En créant Atcom, Othmane Benjelloun ambitionne de fédérer autour de son projet de grands groupes marocains pour aller ensemble à la conquête de l'Afrique. Comment s'y prend-il ? La stratégie n'est pas banale... Plusieurs grands groupes nationaux ont décidé d'aller –seuls- sur l'international, et plus particulièrement sur le continent noir. Othmane Benjelloun, le magnat de la finance, en a décidé autrement, même si son groupe avait aussi choisi cette voie. Aujourd'hui, il souhaite créer de la valeur à l'étranger en s'alliant à ceux qui ont déjà mis un pied sur le continent, ou bien en accompagnant ceux qui désirent y franchir le pas pour la première fois. Benjelloun a une idée derrière la tête. Son objectif est de persuader les groupes marocains que leur force résidera dans leur union. Plus ils mettront leurs œufs dans le même panier, plus ils gagneront d'argent et plus ils rapatrieront des dividendes vers le Maroc. De ce point de vue, tout le monde serait gagnant. Encore faut-il que les groupes concernés (Maroc Telecom, Attijariwafa Bank, groupe Chaabi, ONA, RAM…) adhérent à cette nouvelle vision. Pour l'instant, l'équipe en charge du projet n'a pas encore vraiment tâté leur pouls. Ce ne sera pas une mince affaire, surtout que les rivalités entre les uns et les autres risquent de se manifester. Moncef Belkhayate, président du directoire d'Africa Teldis & Communication (Atcom), cette nouvelle structure chargée de réaliser les ambitions de Benjelloun en Afrique, n'en est pas persuadé. Il est convaincu que la compétition, entre banques notamment, est dépassée, surtout lorsque les frontières sont franchies. « Une fois que l'on quitte le Maroc, l'on oublie la concurrence. Pour conquérir le marché africain, il faut le faire la main dans la main. C'est le meilleur moyen pour les groupes marocains de créer de la valeur. Ensemble, nous pouvons faire beaucoup de choses». Le marché africain présente en effet d'importantes opportunités. A l'horizon 2020, il représentera plus d'un milliard d'habitants. Une aubaine qu'il faudra saisir. L'équipe Benjelloun est alors persuadée qu'il va se passer en Afrique ce qui s'est produit en Europe de l'Est il y a 20 ans. La croissance serait au rendez-vous. A vos marques, prêts… partez ! Comment Benjelloun compte-t-il réaliser ses desseins ? Comment va-t-il procéder et par quels moyens ? Tout d'abord, grâce à Atcom «le bras armé» de Benjelloun en Afrique. Elle sera le capitaine à bord. La filiale du groupe Financecom est en train de s'organiser. Elle a, à son tour, créé deux (sous)filiales, Financière Mediacom et Financière Districom, qui vont respectivement gérer deux activités principales: les médias et la distribution. Les télécoms feront partie d'une étape future. Pour l'instant, ils ne sont pas encore une priorité. Ils seront développés lorsque le volet « médias et distribution » sera bouclé. Et bien que la conquête de l'Afrique soit le principal objectif d'Atcom, force est de constater que la filiale du groupe Benjelloun est en train de mettre les bouchées doubles pour conquérir… le marché marocain. Bizarre. «Aujourd'hui, il est important pour nous de consolider nos activités au Maroc. Nous devons nous préparer, nous positionner. Nous devons être forts chez nous avant d'aller sur d'autres marchés», explique Moncef Belkhayate. La stratégie d'Atcom repose d'abord sur la constitution d'un bon portefeuille d'entreprises calées dans leur domaine. Et pour cela, Atcom ne compte pas créer d'entités nouvelles, mais en racheter certaines qui existent déjà. Les raisons ? Benjelloun veut aller vite dans le développement des activités en Afrique. Il a besoin de structures déjà prêtes « à l'emploi », qui ont une organisation RH établie, un portefeuille clients… Financière Mediacom a sélectionné un nombre d'entreprises qu'elle voudrait acquérir dans les domaines de l'affichage, de la production audiovisuelle, de la régie publicitaire, de la presse et de la radio… et peut-être d'autres secteurs encore. « Nous avons ciblé à la fois les secteurs qui nous intéressent et les entreprises qui nous ont captivés, puis nous leur avons proposé notre modèle de développement », avance Belkhayate. Généralement, c'est vers les sociétés leaders du marché qu'Atcom se tourne. Normal. Via Financière Mediacom, le groupe Benjelloun a déjà mis un pied chez Mozaïk, une agence de communication. Il est en train de négocier avec deux autres sociétés dans l'affichage et dans la production audiovisuelle. Moins de 51% ? Non, merci ! Au niveau de la presse, rien de bien concret ne semble se profiler pour l'instant, même si des dossiers sont constitués. Pour réussir ses coups, l'équipe en charge de ces projets insiste sur le maintien du top management dans les entreprises rachetées, même si elle conditionne sa présence dans le capital. Au moins 51% dans le tour de table. « Nous insistons pour que le management reste dans la gestion. Notre objectif est de nous positionner stratégiquement sur des métiers, le management, lui, les développe. C'est un deal gagnant-gagnant », assure le président du directoire d'Atcom. Des patrons ont décidé de céder la majorité de leur entreprise. Auraient-ils négocié autre chose en contrepartie ? Rien de particulier ne leur serait offert si ce n'est (rien que cela) la force d'un grand groupe intégré, un projet de développement à l'international (auquel les entreprises rachetées n'auraient pas forcément pensé)… Les projets semblent plaire aux patrons des entreprises. D'autant plus que la filiale de Benjelloun leur donne une garantie pour ne pas s'immiscer dans tout ce qui touche l'opérationnel. Financière Mediacom ne s'occuperait que du développement et de la stratégie. De plus, pour convaincre davantage, la filiale sort la carte de l'adossement à une enseigne internationale déjà installée dans les pays convoités. Les sociétés qui vont être créées bénéficieront de leur expertise. Cela leur permettra d'avoir une longueur d'avance. Une fois créées, les sociétés auront un statut de droit local. La répartition du capital n'est pas encore tranchée. Atcom n'aurait pas encore réfléchi sur ce sujet. Mais il n'est pas écarté d'y introduire des partenaires locaux. La filiale du groupe Benjelloun a élaboré sa vision, sa stratégie. Elle se donne jusqu'à la fin de l'année en cours pour consolider ses activités au Maroc. Dès 2009, elle devrait aller à la conquête de l'Afrique. Là-bas, Atcom voudrait mutualiser les synergies des groupes marocains. Elle voudrait les accompagner dans leur croissance régionale, d'autant que les marchés présentent de multiples opportunités. La priorité sera donnée au conseil en publicité et en créativité. Dans une première étape, des filiales devront être créées en Afrique de l'Ouest et francophone. Un bureau à Dakar (Sénégal) devra être inauguré. Par la suite, ce sera au tour d'Abidjan (Côte d'Ivoire) puis Naïrobi (Kenya). A l'horizon 2010, la filiale espère être présente dans une vingtaine de pays. Quant à son chiffre d'affaires, il devrait avoisiner le milliard de DH vers 2015. Ce montant ne représente que le chiffre d'affaires de l'activité « média ». En ce qui concerne l'activité distribution et télécoms, aucune information ne filtre encore. La filiale de Benjelloun voudrait d'abord réussir le volet média avant de s'attaquer à autre chose. L'Afrique, ce sera donc son dada. Les Africains, eux, pourraient voir les groupes nationaux à venir comme des «prédateurs», des «conquérants». Les Marocains, bien avant eux, voyaient aussi à une certaine époque les groupes occidentaux comme tels. Moncef Belkhayate tempère. « En aucun cas nous ne serons des conquérants. Nous voulons apporter notre expertise en développant des activités en partenariat avec les locaux». Pas de crainte alors ! ◆