La justice, l'administration, la retraite, la corruption… depuis des années, les gouvernements qui se sont succédé en ont fait leur champ de bataille. Des réformes ont été entamées. Pourtant, ces dossiers ne sont toujours pas clos. Les partis politiques remettent ces mêmes chantiers sur le tapis. Que promettent-ils de différent ? Il ne faut pas s'attendre des partis politiques à une révolution en ce qui concerne les grandes réformes qu'ils vont poursuivre lors de la prochaine législature. Les politiciens ne sont pas allés bien loin pour faire leur marché. Ils nous servent des plats pratiquement froids. D'où l'impression de déjà vu. Les grandes réformes sur lesquelles s'attardent les partis, celles dont ils font leur priorité, ne sont en fait que celles qui ont déjà été lancées par les prédécesseurs : administration, gouvernance, corruption, justice, retraite… Normal, direz-vous, le travail entamé doit être achevé. Soit. Mais c'est dans le traitement de ces dossiers que nous aurions souhaité trouver plus d'imagination et d'innovation afin qu'ils soient bouclés rapidement. Ces réformes-là n'ont que trop duré. A la veille des élections, les partis politiques promettent monts et merveilles aux citoyens. En parcourant leurs programmes, une remarque vous vient à l'esprit. Si tout ceci est mis en œuvre, le Maroc sera vraiment le plus beau pays du monde. Mais ne nous leurrons pas. Entre la théorie et la pratique, le fossé est bien là. Qu'est-ce qui a pu changer dans les programmes de nos partis pour croire que cette fois-ci sera la bonne, que les changements vont réellement se concrétiser ? Les approches et les convictions diront certains, les mentalités diront d'autres. La conjoncture aidant, ces réformes pourrait être accélérées...mais à condition qu'il existe une réelle volonté politique pour trancher parfois des sujets assez sensibles et délicats. C'est le cas par exemple des retraites, une priorité suprême dans les partis. Certains partis ont pris des positions fermes. Ils ont tranché. L'USFP a clairement exprimé son intention de faire évoluer le système actuel en regroupant dans un premier temps les régimes en deux pôles : secteur public (CMR et RCAR) et pôle privé (CNSS et CIMR). Tout le régime devrait ensuite être unifié. Il propose également l'accélération de l'intégration des caisses internes restantes de quelques établissements publics dans le régime du Régime Collectif des Allocations de Retraite (RCAR). Pour le parti de la rose, il est urgent, compte tenu de la situation financière difficile de certains régimes, de prendre ces mesures. Elles sont «courageuses et respectueuses des principes de la bonne gouvernance», comme se plaisent à dire les adhérents du parti. La question de la retraite retient le souffle de tout le monde pour la simple raison qu'elle concerne tout un chacun. Si l'USFP a pris la liberté de s'engager sur une certaine voie, d'autres partis ont préféré rester discret sur la question pour ne pas trop se «mouiller». C'est le cas par exemple du PPS. «Nous sommes convaincus que le dossier de la retraite est une priorité. Il est important de tenir compte de toutes les contraintes existantes pour réussir à établir les solutions les plus adéquates. Le temps presse mais en même temps, il faut s'assurer des bons choix. Des études sont menées. Il serait plus sage d'attendre leurs conclusions avant de se prononcer sur la réforme. Elle est plus que nécessaire. Si des divergences se font sentir au sein du gouvernement, alors il faudra opérer des arbitrages, c'est là le rôle du politique», soutient Mohammed Soual, militant au sein du parti de Yata. Du côté du PJD, Lahcen Daoudi mentionne rapidement au téléphone que pour son parti, le dossier de la retraite est considéré comme une priorité. Le parti a-t-il des pistes pour réformer le système ? Vaguement, l'élu lance une de leurs idées : le seuil minimal des retraites doit passer de 500 à au moins 1.000 dirhams. Par quels moyens y arriver ? «Si nous obtenons une bonne croissance, si nous recouvrons mieux les impôts, si nous récoltons des taxes de solidarité…le partage des fruits permettra de financer cet aspect». Les Istiqlaliens, eux, souhaitent consolider les acquis. Pour eux, la sortie du système de retraite de la crise passe, en grande partie, par un élargissement de l'assiette. A l'Union Constitutionnelle (UC), la gestion de la retraite doit être réformée tout comme l'ensemble du système, qui doit subir une réforme structurelle. Plus en détail, l'UC recommande l'indexation des petites retraites inférieures à 1.500 dirhams à l'augmentation de l'indice du coût de la vie. Une idée qui a théoriquement du sens, mais qui oserait l'appliquer ? Corruption : les partis emploient la méthode douce Parmi les autres chantiers cruciaux sur lesquels les partis souhaitent se pencher de très près, la corruption. Quasiment tous sont pour l'adoption d'une méthode «douce» : renforcement de la législation, sensibilisation, plus de transparence dans la passation des marchés… On retrouve rarement chez les partis des mesures coercitives. Pourtant, ce fléau ancré dans les mœurs mériterait qu'on sévisse pour donner des exemples. Le PJD fait de la corruption un cheval de bataille. A l'Istiqlal, on est convaincu que la lutte contre la corruption doit concerner tout le monde. «Il n'est pas question de s'attaquer à l'administration seulement. Les citoyens par exemple ont leur part de responsabilité aussi», confie Mustapha Hanine. Mais quoi qu'il en soit, le parti consacre tout de même de nombreuses mesures au «nettoyage» de l'administration de ce fléau. L'Istiqlal veut élaborer une loi qui définit annuellement le genre et la nature des procédures à simplifier. Il souhaite également que le «pouvoir discrétionnaire» du fonctionnaire en matière d'émission d'autorisations soit amoindri. Il préconise aussi l'établissement d'un calendrier pour généraliser l'administration électronique et la mise en place de mécanismes efficaces pour mieux contrôler et réprimander. Le PPS, lui, est assez ambitieux en évoquant le dossier de la corruption. Il souhaite améliorer le rang du Maroc dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International en le ramenant parmi les 20 premiers pays. Pour y arriver, le parti de Yata ne compte pas puiser dans le budget de l'Etat. Il compte (seulement) rendre les textes réglementaires mieux applicables. Ce n'est pas une mince affaire bien que la proposition semble très simple. La difficulté au Maroc ne réside pas tant dans les lois elles-mêmes que dans leur application. Pour le PPS, la lutte contre ce fléau pourrait se concrétiser aussi par l'amélioration permanente des textes, le respect des normes de gestion du patrimoine de l'Etat, l'amélioration du décret sur les marchés publics, un contrôle financier rénové et la généralisation des concours et des appels à candidature pour les postes à responsabilité dans la fonction publique. «Le gouvernement proposera aussi une grande loi relative à la transparence et consacrant le droit à l'accès aux données publiques», peut-on lire sur le programme. Le PPS préconise aussi la simplification des procédures, l'amélioration du dispositif institutionnel de contrôle, l'approfondissement du rôle de l'agence de prévention de la corruption et la sensibilisation… «Le gouvernement refusera la logique des campagnes épisodiques et fera tous les 6 mois un bilan des actions entreprises pour la moralisation de la vie publique devant le Parlement». Le Mouvement Populaire, tout comme le PPS, a rendu publique son intention d'améliorer l'indice de perception de la corruption de Transparency en ce qui concerne le Maroc. Sauf que le MP est moins optimiste que le PPS puisqu'il propose que le rang du pays se situe parmi les 40 premiers du classement à l'horizon 2012 alors que le PPS escompte parvenir au moins à la moitié. Pour y parvenir, le MP voudrait donner plus de poids aux cours des comptes régionales en leur accordant plus de moyens financier et humain, en généralisant le e-gouvernement… Les mesures concoctées par le parti portent aussi sur la création d'une instance «véritablement» indépendante politiquement et financièrement, sur la décentralisation et la déconcentration, sur la mise en place de CPS sectoriels standardisés et homogènes en matière de passation de marchés publics… Décentralisation, modernisation, contrôle… l'administration mue Nous ne pouvons évoquer les grandes réformes sans rappeler le chantier de la réforme de l'administration. Tous les partis abordent dans leur programme ce dossier qu'il faut mener subtilement. «L'administration peut jouer un rôle extrêmement important. Elle doit être une administration de stratégie et de régulation et non une administration qui produit seulement», souligne Mohammed Soual, du PPS. Et de poursuivre : «il faut la rendre performante et assurer une très large déconcentration. Les hauts cadres doivent aller vers les régions». L'USFP, lui, opte, entre autres, pour la réforme de la grille des salaires, que ce soit dans la fonction publique ou dans les établissements publics pour non seulement inciter à une meilleure productivité mais aussi pour réduire les écarts entre les plus bas et les plus hauts salaires. Le parti devrait peut-être songer aussi à revoir les écarts entre les rémunérations des fonctionnaires d'une même échelle qui travaillent dans des ministères différents. Le parti de la rose voudrait aussi focaliser son attention sur la réhabilitation du citoyen dans ses droits et sa réconciliation avec l'administration en améliorant ses services tant sur le plan de la qualité, de la rapidité et de l'efficacité. L'Union Constitutionnelle, elle, recommande notamment la refonte total du statut de la fonction publique pour introduire des notions comme la flexibilité, le contrôle, la performance, l'évaluation et l'audit. Le Parti Socialiste Unifié, qui a proposé un programme commun avec le CNI et le Pads, souhaite également voir l'administration changer. Elle doit être plus moderne, le système de méritocratie doit primer et les évaluations et les contrôles doivent être instaurés. Du côté du Mouvement Populaire, place à l'opération de départs volontaires au niveau des collectivités locales, à la décentralisation des ressources humaines… Le parti propose aussi de consacrer d'ici à l'horizon 2012 1,5% de la masse salariale à la formation permanente des fonctionnaires. Une idée intéressante à retenir. Mais comment y parvenir ? Plus de prérogatives pour le Conseil supérieur de la magistrature La réforme de la justice n'est pas en reste des grands chantiers qui restent à boucler. Il n'y a pas un parti qui n'évoque pas dans son programme ce dossier. Ils souhaitent pratiquement tous ôter certaines prérogatives au ministère de la Justice, et particulièrement à son ministre, pour les transférer au Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). C'est pour eux le gage d'une meilleure indépendance de la justice. Le groupement du PSU veut faire de la justice une véritable institution constitutionnelle indépendante. L'Istiqlal suit la même voie. Pour lui, le ministère de la Justice ne devrait plus interférer dans les décisions de lancer des procédures, de suspendre des poursuites… Même son de cloche chez les Usfpéistes pour qui une séparation de pouvoir doit s'opérer pour éviter les conflits d'intérêt. Le ministre de la Justice ne doit pas continuer à cumuler le pouvoir de déclencher des poursuites et les attributions de participer à statuer sur elles. Pour cela, le parti de la rose propose de nommer un haut magistrat membre du CSM qui se charge de cette besogne pour en finir avec l'interférence des prérogatives du ministre de la Justice. Il ne doit pas être juge et parti. En ce qui concerne l'amélioration des conditions de travail, l'UC propose d'augmenter le budget de la Justice de 1,5 milliard de dirhams durant les cinq prochaines années, de mieux rémunérer et mieux former les magistrats et les greffiers… Le parti va même jusqu'à suggérer de mettre en place un organe d'évaluation du fonctionnement de la justice et du rendement des juges. Une idée séduisante. Un autre volet, et non des moindres: la révision des statuts et du fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature. Tous veulent lui accorder plus d'importance. Comment ? L'UC ouvre la voie à de nouvelles nominations au sein du CSM. L'ordre national des avocats, des personnalités de l'enseignement supérieur… doivent y faire leur entrée. L'Istiqlal suggère que les juges d'audience et du parquet soient intégrés dans l'Institution. L'USFP, lui, conseille d'accorder une plus grande protection juridique à ce Conseil et de clarifier précisément les relations entre l'administration centrale et les tribunaux pour éviter «toute immixtion dans les affaires judiciaires». Le parti de la rose a, dans son programme, souligné par ailleurs la nécessité de créer de nouvelles instances. Pour lui, il est recommandé de lancer deux cours d'arbitrage pour le règlement des contentieux. Il soutient aussi la nécessité de mettre en place un tribunal administratif suprême. Tous les partis sont donc maintenant sur le front. Chacun est en train de vanter ce qu'il compte faire. Lors des précédentes élections, ils en avaient fait autant mais pourtant, les choses n'ont pas changé. Il est à espérer que cette fois-ci, les partis politiques marocains comprennent que l'intérêt général du pays est de s'impliquer activement dans les grandes réformes qui vont donner un sacré coup d'élan à la dynamique économique. Les ambitions sont énormes. Elles doivent passer de l'étape de la théorie à celle de la pratique. Et pour cela, les partis devront parfois mettre de côté leurs intérêts personnels au profit de l'intérêt général. Avis d'expert Azzedine Akesbi, SG de Transparency Maroc “Une question de volonté politique” rent faire gagner au Maroc des places dans le classement de l'indice de perception de la corruption de Transparency International. Ils évoquent des places parmi les 20 ou les 40 premiers pays. Cet objectif vous semble t-il réalisable dans un horizon de 5 ans ? Azzedine Akesbi : La baisse de l'indice de perception de la corruption est le résultat d'un certain nombre de mesures et d'initiatives à prendre. Il faut à mon sens d'abord les déterminer et les mettre en application. L'amélioration du classement viendra alors par la suite. Je souhaiterais que mon pays soit classé parmi les pays où il règne le maximum de transparence. Rien n'est impossible. Il faut cependant beaucoup de volonté politique et d'engagement ferme. Aussi, nous reste t-il beaucoup de chemin à parcourir : a titre d'exemple il faudra mettre en place une agence indépendante de lutte contre la corruption, sortir des situations d'impunité, avoir une justice indépendante qui fonctionne bien… C.H : Justement, concernant la justice, les partis sont quasiment unanimes pour transférer certains pouvoirs du ministère de la Justice au Conseil supérieur de la Magistrature. Cela signifie-t-il que la justice sera plus indépendante? A.A : Tout le monde est aujourd'hui d'accord sur la nécessité d'opérer une réforme sérieuse et profonde de la justice qui touche la question de son indépendance dans son sens le plus large, de la qualification des juges, de la formation, des procédures… Il y a une reconnaissance générale à mener cette réforme mais ce ne sont pas un ou deux aspects seulement qui vont permettre d'atteindre les objectifs fixés. La réforme de la justice n'est pas seulement une réforme technique. Cela suppose aussi une volonté politique et de progresser dans le sens de la séparation des pouvoirs.