être inférieure à 3 ans. Hormis ces aspects positifs, le juriste ne manque pas de rappeler qu'il reste cependant encore des choses à faire sur le plan du statut de l'analyste : définir les critères de sa sélection, déterminer les incompatibilités avec ses fonctions… Il reste ensuite à savoir si le projet de texte, une fois approuvé, sera appliqué. A ce sujet, Maatouk est clair. « Le problème de la définition de l'information privilégiée ou de l'information fausse ou mensongère ne se posant plus, il serait simplement question d'une volonté collective et institutionnelle d'aller de l'avant et de sanctionner. Pour se faire, je pense que le CDVM a besoin de moyens, à l‘instar de son homologue français la COB, pour pouvoir donner de l'efficience à l'application
de la loi ».
Qui profite des informations
privilégiées ?
Le CDVM ouvre des enquêtes sur les supposés délits d'initié. Une seule action aurait été transférée à la justice. Pourtant, sur le marché, tout le monde se fait écho de cette pratique, parfois flagrante, parfois moins. Des personnes essaient de prendre des positions sur une valeur donnée pour profiter de son évolution. Ce serait le cas par exemple de ce directeur général d'une petite capitalisation qui, à la veille d'un mouvement stratégique sur le capital de sa société, a largement boursicoté pour gagner des sommes importantes. Il aurait profité de la détention d'informations importantes pour son propre intérêt. Un trader ne manque pas d'ajouter cet autre cas. Il s'interroge sur ces investisseurs, qu'il appelle «opportunistes», qui n'ont jamais perdu un seul sou en bourse. «Il en existe et ils sont connus sur le marché. Il est parfois question d'institutionnels. S'ils ont réussi cette prouesse, c'est qu'ils devaient certainement avoir accès à des informations stratégiques avant tout le monde». C'est le cas aussi de ces analystes qui travaillent dans l'ingénierie financière par exemple, qui profiteraient de leur statut pour utiliser les informations qui passent entre leurs mains. «Nous travaillons sur des dossiers sensibles : fusions-acquisitions, augmentations de capital ou autres. Il peut nous arriver d'exploiter ces informations pour aller investir en bourse. Comment ? Nous passons par un circuit qui n'a pas de lien avec notre établissement. Nous choisissons par exemple un confrère pour passer nos ordres. Cela passe comme une lettre à la poste », avoue cet analyste. Ce sont là des témoignages frappants. A l'évidence, nous ne pouvons pas les prouver.
Hicham Elalamy, directeur général adjoint du CDVM (*)
"Le visa du CDVM ne veut pas dire que l'on peut acheter, les yeux fermés"
Challenge Hebdo : le cas GSI a démontré que les comptes qui sont présentés peuvent être erronés. Dans quelle mesure le CDVM est-il responsable ?
Hicham Elalamy : comme on le stipule clairement dans l'avertissement qui figure sur toutes les notes d'information, le visa du CDVM n'implique ni l'approbation de l'opportunité de l'opération, ni l'authentification des informations présentées. Il est attribué après examen de la pertinence et de la cohérence des informations données dans la perspective de l'opération présentée aux investisseurs. Le visa ne veut pas dire que l'on peut acheter les yeux fermés. Il ne veut pas dire que tout ce qui figure dans la note d'information est authentifié par le CDVM. Il est certes authentifié, mais pas par le CDVM. Le CDVM s'assure qu'il a été authentifié par les personnes dont c'est la responsabilité, à savoir le commissaire aux comptes, les dirigeants de la société, le conseiller financier et le conseiller juridique qui attestent chacun de la conformité des informations contenues dans la note d'information à la réalité, chacun bien évidemment dans la limite de ses prérogatives et de ses compétences. A chacun son métier.
C.H. : depuis cet incident, vos procédures ont-elles changé ?
H.E. : à l'évidence, ce genre d'incident nous a poussé à nous poser des questions et à faire évoluer notre façon de faire. Nous procédons maintenant systématiquement à des rencontres avec les commissaires aux comptes alors qu'auparavant, nous ne discutions avec eux que lorsque des réserves avaient été émises par exemple. Depuis cet incident, nous consultons systématiquement la centrale de contentieux de Bank Al-Maghrib. Si un contentieux avec un créancier n'est pas annoncé dans la note d'information malgré les différentes attestations, nous avons désormais les moyens de recouper l'information. Nous pensons également travailler sur les diligences minimales que doivent effectuer les conseillers financiers.
C.H. : comment le CDVM peut-il agir par rapport aux informations financières communiquées par les entreprises ?
H.E. : le CDVM procède à deux natures de contrôle. Il y a tout d'abord le contrôle « quantitatif » qui consiste à vérifier que les publications sont complètes et effectuées dans les délais réglementaires. Il y a ensuite le contrôle « qualitatif » qui lui, consiste à vérifier la cohérence des informations publiées. Nous procédons à notre propre analyse des comptes. Par exemple, lorsque nous constatons qu'un poste a connu une évolution importante d'une année à une autre, nous nous posons des questions. Nous essayons de voir si l'entreprise a communiqué à ce sujet. Nous essayons de remonter l'information pour mieux comprendre l'évolution. De même, lorsque des réserves sont émises par un commissaire aux comptes, nous rencontrons systématiquement la société ainsi que son ou ses commissaires aux comptes et nous examinons la pertinence et la clarté des réserves. Nous vérifions également si leurs incidences ont été chiffrées. A titre indicatif, je peux vous dire que nous avons rencontré dans ce cadre 8 sociétés au sujet des résultats annuels de 2007. Au besoin, nous leur demandons que des compléments d'information soient portés à la connaissance du public par voie de communiqué de presse.
C.H. : pensez-vous que certaines entreprises chercheraient alors à masquer certaines informations financières ?
H.E. : je ne pense pas qu'il y ait une volonté de la part de certaines entreprises d'opérer des actions délibérées visant à masquer une information.
C.H. : même lorsque la publication des comptes est illisible ?
H.E. : la première des choses que nous vérifions, c'est la lisibilité des publications. Si elles ne le sont pas, nous demandons à l'entreprise de procéder à une nouvelle publication.
(*) Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières


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