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Restauration : Luigi contre Luigi
Publié dans Challenge le 26 - 04 - 2008

La célèbre enseigne de restauration «Luigi» est en passe de connaître un développement sans précédent avec le lancement d'un grand nombre de franchises à travers le Royaume. Seulement aujourd'hui, les deux ex-associés du restaurant Luigi Maârif se livrent une bataille sans merci autour des franchises.
Ce qu'il faut savoir et établir avant tout, c'est que le premier restaurant Luigi a été ouvert au Maârif par un italien dénommé Luigi Grieco. «Auparavant, j'étais tôlier. Et puis en 2000, j'ai loué un local et j'ai «importé» un cuisinier italien. Il y a eu beaucoup de remarques de la part des clients, alors je me suis retroussé les manches et je me suis mis moi-même à faire la cuisine. Et ça a marché!», se souvient Luigi Grieco. En 2003, et vu le succès remporté par cette première expérience, il décide de s'agrandir et achète un local plus grand, juste en face de son premier restaurant. «Le 26 septembre 2003, j'ai crée «Luigi Grieco sarl» et le 11 novembre 2004, nous avons inauguré le nouveau restaurant Luigi», précise le restaurateur. Seulement encore une fois, le succès remporté par le restaurant, entre 800 et 900 couverts par jour, a poussé Luigi à chercher un associé. Non pas parce qu'il manquait de liquidités, les tiroirs caisse débordaient d'argent, comme il aime à le dire, mais avec 37 employés et une clientèle toujours plus importante, il commençait à être débordé. C'est là qu'il rencontre Mohamed El Ghaldy, un restaurateur marocain tout droit débarqué des Etats-Unis. «Il disait ne pas vouloir ouvrir son propre restaurant, mais s'associer avec le meilleur», raconte Luigi Grieco. Alors en février 2005, Luigi Grieco vend dans un premier temps 50% des parts de son restaurant à Mohamed El Ghaldy. Puis il envisage de lui en céder la totalité pour prendre sa retraite du métier. Seulement voilà, entre temps, alors que nos deux associés sont toujours partenaires dans le restaurant, Mohamed El Ghaldy va déposer à l'OMPIC (Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale) le nom «Luigi Grieco», le 27 mai 2005. «Je lui ai donc vendu les autres 50% du restaurant, sans jamais avoir été informé qu'il avait déposé mon nom. Normalement, comme à cette date nous étions encore co- gérants, il aurait fallu également ma signature pour déposer le nom», souligne Luigi Grieco, le fondateur du premier restaurant Luigi.
Mais Mohamed El Ghaldy ne l'entend pas de cette oreille. «Ce n'est pas exactement comme ça que les choses se sont passées», s'exclame-t-il. Selon le restaurateur marocain, qui, à noter au passage, a plus de vingt ans d'expérience dans le secteur, deux mois seulement après l'ouverture du restaurant, la mésentente était devenue telle qu'ils avaient décidé de se séparer. Les démarches auprès du notaire auraient été entamées deux à trois mois avant que Mohamed El Ghaldy ne dépose le nom «Luigi Grieco» auprès de l'OMPIC.
Cependant, le contrat de vente comportait une clause qui aura par la suite toute son importance: Luigi Grieco ne peut pas ouvrir de restaurant dans un rayon de 9 kilomètres et ce pendant une durée de cinq ans. Une interdiction qui sur le coup n'a pas empêché la vente de la seconde moitié des parts le 3 juin 2005. Le restaurateur italien décide d'entamer sa retraite, grâce au pactole de la vente, en effectuant un long voyage… Mais au bout de quelques semaines, Luigi Grieco ne supporte finalement pas l'inactivité et revient au devant de la scène. Il a dans l'idée d'ouvrir une épicerie fine qui porterait tout naturellement le nom de Luigi Grieco. Mais lorsqu'il souhaite déposer le nom, il se rend compte qu'il est déjà pris. «Je l'ai attaqué en justice, tout le monde m'ayant promis de gagner car «Luigi Grieco », c'est mon nom. Seulement l'avocat n'a pas correctement déposé la plainte et… j'ai tout bêtement perdu», explique Luigi Grieco. Mais voilà ce que répond Mohamed El Ghaldy. «S'il a perdu, c'est que je suis entièrement dans mes droits. C'est une véritable petite fortune que j'ai déboursé pour acheter le Luigi Maârif. Vous imaginez bien qu'à ce prix là, je n'ai pas acheté les chaises ou les assiettes, mais bien le fonds de commerce, y compris le nom qu'il porte», argumente El Ghaldy.
Entre temps, Luigi Grieco se lance dans un projet d'usine à Bouzkoura pour fabriquer des pâtes mais aussi du fromage et des sauces (cf encadré). «L'usine était prête dès janvier 2007, même si le démarrage officiel de l'activité n'a eu lieu qu'en novembre 2007. La construction avait démarré un an et demi auparavant», affirme Luigi Grieco en personne. Autrement dit, la retraite de Luigi Grieco a été de très courte durée. Puisque selon lui, la vente de son restaurant s'est conclue en juin 2005, et qu'aussitôt après, il s'est lancé dans la construction d'une usine. Or tout un chacun sait que les démarches pour un tel projet exigent un minimum de délais. Sans compter qu'il a également trouvé un local (qu'il prend en location d'ailleurs) et préparé l'ouverture d'un restaurant italien à Sidi Maârouf dans le même laps de temps.
A qui reviennent
les franchises «Luigi» ?
Mais cette fois-ci, Mohamed El Ghaldy l'attaque en justice et remporte l'affaire, avec un petit bémol tout de même. «Lorsque je lui ai vendu la deuxième moitié des parts du restaurant Maârif, je lui avais demandé si je pouvais ouvrir à Sidi Maârouf et à Aïn Sebaâ, et il m'avait donné son accord», explique Luigi Grieco. «Faux, archifaux !», réplique El Ghaldy. Et de poursuivre: «Le contrat de vente spécifiait qu'il ne devait pas ouvrir de restaurant dans un rayon de 9 km à vol d'oiseau, soit 45km ». Mais quand El Ghaldy l'attaque en justice, il s'est trouvé que Luigi avait pris ses précautions, et de son propre aveu, il dit avoir tout simplement mis le restaurant au nom de sa femme pour éviter de tomber sous le coup de la loi. Résultat, la condamnation n'a visé que le fait qu'il était employé dans un restaurant qui faisait concurrence à Luigi Maârif. «Vous savez, malgré toutes ces condamnations, mon nouvel avocat m'a garanti cette fois-ci de gagner en appel, et il voulait même aller jusqu'à demander des dommages et intérêts de 20 millions de DH», soutient le restaurateur italien. Mais vu l'importance des frais à engager non seulement auprès des avocats (environ 800.000 DH, auxquels il faut ajouter un pourcentage des dommages et intérêts s'il obtenait gain de cause), il renonce à faire appel et préfère renouer les liens avec Mohamed El Ghaldy.
«C'est lui qui un soir, pendant le mois de ramadan dernier, a demandé à l'un des agents de sécurité de me remettre sa carte de visite pour que je l'appelle. Et c'est ce que j'ai fait», raconte Mohamed El Ghaldy. Une rencontre à l'issue de laquelle les deux associés se sont entendus pour faire renaître leur association. Ils iront même plus loin, car ils espèrent faire fructifier leur partenariat via l'ouverture de franchises. Nous sommes en octobre 2007. Il faut tout de même noter que quelques temps avant de renouer leurs relations, Luigi Grieco avait ouvert une franchise à Rabat, et Mohamed El Ghaldy une autre à Tanger, mais chacun pour leur propre compte. Selon Luigi Grieco, leur entente sur les franchises devait aboutir à la création d'une société qu'ils détiendraient à parts égales et qui aurait pour objet principal la gestion des franchises. La version de Mohamed El Ghaldy est tout autre. «S'il est venu me voir, c'est parce que son usine ne tournait grosso modo que pour le restaurant de Sidi Maârouf. Ce qui est très faible…Il voulait donc livrer à toutes les franchises que l'on allait créer les pâtes, le fromage… pour faire tourner son usine. Nous avons donc passé un accord tacite pour que je lui reverse 50% des royalties pour les franchises à venir», explique El Ghaldy. Les contrats de franchises se sont en effet enchaînés, et El Ghaldy reversait comme convenu la moitié des sommes encaissées lors de la conclusion des contrats, bien que la société commune qu'a évoqué Luigi Grieco n'ait pas encore été créée.
Franchises à Fès,
Meknès et Rabat
C'est ainsi que des Marocains résidents aux Etats-Unis, amis d'El Ghaldy, se sont lancés dans des franchises à Fès, Meknès et Rabat. «Ils ont même fait une réservation pour des franchises dans six autres villes », poursuit El Ghaldy. Seulement les contrats de franchises ont été établis au nom de la société «Luigi Grieco», société à associé unique, et qui rappelons-le appartient à Mohamed El Ghaldy. Et c'est justement ce que conteste aujourd'hui Luigi Grieco. «Normalement, j'aurais dû signer avec lui chacun des contrats de franchise suite à notre accord, or il ne m'a jamais sollicité», s'insurge Luigi Grieco. Des propos auxquels Mohamed El Ghaldy a une réponse toute simple : «Il n'a jamais été question de créer une société commune dédiée à nos franchises. Simplement, en contre partie, il devait me reverser 50% des bénéfices dégagés par les ventes de l'usine destinées à nos franchisés», précise El Ghaldy. Et d'ajouter: «Hormis la première franchise qu'il a ouverte à Rabat, c'est moi qui ai ramené tous les autres franchisés :Tanger, Fès, Meknès, Marrakech, Kénitra, Mohammedia…». D'ailleurs, Luigi Grieco ne s'en cache pas vraiment. «J'ai laissé à El Ghaldy les négociations car lui sait mieux s'y prendre, et il est surtout intraitable sur les prix. Cela dit, c'est une hérésie de croire que notre partenariat allait se faire dans un cadre non légal», nous confiera-t-il. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que Luigi Grieco et Mohamed El Gahldy ont créé deux sociétés pendant leur lune de miel de courte durée. La première destinée à l'importation de produits alimentaires en provenance d'Italie, et ce dans l'optique d'ouvrir par la suite une chaîne d'épiceries fines où seront vendus également les pâtes, fromages et sauce fabriqués dans l'usine de Bouzkoura. D'ailleurs, de l'aveu même d'El Ghaldy, c'est au nom de cette société que sera signé un contrat avec Casanearshore pour l'ouverture d'un Luigi sur place. La deuxième société, qui comporte trois autres associés, a été créée dans le cadre de l'ouverture du Luigi Marrackech, au sein de la nouvelle gare ONCF. Seulement voilà, aujourd'hui, Luigi Grieco ne veut plus discuter avec Mohamed El Ghaldy.
Ce dernier a proposé une confrontation pour éclaircir la position de chacun, mais Luigi Grieco a rejeté l'offre en bloc. «Je refuse de rencontrer quelqu'un qui veut s'approprier mon nom. D'ailleurs désormais, je vais ouvrir mon propre restaurant à Casablanca, et il s'appellera «Ristorante Pasta de Luigi», conclut-il. Affaire à suivre…
Les projets de Luigi Grieco
Aujourd'hui, Luigi Grieco a vendu la gérance de Luigi Sidi Maârouf à un couple de français, et se consacre aujourd'hui entièrement à son usine, dans laquelle il a investi 30 millions de DH. Une usine qu'il détiendrait à 75%, car les 25 % restants appartiendrait à un certain Saïd Lebbar, son associé. Aujourd'hui, l'usine produit 3000 litres de lait (destinés essentiellement à la production de fromage) et 300 kg de pâtes par jour. «Dès que j'arriverai à saturation de mes capacités de production, c'est-à-dire 9000 litres de lait et environ 1400 kg de pâtes par jour, je vendrai l'usine», nous confie Luigi Grieco. Et figurez-vous qu'il compte ouvrir une école hôtelière en partenariat avec une école italienne de grande renommée et qu'il aurait d'ores et déjà démarchée.
Quand à son projet d'ouverture d'épiceries, il compte le mener à bout. «Je compte ouvrir la première en juin 2008, d'ailleurs dans le même local où j'ai ouvert mon tout premier restaurant», explique-t-il. Il espère également ouvrir deux boutiques dans les principales grandes villes du Royaume sous forme de franchises, dans lesquelles seront commercialisés les produits qu'il fabrique à Bouzkoura mais aussi de la charcuterie, des truffes, et autres produits en provenance d'Italie. Concernant les franchises de restaurant, il affirme désormais vouloir lancer une nouvelle enseigne qui portera le nom de «Pasta de Luigi».
Les projets de
Mohamed El Ghaldy
le restaurateur marocain voit l'avenir de manière plus sereine. «Je vais continuer à vendre des franchises sous le nom de «Luigi Grieco», puisque j'ai déposé ce nom et qu'il m'appartient légalement», insiste-t-il. Aujourd'hui, il a vendu au total deux franchises à Tanger, l'une est déjà en activité, la seconde est en cours d'ouverture. Viennent s'ajouter les trois contrats de franchises déjà conclus avec ses amis américains, à Fès, Meknès et Rabat. Ces mêmes personnes ont fait la réservation pour six autres franchises à Oujda, El Jadida, Essaouira, Marrakech, Agadir et Ouarzazate. Enfin, deux autres franchises ont été attribuées au nom de «Luigi Grieco» à Mohammédia et à Kénitra.


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