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Bourse : ces sociétés qui manipulent leur cours…
Publié dans Challenge le 02 - 02 - 2008

En fixant des fourchettes de prix à l'achat ou à la vente, des sociétés font la pluie et le beau temps sur le marché boursier. Elles décident - quand bon leur semble - de baisser ou d'augmenter leurs cours selon leur propre intérêt. Une régularisation ou un soutien déguisé du cours ?
Au mois de novembre 2007, le cours de la SNEP était en train de flancher après avoir connu un pic. Le niveau n'était pas alarmant, puisqu'il n'était pas descendu en dessous du seuil du prix d'introduction en bourse. Cependant, des questions étaient soulevées. Fallait-il que le groupe intervienne lui-même pour réguler son action ? Fallait-il qu'il rachète ses propres actions, comme le lui permet la loi ? Un proche du groupe nous assurait qu'il était illogique que la SNEP puisse recourir à un programme de rachat de ses propres actions. «Nous sommes catégoriques sur ce sujet, le groupe ne souhaite pas intervenir sur le cours». Et pourtant. Il aura suffi de deux mois seulement pour que le groupe change complètement d'avis. Il a communiqué sur son intention de lancer à son tour un programme de rachat. Les fourchettes des prix ne sont pas encore officielles. Mais les bruits du marché évoquent des niveaux variant entre 1.350 DH et 1.800 DH. Comment peut-on donc justifier ce revirement de tendance ? A l'heure où nous mettons sous presse, les responsables sont restés injoignables. Comment peut-on concevoir qu'une nouvelle recrue de la Bourse rachète ses propres titres en l'espace de si peu de temps? «Cette opération n'est pas justifiée», convient un analyste d'une société de trading. «A mon sens, cela ne peut pas être considéré comme une régularisation. En procédant ainsi, la Snep souhaite probablement soutenir son cours».
Une opportunité
sujette à débat
Que dire de la CGI qui, malgré le fait que sa valeur cartonne, a commencé à racheter aussi ses titres trois mois seulement après son introduction ? Les responsables de la Compagnie évoquent plusieurs raisons. D'abord, la CGI a voulu maintenir des ratios de liquidité importants, les mêmes que ceux atteints au moment de son introduction. Ensuite, la Compagnie a craint qu'il n'y ait plus assez de gros volumes sur la valeur après que les institutionnels se soient servis. Enfin, la Compagnie aurait voulu se protéger de la volatilité du cours. Et dans une moindre mesure, ce programme de rachat a aussi été l'occasion pour la CGI de réaliser des plus-values sur ses titres, et de facto, d'améliorer ses résultats financiers. Voilà qui est dit. L'opportunité de recourir aux programmes de rachat des actions par une entreprise cotée est donc sujette à débat. Les défenseurs de cette pratique argueront de la régularisation des cours, du renforcement de leur liquidité, de la limitation de leur volatilité, de l'amélioration du bénéfice net par action ou de l'amélioration à terme de la rémunération des apporteurs de capitaux. Leurs détracteurs, eux, mettront en exergue l'éventuelle augmentation des emprunts qui financeront ces programmes. La structure bilancielle pourrait en prendre un coup. Une trader de la place pousse l'argumentaire plus loin. Pour elle, cette politique peut s'apparenter à un aveu d'échec des dirigeants qui ne parviennent pas à proposer de nouveaux projets. Cela serait le cas d'un opérateur du secteur des matériaux de construction, qui a lancé l'un des premiers programmes de rachat. «La société disposait de beaucoup de liquidité et n'avait pas de programme d'investissement. Elle a alors choisi de mettre son argent dans ce type de programme. Cette démarche peut être louable puisqu'elle intervenait à un moment où le marché boursier n'était pas au mieux de sa forme», explique un analyste. Si l'on suit son raisonnement, les programmes de rachat seraient davantage salutaires en période de crise. Ils permettraient d'animer le marché et de réguler des cours qui fluctuent «anormalement». Pour autant, ce n'est pas le cas de toutes les opérations, dont certaines cachent d'autres motivations. «On essaie de maquiller certaines pratiques. Le rachat est devenu quasiment une mode pour aboutir à des fins pécuniaires», lance sans complaisance un autre trader. Il en veut pour preuve des pratiques peu convenables qui ont lieu sur le marché. Les traders ne les ignorent pas. Ils racontent : parfois, des dirigeants achètent en masse des titres de leur propre société via des comptes divers. «Ils font des ramassages de titres». Ensuite, ils décident de lancer des programmes de rachat d'actions et empochent des plus-values. Il n'y a qu'un pas à franchir pour sombrer dans l'illégalité. On est à la limite du délit d'initié et de la manipulation de cours. Encore faut-il le prouver ! D'autres cas semblent illustrer aussi les réalités de ce marché.
L'exemple des grands
établissements financiers
Nos sources nous affirment que de grands établissements financiers ont, pendant longtemps, racheté leurs propres actions sans y être autorisé. Ils voulaient maîtriser leurs cours. C'est le cas de cet établissement qui apparemment, a sombré dans ces programmes de rachat pour faciliter la sortie d'un de ses actionnaires de son capital. «De programme en programme, ce groupe a réussi à maintenir le cours à un certain niveau. Ensuite, il a ouvert les vannes et le titre a atteint des niveaux jamais escomptés. D'ailleurs, je suis intimement convaincu d'une chose : si certaines entreprises n'ont pas opté pour des programmes de rachat, leur cours n'aurait pas atteint les niveaux d'aujourd'hui», explique le trader. Les entreprises sont les maîtres à bord. Elles orientent le cours de leurs actions comme bon leur semble. En fonction de leurs intérêts, elles agissent sur les prix, à la baisse ou à la hausse, sans être inquiétées. Elles animent certes le marché. Mais, n'oublions pas qu'elles maîtrisent finalement l'offre et la demande, du moins, durant toute la période du programme de rachat. Le marché ne pourrait plus être considéré comme étant totalement libre. La loi a accordé des «faveurs» aux entreprises pour utiliser des outils précis afin de juguler le marché. De la régulation, on peut facilement passer alors à de la spéculation. Cette situation n'est cependant pas dénoncée, pour la simple raison qu'elle profite à tout le monde: société émettrice, société de bourse, banques conseil… «Le marché marocain a besoin de ces pratiques pour animer le marché».
Deux exceptions pour le faire
La loi 17-95 relative aux sociétés anonymes interdit le recours au rachat des titres. Eh oui. Les sociétés cotées qui ont alors opté pour ces programmes sont-elles dans l'illégalité ? Non. Car cette même loi a ouvert des brèches. Elle a prévu des exceptions. Les entreprises cotées peuvent acheter ou vendre leurs propres titres à condition que l'objectif de l'opération soit la régularisation du cours ou la réduction du capital. Ce sont généralement les conseils d'administration qui décident des modalités (période, fourchettes des prix...), validées par la suite par les assemblées générales. Chaque programme de rachat des titres a une durée de validité maximale de 18 mois. Durant cette période, les entreprises peuvent agir pour faire baisser ou élever le cours de leurs actions. Parfois, en lançant même ce genre de programme, des entreprises peuvent ne pas intervenir pour régulariser leurs cours.
Les «habituées»
D'après les informations disponibles sur le nouveau site du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières (CDVM), très peu d'entreprises recourent aux programmes de rachat de leurs actions. La BMCE Bank et la BMCI sont très actives sur ce créneau. Depuis 2004, elles opèrent chaque année des lancements de ce genre. Elles sont rejointes par le Crédit du Maroc, qui a agi sur le marché en 2005 et 2007. Unimer est également de la partie. La société est sur la liste des entreprises agissant sur leur cours depuis 2004. Auto Hall, elle, a commencé à racheter ses titres en 2005. Et en 2007, de nouvelles entreprises ont décidé d'en faire autant. Il s'agit, entre autres, d'Addoha, de Maroc Telecom et de la CGI. En 2004, elles étaient 5 à programmer ces opérations : BMCE Bank, BMCI, Unimer, SCE, Samir. En 2007, elles sont une dizaine. En plus de celles-là, il faut ajouter Auto Hall, CDM, Addoha, CGI, Sothema, Unimer et Maroc Telecom. La SNEP ne tardera pas à les rejoindre.


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