Si des débuts timides sont enregistrés, beaucoup d'obstacles restent à surmonter. Avec l'arrivée d'un poids lourd qui change la donne, l'heure est à la reconfiguration de l'offre. Le Plan Emergence n'a pas trop servi les intérêts du secteur de l'agro-industrie, un secteur censé représenter l'un de ses piliers au grand potentiel, notamment à l'export. A qui en incombe la faute ? Les professionnels imputent en grande partie la responsabilité au ministère de l'Agriculture, qui n'a pas joué son rôle pour faire aboutir les recommandations du cabinet McKinsey. Les recommandations globales (puisqu'il n'y a pas eu de mesures ciblées en la matière) du cabinet international préconisent une meilleure coordination avec l'amont (agriculture) afin d'accroître les volumes et la régularité de la production. Or, «le ministère de tutelle n'a rien fait dans ce sens. L'amont agricole est essentiel. Sans lui, il ne faut pas s'attendre au développement de l'agro-industrie», déplore un industriel. En plus de cela, nombreux sont ceux qui estiment que l'étude de McKinsey n'est pas allée en profondeur dans l'établissement de ses recommandations. Les mesures sont trop générales. Elles ne peuvent pas être appliquées immédiatement. Exemple. Le cabinet étranger conseille aux Marocains de développer l'activité des olives en améliorant les exportations. «Ce que le cabinet ne mentionne pas, c'est la manière dont elles doivent être développées», regrette un responsable ministériel. Et de poursuivre : «c'est pour cela que nous devons élaborer des études plus minutieuses, plus détaillées et plus poussées si nous voulons concrétiser le plan Emergence dans ce domaine». De l'avis des intervenants du secteur, si le plan Emergence n'aboutit pas encore dans le domaine de l'agro-industrie, c'est aussi en raison des interférences entre le ministère ayant la tutelle de l'Agriculture et de la Pêche et le département du Commerce et de l'Industrie, qui pilote Emergence. Aujourd'hui, les professionnels sont «amers». Ils regrettent que leur secteur, bien que considéré comme une priorité dans le programme Emergence, n'ait pas connu le succès des filières comme l'offshoring ou l'aéronautique et l'électronique. Il mérite pourtant l'attention. « Le temps passe très vite. Nous aussi avons le droit d'être traités de manière égale aux autres secteurs porteurs. Nous avons autant de potentiel qu'eux », argumente Hassan Debbagh, président de Ficopam, la Fédération des industries de la conserve des produits agricoles. Depuis la publication de l'étude McKinsey, très peu de choses ont donc été réalisées dans ce secteur. Qu'était-il prévu initialement? Où en est-on arrivé ? Le pôle de compétitivité de l'Oriental, le plus avancé des projets Dans le secteur de l'agroalimentaire, le plan Emergence a retenu trois axes à développer. Le premier concerne les filières à fort potentiel comme les maraîchages, les condiments, les herbes et épices et les petits fruits. Le deuxième propose le positionnement du Maroc sur de nouvelles filières en forte croissance comme la transformation des produits «bio» et les plats cuisinés. Le troisième s'articule autour d'une relance plus agressive sur des filières traditionnelles comme l'olive, l'huile d'olive, l'huile d'argan et le jus d'orange de qualité supérieure. Il a même été question de créer quatre pôles régionaux de compétitivité: le bi-pôle Meknès-Fès, le pôle du Gharb, le pôle Oriental et le pôle agro-technologique de Souss-Massa-Draâ, censé tirer le secteur vers le haut. «La notion de closter a été introduite pour intégrer tous les intervenants d'une filière dans un même projet», explique Hassan Debbagh. Pour l'instant, dit-il, les intervenants dans la ville de Marrakech ont identifié la nature des filières à développer. Il s'agira dans un premier temps de tout ce qui est végétal. « Le choix a été porté sur la filière des olives, produit phare de la région, et sur l'abricot. Les travaux démarrent à peine ». Difficile de faire donc un quelconque bilan. Quid des autres pôles ? Une étude financée par la Banque Mondiale est en cours de réalisation. Elle porte sur un projet de développement de fruits rouges dans la région du Loukkos. Les résultats définitifs ne sont pas encore tombés. En ce qui concerne le pôle Fès-Meknès, il a été décidé de le localiser à Meknès. Une étude était engagée pour définir le positionnement et les filières à développer. Elle a été mise en stand-by, le temps de résoudre un problème lié au foncier. Il a été résolu au mois d'août et maintenant, l'étude peut reprendre son cours normal. Elle devra être présentée d'ici à la fin de l'année en cours. A Oujda, lieu qui abritera le pôle de l'Oriental, «nous sommes en phase de placement avec le cabinet Ernst & Young. Nous avons identifié les projets structurants et nous cherchons à les placer auprès de développeurs nationaux et étrangers», indique un responsable au ministère du Commerce et de l'Industrie. Au Gharb, une convention vient d'être bouclée pour lancer les études de positionnement et de définition des filières. Les travaux globaux sont mis sur les rails. Mais ils évoluent lentement. Les professionnels estiment qu'un retard a été pris dans la concrétisation de ces projets. Le responsable au ministère du Commerce et de l'Industrie ne partage pas le même avis. «Notre ministère essaie de susciter l'intérêt et de mobiliser les projets pour les faire porter par les acteurs locaux. Je ne pense pas qu'il y ait eu de retard. Le temps que cela a pris était nécessaire pour que tous les acteurs prennent conscience de l'ampleur des projets», reconnaît-il. Une société se constitue dans le pôle pêche Sur le plan des industries de transformation des produits de la mer, le plan Emergence a mis l'accent sur l'accélération du développement de ce secteur en forte croissance par une optimisation de la valorisation des produits transformés et une diversification des sources d'approvisionnement en matières premières :focalisation principale sur l'optimisation des pélagiques, le développement de la production de congelé élaboré et la meilleure valorisation des produits haut de gamme. A terme, le plan de McKinsey table sur un chiffre d'affaires supplémentaire de 3 milliards de DH et 50 000 emplois. Pour la mise en œuvre, le principal pôle de développement est implanté à Agadir. Les travaux sont déjà engagés. Une société, dont le tour de table est composé du Crédit Agricole, de la Région, du fonds Igrane et de Medz, est en cours de constitution. L'étude de positionnement stratégique est elle aussi sur les rails. Le projet prend donc forme. Si ce chantier en est à un stade avancé, il n'en est pas de même d'autres actions prévues par le Plan. Sur le plan de la diversification des ressources halieutiques, Hassan Sentissi, le président de la Fenip, la Fédération nationale des industries de transformation et de valorisation des produits de la pêche, ne manque pas de rappeler que la conjoncture n'a pas été favorable pour mener le Plan dans le secteur de la transformation des produits de la mer. Le timing n'était pas bon pour lancer quoique ce soit puisque depuis l'an dernier, des problèmes sont apparus en matière d'approvisionnement (manque de ressources). Et quant au plan d'aménagement des pélagiques concocté par le ministère de tutelle, Sentissi réitère la position de la profession selon laquelle les professionnels sont en désaccord avec le contenu de ce plan. Des modifications devraient à cet effet être portées. Des pistes pour booster l'activité Contrairement à d'autres secteurs, l'agro-industrie a encore du chemin à faire. Si les pouvoirs publics souhaitent lui donner un coup de pouce, ils devront montrer alors qu'ils lui accordent plus d'intérêt. Dans le secteur de la transformation des produits agricoles, Hassan Debbagh n'a de cesse de répéter que le secteur mérite une attention particulière. Sa fédération a concocté un plan d'action qui ne coûte pas cher. Parmi les actions préconisées : l'instauration de mesures dirigées vers le producteur agricole (formation, optimisation des ressources…), la mise à niveau des industries, la généralisation du système de qualité et sa vulgarisation et l'organisation des relations entre les différents maillons de la chaîne. Les professionnels avaient même espéré conclure un contrat-programme avec l'Etat. Depuis 1999, ce dossier est présenté aux pouvoirs publics sans qu'il n'obtienne leur adhésion. Idem du côté de la pêche où Sentissi évoque également l'option d'établir ce genre de contrat. Le projet est aussi en stand-by. Parmi les recommandations que la profession formule pour dynamiser le secteur, il y a lieu de citer également le renouvellement de la flotte. « C'est un problème, nous ne disposons pas de flotte adéquate. Une grande majorité des bateaux sont vétustes ». Pour le président de la Fenip, les bateaux qui ne font plus l'affaire doivent être mis hors circuit. « On pourrait, au besoin, indemniser les partants. Ceux qui décideront de rester, les plus petits d'entre eux, pourraient, pourquoi pas, se regrouper ». Autant de propositions. A charge aux professionnels de convaincre maintenant la nouvelle équipe gouvernementale pour accélérer les chantiers.