Si les investissements directs étrangers sont un bon indicateur de la santé économique du pays, il n'en reste pas moins que leur ventilation par secteur démontre que les retombées locales restent à discuter. Sans compter qu'entre le moment de leur annonce et leur concrétisation, certains sont passés à la trappe. «Malgré une croissance du PIB plombée par les mauvaises récoltes agricoles, le pays (…) continue d'inspirer confiance en attirant 147 projets IDE en 2007». C'est ainsi que commence la présentation du profil du Maroc en tant que pays récepteur dans le cadre d'une étude* sur les investissements étrangers dans la région MEDA en 2007. Principale conclusion : l'Europe reprend le dessus avec 61% des 2,9 milliards d'euros d'investissements directs étrangers dirigés vers le Maroc en 2007. Après la cascade d'annonces d'investissements arabes en 2006, investissements qui pour la plupart ne se concrétiseront que dans les années à venir…, il est plutôt normal de revoir l'Europe pointer de nouveau son nez en tête. Car souvenez-vous, en 2006, les pays du Golfe avaient détrôné l'Europe non seulement au Maroc, mais aussi dans toute la région méditerranéenne, car ils avaient accaparé 36% des montants investis, contre 25% pour l'Europe. Sans véritable surprise, c'est la France qui reste le premier investisseur en nombre de projets (67 sur les 147), suivie des Espagnols avec 20 projets. Les Etats-Unis quant à eux trônent en bonne troisième place avec 17 projets, alors que les pays du Golfe n'ont annoncé selon cette étude que 9 projets d'investissement durant l'année 2007. Mais malgré cette « bascule », comme le précise d'ailleurs le titre de l'étude, il apparaît que Golfe et Europe semblent constituer désormais les 2 piliers de l'investissement étranger en Méditerranée, représentant respectivement 34% et 40 % des montants annoncés en 2007 (18% des projets pour le Golfe et 47% pour l'Europe). Du coup, une sorte de concurrence émerge alors entre ces deux investisseurs, ce qui a en quelque sorte poussé les auteurs de l'étude à établir un comparatif en termes de retombées locales. Voici ce qu'il en ressort: le portrait peu flatteur des investisseurs du Golfe est à nuancer, celui des Européens à recadrer. Les projets du Golfe en Méditerranée se distinguent en premier lieu par leur budget prévisionnel annoncé: le budget moyen est supérieur à 268 millions d'euros, contre 70 pour les projets européens. Du côté de la création moyenne d'emplois directs, les chiffres abondent dans le même sens, soit 171 emplois pour le Golfe contre 95 pour un projet européen. Un écart qui peut être, en réalité, plus important dans la mesure où le taux de détection des projets est plus faible pour le Golfe que pour l'Europe, car les investisseurs arabes seraient moins poussés à la transparence selon l'étude. Seulement, les auteurs de l'étude interpellent quant à la durabilité de ces emplois qu'ils estiment difficiles à juger: «on peut supposer qu'une partie des emplois créés par les investissements du Golfe ne dureront que le temps de la réalisation des chantiers, tandis que les projets européens génèrent en général des emplois plus durables dans les services ou l'industrie». Cependant, il est à mettre au crédit des investisseurs du Golfe le fait qu'ils n'ont pas peur de se lancer dans les projets dits «greenfields» (création d'actifs neufs), le tout avec des budgets importants: les entrepreneurs européens préfèrent acquérir des entreprises ou unités existantes, y compris de PME, pour les développer ensuite. En revanche, concernant les investissements du Golfe, l'on peut regretter la très nette prépondérance des projets immobiliers, touristiques et de construction de shopping mall à l'américaine, qui pèsent pour 53% du total des montants et 48% du nombre de projets entre 2003 et 2007. Energie, chimie lourde, ciment et métallurgie comptent pour 13% du total, tandis que côtés services, télécoms et banques représentent chacun 15%. «Ce mix sectoriel est le reflet du modèle déséquilibré des économies du Golfe, dans lesquelles industries de biens de consommation et industries légères sont peu présentes », préviennent les auteurs de l'étude. Naturellement, on trouve alors que les investissements des entreprises du Golfe se font dans des secteurs de rente, qui représentent un risque qu'il ne faut pas sous-estimer: la capacité d'absorption des pays MEDA a ses limites et les effets d'éviction dont souffrent les opérateurs locaux pourraient devenir inquiétants. D'ailleurs d'après l'étude , «il est à craindre que la plupart des IDE dans l'énergie, utilisant des équipements et travailleurs en grande partie importés, et exportant souvent des produits peu transformés, apportent peu de valeur ajoutée locale-en dehors de la rente payée par l'opérateur». Et c'est exactement le même raisonnement qui prévaut pour certaines formes d'immobilier, comme les résidences secondaires pour la diaspora. En revanche, l'industrie légère (agroalimentaire, mécanique, mobilier,..) bien intégrée aux autres secteurs, peut démultiplier assez largement ses effets dans l'économie. Mais malheureusement, ce type d'IDE est encore trop peu présent. Et le Maroc n'échappe pas à ce qui paraît être une constante parmi les pays de la région MEDA. L'Europe repasse devant le Golfe… L'explication de «ce nouveau tropisme méditerranéen» est à chercher d'abord dans le boom de l'énergie et des matières premières, qui provoque une course aux intrants industriels bon marché. Mais pas seulement. Car dans le climat de début de crise financière en 2007, les entreprises opérant en Europe , qu'elles soient grandes ou petites, sont sous la pression d'un euro fort, et soumises à des marchés de l'emploi plutôt rigides. «Même si les délocalisations sont moins fréquentes qu'il n'y paraît, nombre d'entreprises préfèrent désormais créer de nouvelles capacités de production hors Europe (Renault-Nissan, secteur aéronautique)», explique l'étude. Des investissements qui visent autant la satisfaction de besoins extérieurs, motivés par la signature de traités de libre-échange ou encore la multiplication de zones franches, que la demande solvable née de l'accroissement du pouvoir d'achat local. A cela vient s'ajouter, même si le phénomène n'est pas nouveau, le déversement des excédents commerciaux dans l'immobilier résidentiel, commercial, dans les infrastructures touristiques, mais aussi dans l'industrie ou les services… Issus des revenus des hydrocarbures du Golfe principalement, ces investissements sont fréquemment le fait de holdings d'Etat, et parfois des «étoiles montantes» du secteur privé du Golfe. Encore une fois, par la conjugaison de ces trois mouvements, on retrouve cette concurrence nouvelle entre multinationales établies et challengers du monde émergent, souvent issus du Golfe. Cela dit, il apparaît tout de même une certaine complémentarité géographique entre l'Europe et les pays du Golfe en termes d'investissements: les flux les plus importants s'établissant entre les ensembles les plus proches (Europe-Maghreb/Europe-Turquie/Golfe-Machrek). La géographie physique peut être soit renforcée soit contrariée par des affinités culturelles ou historiques. A titre d'exemple, l'on peut citer les relations d'affaires privilégiées du capitalisme familial et patrimonial du Golfe avec la Jordanie, le Liban, la Syrie, et l'Egypte. Autre exemple: les relations intimes entre la Sillicon Valley californienne et la Jordan Valley israélienne. Mais au-delà des considérations conjoncturelles et/ou géographiques, ce que met en avant cette étude, c'est bien la faiblesse des retombées locales, mais aussi la complémentarité naissante entre investissements européens et ceux en provenance du Golfe. Car si la qualité d'un IDE se mesure, entre autres, à l'importance des retombées locales, directes et indirectes, et en particulier selon l'effet de levier de l'investissement, il n'en reste pas moins que l'effet d'entraînement compte pour beaucoup également. Et c'est bien là que réside la complémentarité entre les flux européens et ceux du Golfe. «Les investisseurs du Golfe viennent utilement compenser le manque d'enthousiasme des entreprises européennes, et peuvent parfois créer une émulation bénéfique», affirme l'étude. En somme, cela revient à créer les conditions pour faire émerger le triangle Euro-Med-Golfe…Une tâche que l'étude incombe aux Etats : «s'il existait un moyen de combiner les ressources financières du Golfe et la technologie et le savoir-faire des Européens, il semblerait possible de répondre aux besoins sociaux des pays MEDA dans une relation triangulaire mutuellement bénéfique, et profitable». Comment? Pour les auteurs de l'étude, il s'agit entre autres d'exiger des contreparties en termes de contenu local, de durabilité, aux traitements de faveur que reçoivent les champions du Golfe, comme la mise à disposition de foncier à bas prix. Sauf que ces derniers semblent omettre que même les Européens bénéficient parfois, voire même souvent, des mêmes avantages… So what ?