Depuis le 19 octobre 1955, Rabat se prépare au retour de Sidi Mohammed, souverain de l'empire chérifien. Le président du Conseil du trône, Fatmi Benslimane, accompagné par M'barek El Bekkaï, se sont rendus à Paris pour parachever les derniers préparatifs. Les mosquées, désertes depuis 1953, ont connu une extraordinaire affluence après l'ébruitement de la nouvelle sur le retour du sultan. Les prières au nom du cher exilé fusent. Le Maroc commémore, lundi 18 novembre, le discours prononcé avant soixante-neuf ans, le 18 novembre 1955, dans lequel le souverain annonçait «la fin du régime de tutelle» et «l'avènement d'une ère de liberté et d'indépendance.» Le texte, selon les historiens, constituera «une charte» axée sur une triple mission de gouvernance, d'élaboration des futures institutions démocratiques et de négociation directe avec la France. Le mécontentement général causé l'éloignement du sultan touche même les territoires des grandes tribus berbères, toujours insoumises. La colère du peuple gronde et réclame celui qui synthétise ses revendications par le consentement de la nation. Novembre 1955 était un mois bien rempli pour le souverain de l'empire chérifien. Les gardiens du trône ont regagné Rabat, le palais impérial est en ébullition, Sa Majesté veut prendre l'engagement de mettre en œuvre «les réformes institutionnelles qui feront du Maroc un Etat souverain à monarchie constitutionnelle.» Quant au cabinet exécutif, il conduira avec la France les délibérations destinées à faire accéder le Maroc au statut d'Etat indépendant. Le 17 novembre, Rabat est en fête. Le sultan, accompagné du prince héritier Moulay Hassan, s'est rendu à Fès pour s'y recueillir sur la tombe de sa mère disparue en août 1953. Les cérémonies, habituellement destinées à commémorer l'anniversaire de l'accession au trône de Sidi Mohammed, seront désormais associées à l'anniversaire de son retour d'exil. Le sultan consulte son entourage direct pour mettre au point le discours qui dressera les perspectives d'un «nouveau Maroc.» Le service d'ordre sur l'aérodrome de Salé déploie un personnel doté de brassards et de laissez-passer. Il faut sécuriser l'itinéraire de quinze kilomètres jusqu'au Palais impérial ainsi que le cortège chérifien. Néanmoins, les ovations qui s'étaient élevées ont réjoui non seulement Sidi Mohammed, mais également le cordon de troupes et les haies d'honneur qui ont investi l'intérieur du Méchouar. Le sultan Sidi Mohammed continue de recevoir les délégations marocaines, veut obtenir des assurances précises sur l'avenir des relations entre Paris et Rabat, rencontre les figures des partis nationalistes, lesquelles exigent «le respect des fiertés nationales» et insistent sur «l'importance des intérêts communs et de l'évolution des institutions chérifiennes.» Sidi Mohammed, favorable à l'instauration d'un régime démocratique, autorisera la publication d'un texte officiel qui emploie ces termes et évoque, symboliquement, le «roi», et non plus le sultan. Quelques heures après, il reçoit une délégation officielle israélite qui obtient les assurances chérifiennes qu'aucune discrimination ne sera jamais faite entre Marocains et que «les israélites marocains sont des citoyens de plein droit comme leurs compatriotes musulmans.» Les représentants de ces communautés, réunis à Rabat, ont exprimé au sultan «leurs sentiments déférents et leur filiale affection», et «invité les populations israélites à s'associer à leurs compatriotes musulmans pour fêter dans l'allégresse le retour en France de Sidi Mohammed Ben Youssef et l'espoir de sa proche restauration.» Le 16 novembre 1955 devrait être associé à une autre date : le 20 août 1955 : dépêché en urgence à Antsirabe, le général d'armée Georges Catroux tente de trouver une issue définitive «avec l'exilé.» Cet ancien gouverneur général de l'Algérie, qui rentré à Paris le 11 septembre, indique que la seule solution du «problème marocain» était, dans le cadre de l'indépendance complète, le retour du souverain chérifien sur son trône, alors occupé par une mauviette à la solde des officines du protectorat. Le 9 novembre 1955, à 10 H 15, Thami El Glaoui a été conduit, après une longue attente, auprès de Sidi Mohammed. Il s'est alors avancé, incliné, jusqu'aux pieds du souverain et a demandé l'aman, puis le grand pardon en tant qu'un «humble serviteur.» «Ne me parle plus du passé. Le passé est oublié. Ce qui compte, c'est l'avenir, Nous sommes tous des fils du Maroc. Toi aussi, tu es un fils du Maroc et c'est sur ce que tu feras dans l'avenir que tu seras jugé», confie le souverain qui est sans doute maître chez lui désormais et personne ne peut plus le déposséder de sa souveraineté. Le sultan pourra apprécier où sont ses alliés sincères qui ne désirent que l'intégrité, le développement et l'ouverture du Maroc, et où, ceux qui ne cherchent qu'à exploiter au profit d'intérêts personnels ou d'ambitions inavouées pour ouvrir la porte aux intrigues et aux cupidités étrangères.