Deux ans après l'entrée en vigueur de l'Open Sky avec l'Union européenne, les professionnels du tourisme semblent partagés sur les bienfaits de cette ouverture du ciel. Pour les uns, l'ouverture du ciel marocain est en train de malmener le tourisme, pour d'autres, ce n'est qu'une simple transition. «Le ciel libre a tué le modèle du business marocain. Depuis l'arrivée en masse des compagnies low cost, il y a de moins en moins de charters qui sont programmés sur Marrakech et donc moins d'engagement de la part des tours opérateurs vis-à-vis des hôteliers», estime cet hôtelier. Mais cet avis est loin de faire l'unanimité. «Les compagnies low cost sont pour le Maroc ce que les autoroutes ont été pour l'Espagne», tient à préciser Jawat Ziyat, président du directoire de Jet4You. Pourtant, c'est d'une manière délibérée que le Royaume a opté pour ce modèle, après d'ailleurs sa première requête en 1997 adressée aux Européens qui l'avaient rejetée à l'époque. En effet, le Maroc a décidé de faire de l'industrie touristique un levier essentiel du développement et de la croissance. Afin d'assurer le transport à des prix compétitifs des dix millions de touristes attendus pour 2010, le gouvernement a ouvert son transport aérien en signant avec Bruxelles. Une opération risquée puisque beaucoup de pays qui lui sont comparables hésitent à sauter le pas. L'accord vise à garantir la desserte de toutes les destinations par les compagnies agréées par le Maroc et les pays de l'Union européenne. Depuis, les compagnies aériennes ont pris d'assaut la destination Maroc, instaurant par ricochet un nouvel environnement concurrentiel féroce caractérisé par l'arrivée d'une nouvelle offre massive low cost à bas prix, appuyée sur de nouveaux canaux de distribution par Internet. Une question de taille critique En termes d'arrivées, cette politique a été une réussite pour le Royaume, puisqu'elle a permis, en l'espace de quatre ans (entre 2003 et 2007), de réaliser une progression de plus de 50 % des passagers internationaux vers le Maroc, passant de 5,3 millions à 10 millions ! En effet, les résultats ont été immédiats en termes de progression du nombre de passagers. À titre d'exemple, au cours de la même période, le trafic Londres-Marrakech a quasiment été multiplié pratiquement par cinq (passant de 78.000 à 350.000 passagers) tandis que le trafic entre la France et Marrakech a plus que doublé (passant de 750.000 à près de 1.700.000 passagers). Côté tarifs, des baisses significatives ont été enregistrées sur les vols vers Marrakech et Casablanca, les seules destinations ayant enregistré les nouveaux entrants entraînant ainsi une plus grande concurrence. «Ces résultats sont certes considérables, mais les besoins de développement de la desserte aérienne pour les prochaines années, pour accomplir les objectifs de la « Vision 2010 » restent très importants. Ainsi, les besoins en lignes aériennes point à point (vols directs vers la province) tels qu'initialement prévus par le ministère de l'Equipement et des Transports sont loin d'être satisfaits. Les low cost ne s'intéressent plus depuis qu'à Casablanca et Marrakech. Les villes touristiques comme Agadir et Fès n'arrivent pas à les attirer», analyse cet expert du transport aérien. Pour le patron de Jet4You, cette situation s'explique par le fait que Fès et Agadir n'ont pas encore atteint la taille critique. Il faut dire que certaines compagnies qui s'étaient lancées sur ces deux destinations marocaines, grâce aux subventions de l'Etat marocain, ont jeté l'éponge lorsque celles-ci ont été supprimées. C'est le cas de Globalia et d'Air Europa sur Fès. D'une manière générale, ce sont plusieurs compagnies aériennes régulières, comme British Airways, SN Brussels Airlines, Helvetic Airways… qui se sont retirées du Maroc depuis la libéralisation en février 2004. Même Air France a été remplacé sur Marrakech depuis le 30 mars dernier par Transavia.com, son bras armé low cost. «Cette offre est tout à fait adaptée à nos clients tours opérateurs, à la clientèle affaires ainsi qu'aux Français de plus en plus nombreux qui ont acquis une résidence secondaire au Maroc», dit-on auprès de la filiale low cost d'Air France. L'autre concurrent traditionnel de Royal Air Maroc (RAM), Iberia, s'est adapté en lançant sa compagnie low cost, Clickair, dans le bain. Mais avant eux, c'est RAM qui a été obligé de réagir face à l'offensive des compagnies à bas coûts. Outre le lancement d'Atlas Blue bâtie sur le modèle low cost et qui aujourd'hui revendique 30 % de parts de marché dans le trafic touristique vers le Maroc, RAM a été obligé d'exploiter au maximum le potentiel géographique exceptionnel que représente l'Aéroport Mohamed V de Casablanca entre l'Afrique, l'Amérique, le Proche-Orient et l'Europe. Elle compte par exemple actuellement plus d'une centaine de fréquences directes par semaine vers l'Afrique, au départ de Casablanca. Tout compte fait, aujourd'hui, une suroffre semble s'installer qui menace les coefficients de remplissage et les équilibres dépenses-recettes. Le nombre total de fréquences hebdomadaires entre l'Espagne et le Maroc a doublé au cours de 2007 atteignant la barre des 100, soit de six à treize fréquences quotidiennes en moyenne. Le tourisme national en profite-t-il pour autant? Depuis l'offensive des compagnies low cost, les tour-opérateurs dits « discounters » ne savent plus à quel saint se vouer. Marrakech est devenue une destination de week-end et de plus en plus de touristes achètent leurs voyages par Internet (Transport et hébergement). Mais ce nouveau comportement a eu une incidence sur le volume des nuitées qui baissent. Cependant, ce que les hôteliers ne disent pas, c'est que les prix ont augmenté. «Aujourd'hui par exemple, il y a à Marrakech un tourisme résidentiel important. Les touristes français qui viennent dans leur résidence sont des voyageurs fréquents, ils peuvent venir plusieurs fois dans l'année et statistiquement vont représenter plus que leur poids réel», fait constater Jawad Ziyat. Les TO ne garantissent plus comme avant Face à cette nouvelle donne, les TO ne garantissent plus les lits comme ils le faisaient auparavant. Les jeux sont plus serrés pour la simple raison que le tour-operating lui-même est en crise et a vu ces dernières années l'hégémonie qu'il avait sur la commercialisation remise en question par d'autres canaux de distribution, notamment les ventes sur internet. «Sur le Maroc, les tours opérateurs français ont revu à la baisse leurs allotements de 15 %. Ils les ont redirigés sur d'autres destinations comme la Tunisie. Ils l'ont clairement signifié aux responsables marocains lors du déplacement à Paris, le 3 mars dernier, de la délégation présidée par le ministre du Tourisme, Mohamed Boussaïd. Ont participé à cette rencontre, les plus grands TO français, comme Nouvelles Frontières, Fram, Thomas Cook, TUI et Jet Tours. Ils ont fait savoir que la principale cause du recul de la destination Maroc est que cette dernière est rudement concurrencée par l'Egypte et la Tunisie, qui n'ont pas ouvert leur ciel et qui, par ricochet, maîtrisent les flux de touristes par le biais des vols charters», souligne cette source qui a assisté à la rencontre. Pourtant pour Marc Thépot, PDG d'Accor Maroc, la baisse des nuitées n'est enregistrée qu'au niveau des clubs qui pratiquent aujourd'hui le concept du «all inclusive». «Le client qui arrive avec le low cost paie ses prestations. Il est plus bénéfique pour la destination Maroc comparé aux TO intégrés qui sont payés à l'étranger et qui ne rapatrient donc qu'une partie des ventes qu'ils réalisent». Il faut dire, à en croire un hôtelier, que ce même phénomène a déjà été observé sur plusieurs destinations, comme Malaga en Espagne. Mais c'est un phénomène qui a duré un à deux ans seulement. «Si on ne réorganise pas les modes de commercialisation et la politique tarifaire, les TO peuvent se désintéresser davantage du Maroc en réduisant encore leur implication, leur prise de risque, leur programmation de la destination. Ce qu'il faut absolument éviter. A Malaga, par exemple, il y a eu rééquilibrage entre les modèles tours opérateurs et Internet/low cost. Les TO sont revenus. Au fil du temps, ces modèles très différents, concurrents, se rapprochent et se mixtent. Des compagnies low cost comme Easyjet commencent ainsi à vendre des produits TO», dit-il. Quoi qu'il en soit, le Maroc a déjà fait le choix de l'Open Sky, et il ne reviendra pas dessus. Il revient donc aux professionnels de s'adapter à la nouvelle donne.