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«Boulimie» des banques marocaines pour l'Afrique
Publié dans Challenge le 15 - 09 - 2007

Le système bancaire africain en train d'être reconstruit, autour d'un nouveau concept de réseaux privés à capitaux majoritairement africains, désormais en pleine croissance. Depuis, l'Afrique est devenue la nouvelle zone d'expansion des banques du Maroc. Derrière cette offensive, deux grands enjeux : celui des transferts d'argent entre l'Europe et l'Afrique opérés par les Africains résidant à l'étranger
et celui des flux d'affaires entre les deux continents. La recette marocaine ?
Attijariwafa bank et BMCE Bank ont décidé de s'étendre en Afrique et la zone de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA) va leur servir d'arrière-cour. Cette bataille de conquête entre les deux banques marocaines risque même de faire des victimes collatérales parmi les banques actuelles, dont certaines vont disparaître. En effet, les enjeux de cette bataille, qui ne concernent pas que des entreprises marocaines, sont énormes.
Tout a commencé fin 2005. C'est ainsi qu'au cours de ces deux années, la banque d'Othman Benjelloun a créé sur le continent une filiale en Tunisie et annoncé le rachat de l'un des tous premiers groupes bancaires d'Afrique subsaharienne. Quant à Attijariwafa bank, elle a mis la main sur une banque tunisienne et a racheté une banque sénégalaise sept mois seulement après y avoir créer sa filiale, Attijariwafa Sénégal. Comment ces banques marocaines parviennent-elles ainsi à s'imposer aussi bien dans le Royaume que sur le continent ?
Elles ne s'en cachent pas en tout cas. Toutes les deux estiment disposer d'un modèle à exporter. BMCE Bank a ainsi fait son entrée au capital (avec 35 %) du groupe Bank of Africa (BOA), d'origine ouest-africaine et aujourd'hui implanté dans onze pays d'Afrique subsaharienne. La banque est le troisième financier de la sous-région UEMOA, derrière Ecobank. Rappelons que le total de bilan de la BOA atteint les 1,3 milliard d'euros. Ce coup de maître semble utile aux deux parties : BMCE, qui était déjà implantée au Sénégal, via sa filiale de banque d'affaires, BMCE Capital, souhaitait se tourner vers le sud du Sahara, tandis que BOA cherchait depuis longtemps un appui capitalistique et stratégique fort, qu'elle pensait avoir trouvé avec la Belgolaise, avant que celle-ci ne soit liquidée par son actionnaire néerlandais, Fortis.
En s'implantant en mars 2003 au Sénégal, BMCE Capital s'est imposée parmi les banques d'affaires sur lesquelles le gouvernement sénégalais s'appuie pour ses montages financiers. En quatre ans d'activité, son palmarès est édifiant : emprunt de 50 millions d'euros pour le compte du port autonome de Dakar et qui servira à financer l'extension d'un terminal à conteneurs et la construction d'une nouvelle plate-forme de dégroupage, financement pour la construction de l'aéroport Blaise Diagne de Diass, qui a débuté il y a trois mois, et l'accompagnement pour l'attribution d'une troisième licence de téléphonie que vient de remporter l'opérateur soudanais, Sudatel, pour un ticket d'entrée de 160 millions d'euros. Le fait d'être présent en continu sur le continent est un grand avantage pour cette filiale de banque d'affaires de BMCE Bank, si l'on compare à la concurrence qui déploie généralement des équipes mobiles dans le pays où un dossier l'intéresse. Celle-ci est composée principalement par les Anglo-saxonnes, au premier rang desquelles Rothschild, Warburg, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Merrill Lynch et les Françaises, comme les groupes BNP, Société générale et le CCF Charterhouse. Mais comme si tous les chemins menaient vers l'Afrique, BMCE Bank ne va pas hésiter à mettre à contribution sa filiale britannique, baptisée Medicapital Bank, spécialisée dans la banque d'affaires et qui compte, parmi ses administrateurs, Peter Cooke, le «créateur» du ratio du même nom. En effet, la filiale londonienne de BMCE Bank fera son entrée au capital du groupe tunisien Axis, spécialisé dans le conseil financier et l'intermédiation boursière, avant de lancer en juin 2006 le groupe financier Axis Capital. Medicapital Bank est également le premier actionnaire privé (avec 20 % du capital) de la Banque de développement du Mali (BDM), le plus important établissement du pays, et elle contrôle La Congolaise de Banque (25 % du capital).
Regard sur la Tunisie
La première banque commerciale privée du Maroc n'est pas en reste. À peine la méga fusion BCM-Wafabank entérinée, le champion national se tournait déjà vers l'Afrique. Dès 2004, il prend soin d'étudier la possibilité de participer à la privatisation de la Banque du Sud en Tunisie. Il y renonce dans un premier temps, en raison de la fragilité financière de la cible. Il continue néanmoins à suivre de près l'établissement. Attijariwafa revient à la charge une année plus tard, pour concrétiser une prise de participation de 33 % dans le capital de la Banque du Sud, avec son partenaire espagnol Grupo Santander. Son management a l'ambition d'en faire le deuxième établissement tunisien à l'horizon 2010. La saga africaine d'Attijariwafa ne s'arrête pas là. En 2005, elle crée une banque au Sénégal, en investissant quelque 35 millions de dirhams. Elle se renforce davantage dans ce pays en signant un protocole d'accord pour le rachat des deux tiers de la Banque sénégalo-tunisienne (BST). Un réseau de 13 agences, très actif sur le segment des entreprises, vient donc s'ajouter aux trois agences d'Attijariwafa, qui a choisi d'élire domicile à une centaine de mètres de la résidence présidentielle à Dakar. Et le «champion africain» ne compte pas s'arrêter là. Il reste à l'affût de toute opportunité qui pourrait se présenter dans la région. Il a d'ailleurs déposé une demande d'agrément pour l'ouverture d'une banque en Algérie, emboîtant le pas à la BMCE Bank qui, elle, a déjà obtenu son sésame pour exercer sur ce marché.
Dès le début de l'aventure sénégalaise, les dirigeants d'Attijariwafa bank annonçaient qu'ils comptaient, le plus rapidement possible, devenir l'une des institutions majeures du paysage financier du Sénégal. Première banque du Maghreb, Attijariwafa Bank se donnait, avec son arrivée au Sénégal, les moyens de devenir une banque qui compte dans la zone UEMOA. Les dirigeants n'ont, d'ailleurs, jamais caché que leur ambition, en s'implantant au Sénégal, était d'acquérir une tête de pont pour aller à la conquête de l'Afrique de l'Ouest. Tous ceux qui avaient des doutes à ce sujet s'en sont rapidement rendu compte, quand, près de sept mois plus tard, la banque sénégalo-tunisienne (BST) a été avalée avec 66,67 % de ses parts rachetées. Le processus de fusion est même achevé plus tôt que prévu. Il a eu lieu en juillet dernier.
L'enseigne Attijariwafa devient ainsi la troisième banque du Sénégal, en attendant. Cependant, alors que les Sénégalais n'ont pas encore compris la place qu'ils occupaient dans les rêves de la première banque privée marocaine, cette dernière est en train de se préparer déjà à consolider une position au Burkina Faso. Il ne serait pas surprenant d'apprendre qu'Attijariwafa Bank a totalement absorbé La Financière du Burkina.
Aujourd'hui également, dans sa quête d'opportunités en Afrique de l'Ouest, Attijariwafa bank lorgne la BIA Niger (Banque internationale pour l'Afrique au Niger), la première banque nigérienne. Elle est candidate pour racheter les parts de la Belgolaise. Rappelons que c'est le retrait de cette filiale du groupe néerlandais Fortis qui a permis à BMCE Bank de faire son entrée dans le tour de table de la BOA. Derrière cette offensive, deux grands enjeux : celui des transferts d'argent entre l'Europe et l'Afrique opérés par les Africains résidant à l'étranger et celui des flux d'affaires entre les deux continents. Depuis plus d'une quinzaine d'années, à coups de privatisations et de nouvelles réglementations, le secteur bancaire africain a été fortement restructuré et assaini. Dans ce contexte, les banques sont devenues des établissements suffisamment rentables pour attirer les banques marocaines, dont le secteur a bouclé sa restructuration depuis plusieurs années. L'Afrique subsaharienne, à elle seule, présente pour les banques des niveaux élevés de rentabilité des fonds propres, se situant entre 20 % et 40 %. Seule l'Afrique du Nord, à l'exception du Maroc, présente encore certaines résistances, la libéralisation du secteur y étant moins rapide qu'au sud du Sahara (voir encadré). Ce qui n'empêche pas Attijariwafa Bank et BMCE de se placer en Tunisie et en Algérie, dans l'attente d'une réelle ouverture des marchés.
Sur les échanges avec le Maroc et en s'appuyant sur ses nouvelles implantations en Tunisie et au Sénégal, Attijariwafa Bank aimerait bien damer le pion au leader historique, le Groupe Banques populaires. Celui-ci détient plus de la moitié des dépôts des résidents à l'étranger. BMCE, pour sa part, mise plutôt sur la captation des flux d'affaires engendrés par les grands contrats d'équipements ou d'infrastructures, ou encore par les privatisations. L'existence de ses banques d'affaires en Tunisie, au Sénégal, à Londres et bientôt à Libreville est là pour témoigner que cette stratégie lui profite.
Les moyens d'internationalisation des banques marocaines
Place à «la nouvelle banque africaine». C'est un nouveau visage que le paysage bancaire africain est en train de prendre. Il se reconstruit, autour d'un nouveau concept de réseaux privés à capitaux majoritairement africains, désormais en pleine croissance. Résultat : les banques occidentales, surtout françaises (BNP, Crédit Lyonnais, Société Générale), bien implantées dans l'UEMOA, semblent tétanisées et sans réaction par la déferlante d'établissements, parfois 100 % africains. Ecobank, Bank of Africa, Afriland First Bank... Peu connus en dehors du continent, ces noms accaparent peu à peu les devantures des agences bancaires d'Afrique subsaharienne. Ces établissements sont de véritables multinationales bancaires à capitaux et management essentiellement africains. Rien d'étonnant. Ébauche d'un capitalisme régional intégré, ces réseaux sont nés dans les années 1980 sur un créneau laissé vacant par les établissements internationaux, totalement accaparés par une clientèle haut de gamme, composée de filiales de multinationales et de particuliers fortunés.
Voilà donc l'atout de ces réseaux : pouvoir proposer des produits adaptés aux caractéristiques de l'économie africaine, et non recycler des offres conçues à l'origine pour des pays développés. C'est du moins leur discours, mais aussi celui des banques marocaines installées sur le continent. Par rapport à leurs consœurs du Maghreb, les Marocaines ont, là aussi, plus d'un coup d'avance. En effet, les banques tunisiennes et algériennes sont aujourd'hui dans une phase de restructuration nécessaire à la rationalisation de leur activité et à leur développement. Les banques marocaines ont eu la chance de procéder à cette mise à niveau plus tôt.
En 2006, les établissements marocains atteignent des sommets, avec un rapport bénéfice net-capitaux propres de 10 %. Au total, les huit établissements qui comptent sur la place ont engrangé un peu plus de 7 milliards de DH. Les deux mastodontes du secteur, le Groupe Banques Populaires et Attijariwafa bank, viennent très largement en tête avec respectivement un bénéfice net de 2,3 et près de 2,1 milliards de DH, affichant dans le même temps une marge nette de 37,7 et 30,4 %. Ils sont suivis par BMCE Bank qui a annoncé 950 MDH. Les banques marocaines disposent donc, c'est maintenant confirmé, des moyens de financer une internationalisation devenue hautement stratégique.
Une nouvelle
logique pour le groupe Banques Populaires
Pionnière dans l'implantation de banques marocaines en Afrique, le Groupe Banques Populaires (GPB) tient à se renforcer sur le continent. Il faut dire que l'installation de banques marocaines en Afrique n'est pas toute récente.
Les premières implantations remontent au début des années 1990 avec les ouvertures de filiales du Groupe Banques Populaires en Guinée et en République Centrafricaine. Mais ces implantations reposaient plutôt sur des considérations politiques.
Aujourd'hui, le GPB est en train également de s'inscrire dans ce nouveau regain d'intérêt pour le continent.
Il a décidé de s'installer en Mauritanie. Disposant de ressources minières exceptionnelles, auxquelles s'ajoutent de réelles perspectives dans le domaine du pétrole et du gaz, la Mauritanie a attiré deux banques françaises en l'espace de trois mois au courant de cette année.
La Société Générale, profitant de la cession de la Banque internationale d'investissement (BII), a ouvert ses locaux en février, tandis que la BNP Paribas est opérationnelle depuis la mi-avril. La première est associée au sein du capital de BII à des investisseurs européens disposant d'une expérience du marché mauritanien, le groupe français Ballouhey SA (36,75 %) et la Banque européenne d'investissement (12,25 %). Mettant en avant la même logique économique que celle adoptée en Mauritanie, la banque dirigée par Nourreddine Omary, prévoit de poursuivre son offensive sur le continent «Aller partout en Afrique, là où l'intérêt économique est justifié aussi bien pour le pays d'accueil que pour le groupe».
C'est ainsi que certains pays d'Afrique sont dans le collimateur du GBP.


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