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Jilali El Adnani, historien : « Chaque jour la France fait preuve d'une politique qui l'accable davantage dans ses rôles joués au temps de la colonisation mais surtout ses silences (…) lors de la préparation du dossier du Sahara par le Maroc »
Publié dans Barlamane le 29 - 10 - 2023

L'histoire et le passé au service de l'actualité brulante de la marocanité du Sahara. L'ouvrage de Jilali el Adnani historien et spécialiste de l'histoire sociale et religieuse, « Le Sahara à l'épreuve de la colonisation, un nouveau regard sur les questions territoriales », est un livre académique sans cesse enrichi et réédité, qui apporte un nouveau regard sur la marocanité du Sahara. Il a été préfacé par Grigori Lazarev, géographe, socio-économiste, et généraliste du développement rural, qui qualifie l'ouvrage de « clarification d'un sujet complexe ». Il insiste sur votre "Œil d' historien qu'on ne peut accuser d'aucune subjectivité "car toutes vos " sources étant toutes celles des archives des autorités coloniales qui prirent le contrôle du Sahara ... archives des différents fonds coloniaux dispersés en France, mais aussi celles du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie » comme le souligne Lazarev, tout en expliquant qu'il ne vous a pas été « possible d'accéder aux archives espagnoles et algériennes mais [que vous avez] étudi[é] scrupuleusement les publications de ces pays ».
Question 1 :C'est une question de conquête militaire mais aussi de géographie, d'histoire et de religion. Ai-je oublié un aspect traité dans votre ouvrage ?
Réponse : Pour tout dire, ce livre a fait le tour de la question de la genèse et du processus du conflit autour du Sahara marocain car il est le fruit de plus de 24 années de recherches et de collectes d'archives et documents. C'est surtout à partir d'une approche géo-historique que j'ai pu développer une méthode et une approche qui prennent en considération l'histoire de l'espace et les contextes des actions que ce soit des résistants ou des colons. Le recoupement des archives coloniales militaires et civiles, publiées ou secrètes nous a aidé à découvrir le double langage de la colonisation qui est celui de nier la marocanité du Sahara officiellement et pour faire face aux pressions internationales et celui de la reconnaître dans les archives secrètes ou très secrètes.
Q2 : Pour comprendre la question du Sahara, vous dites que le problème est moins lié à la situation de l'ex Sahara espagnol (ou de Rio Oro) qu'à la, politique de l'AOF (Afrique occidentale française) mais aussi à l'histoire de l'Algérie coloniale. Eclairez-nous davantage …
R: Je n'ai pas cessé de travailler et de rappeler la métaphore de l'Alsace-Lorraine perdue par la France après la débâcle de 1870 et le chute du second empire. Cette métaphore est celle de considérer les « Saharas marocains : oriental et occidental) comme étant l'Alsace-Lorraine que la France ne doit pas céder ou partager avec l'Allemagne qui en a fait des pressions dans ce sens entre 1891 et 1911. La France et surtout son ambassadeur Jules Cambon a préféré une puissance faible, qui est l'Espagne, au lieu de faire un partage avec une autre puissance européenne. Les Français d'ailleurs tout comme les Allemands évitaient d'avoir de nouvelles frontières en Afrique, le drame des frontières au sein de l'Europe est un dilemme comme on le verra avec les deux guerres mondiales. La France, et surtout Jules Cambon qui a signé au nom de l'Espagne le traité de paix avec les USA à Paris suite à la défaite espagnole à Cuba et la perte des Philippines, a cru que l'Espagne était faible et que le partage territorial au Sud comme au Nord du Maroc consistera en zone d'influence que la France récupérera quand il voudra. A partir du traité secret franco-espagnol de 1902 et 1904 et surtout d'Algésiras en 1906 et celui de 1912, la France est engagée tout comme les puissances européennes à préserver l'intégrité territoriale du Maroc.
On est déjà en porte à faux avec ces traités puisque ni la France ni l'Espagne n'ont respecté ce principe. Et c'est à partir de l'AOF et de l'Algérie qu'on a commencé à créer des vides, des zones de dissidence et des zones de confins pour pouvoir mener des conquêtes et des annexions arbitraires. L'obsession d'assurer une façade atlantique à l'Algérie est toujours de mise puisque l'héritage colonial français a été hérité et sauvegardé au nom du principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Q3 : Comment la politique religieuse coloniale et celle de l'Algérie dans les camps de Tindouf ont-elles forgé les visées coloniales de l'Algérie et par conséquent celles sécessionnistes du polisario ?
R : La politique territoriale, religieuse et politique à Tindouf a commencé par la tentative de sauvegarder le marché de Tindouf dans l'espace contrôlé par la France pour réanimer l'axe commercial reliant Mogador, Goulmim, Tindouf, Bir Lahlou (puits partagé entre les militaires espagnols et français) et la saline d'Idjil puis Tombouctou. Plus tard on découvrira au sud de Tindouf et à côté d'Idjil deux grandes mines de Fer. Tindouf va devenir le parechoc de la colonisation française pour préserver ses intérêts économiques en Mauritanie. Entre1957 et 1962, c'est la fabrique du séparatisme sahraouie par les autorités coloniales et on a lancé des troupes armées contre Tata, Akka et Assa pour maintenir au Nord les troupes de l'Armée de libération. Quant à la politique religieuse, les autorités coloniales tiraient les ficelles entre les Mâa El Ainain qui furent chargé par le Khalifa sultanien de Tétouan de gérer les régions sahariennes sous contrôle espagnole, et les tribus Reguibats et Tajakant en jouant sur le passé religieux et les origines ethniques. Mais c'est surtout la politique ethnique qui a été de mise pour couper Tindouf de ses relations historiques et culturelles avec le Tafilalt et surtout les tribus d'Ait Atta dont Ait Khebbach et les Béni Mhammed, anciens alliés des Tajakant depuis les anciens temps jusqu'à l'arrivée des Français dans la région.
Q4 : Quelles sont les racines de cette réputation -que vous qualifiez de propagande- d'un Maroc hégémonique dès qu'il s'agit de la question du Sahara que vous mentionnez et quelles en sont les conséquences sur le processus de règlement de ce conflit ?
R : Pour échapper à cet étiquetage issu de l'écriture de l'histoire nationale comme c'est le cas du Mali et de l'Algérie, il faudrait dire que ce qu'on appelle le Maroc expansionniste est une invention française dont les usages étaient multiples. Au temps de la guerre du Rif on a parlé d'une révolte sanhadja tout comme c'est le cas du mouvement d'Ahmed El Hiba. Robert Montagne est allé jusqu'à dire que les Sanhaja du Rif et du Sahara ont manqué une occasion pour réaliser le rêve des Almoravides. Ce rêve sera réalisé en partie par les théoriciens de la colonisation qui vont inventer l'Empire chérifien au moment ou la moitié des territoires marocains ont été amputé au profit du Mali, de l'Algérie et de la Mauritanie. L'étiquette d'un Maroc expansionniste a profité à ceux qui ont reçu en cadeau le territoire marocain. Cette accusation a servi d'alibi aux premiers gouvernements algériens pour faire passer le principe de l'intangibilité, inventé par Mohammed Bedjaoui qui sachant que l'Algérie constitué surtout d'un Sahara oriental sera chargé à l'ONU de défendre les principes de décolonisation et d'autodétermination. Le contexte politique et idéologique de l'époque n'a pas servi la cause marocaine et c'est ainsi que les lieux de la colonisation sont devenus les lieux de la propagande anti-marocaine voire la « Mecque » des mouvements de libération et de séparatisme.
Q5 : Qu'entendez-vous par la nécessité de produire du contenu scientifique pour se défaire de la "littérature tribale coloniale" et en quoi cette dernière est-elle une négation à la marocanité des régions sahariennes ?
R : La littérature tribale coloniale est le produit de la mission scientifique du Maroc créé en 1902 et en général toute la littérature produite entre 1880 et 1955. Elle est spécifiquement encadrée par la direction des affaires indigènes et donc sur le renseignement et les rapports des Bureaux-arabes hérités de l'Algérie. Cette politique est marquée par deux visions coloniales le dualisme Arabes/Amazighs et le pays soumis au Makhzen et l'autre qui lui échappe dit Siba. Nous avons démontré qu'il y a une histoire et une âme qui gouverne le territoire marocain et que les théories coloniales avaient pour but d'éviter toute unité territoriale ou cohésion sociale. Le rapport du général H. Simon datant de 1931 et qui a été ordonné pour enquêter sur les causes et les conséquences du Dahir dit berbère du 16 mai 1930 est là pour dénoncer la politique coloniale. Une copie de ce rapport fera l'objet d'une présentation sur la question de l'intégrité territoriale et la politique « berbère » des autorités coloniales le 17 novembre prochain à la Fondation Boubker El Kadiri et où il sera question de comment les autorités coloniales avaient emprunté la dualité Arabes/Amazighs pour mener à bien son projet colonial.
C'est pourquoi on a démontré dans ce travail que la question des territoires siba ou dissidents était une ruse pour élargir et légitimer la colonisation plutôt que de refléter une vraie situation socio-politique.
Q6: le fonds documentaire auquel vous faites référence et que vous présentez dans votre livre en annexe est impressionnant en contenu et en nombre (pp286-419). Vous avez consulté les archives françaises, les archives marocaines, qui font état de diverses sources (soudanaises, orientales, arabes, lusophones-hispaniques), vous avez fait référence à des sources très confidentielles. Si vous deviez en partager quelques -unes avec le lecteur sur la question quelles seraient elles – tracés des frontières et correspondances entre anciens colons, comprises ?
Je pense que les documents at archives sur la marocanité du Sahara méritent une publication à part et qui est en cours. Ces archives touchent à la responsabilité de la France dans le conflit et dans sa genèse. Chaque jour la France fait preuve d'une politique qui l'accable davantage dans ses rôles joués au temps de la colonisation mais surtout ses silences lors de la guerre des sables en 1963 et lors de la préparation du dossier du Sahara par le Maroc. La France a refusé de verser ses archives au Maroc et à l'Algérie et je me demande pourquoi elle ne l'a pas présenté (du moins le dossier cartographique qui regroupe les armes du crime des amputations territoriales) à l'ONU ou encore à la cour internationale de Justice. L'appel de certains pays et ONG à la solde de la thèse séparatiste pour considérer les produits provenant du Sahara marocain comme illégal devraient faire l'objet d'un procès non seulement devant le Tribunal européen mais surtout devant la Cour internationale de Justice. Les pièces manquantes au dossier de 1975 sont maintenant abondantes et les autorités françaises devraient à la place du Maroc répondre à la question à laquelle a répondu le Maroc ; à savoir si le Sahara a été terra Nullius ? La France devrait répondre à la question suivante : après la conquête de Tindouf et du Sahara oriental et occidental, avez-vous trouvé un système politique makhzénien ou est-ce que vous avez appliqué un système colonial français ?
La France a à sa disposition toutes la cartographies, les archives secrètes pour reconnaître la marocanité du Sahara. Son refus catégorique de vendre des cartes datant des années quarante jusqu'aux années soixante du Maroc et surtout des zones frontières, en 1963 au profit de l'Allemagne ,comme tant d'autres documents sur la création du séparatisme entre 1958 et 1962, sont là pour attester de la fausseté des raisons d'être d'un corps intrus récupéré par l'Algérie depuis 1973 alors que cette même Algérie avait déclaré en 1965 et 1966 que les 40 mille nomades ne méritent pas d'être indépendants et qu'ils devraient vivre sous contrôle espagnol. La signature du traité stratégique algéro-espagnol visant une exploitation commune du Fer de Gara Djbilet et le phosphate de Boucraâ a rendu l'Algérie myope à tout « mouvement de libération ».
Q7: Sachant que le travail de l'historien sert non seulement à consigner et à comprendre ce qui s'est passé mais aussi à réparer les erreurs du passé, et sachant que Saffan De Mistura a accompli toutes les visites dans toutes les zones couvrant le conflit et rencontré toutes les parties directement impliquées, y a-t-il encore plus de recherche scientifique et académique à fournir, ou est -ce que les documents, et autres preuves disponibles sont-ils à la portée de tous (notamment au conseil de sécurité de l'ONU) et pour ce que vous nommez "arbitrage objectif" imminent et donc une solution définitive ?
R : Je pense que les travaux cumulés ces dernières années à la suite de mon livre et aussi d'autres travaux de recherche sont là pour montrer que le Maroc est présent dans l'Azaouad et surtout dans la Saline de Taoudeni jusqu'en 1928 date de la « Révolution du Caïd marocain » comme le nomme les archives de Dakar et d'Aix-en-Provence. Comment se fait-il qu'un caïd nommé par Dahir dirige l'Azalai (la caravane du Sel) au Nord du Mali rentre en révolte contre les autorités coloniales qui ont cherché à lui imposer un prix bas pour les barres de sel à destination de Tombouctou ?
Il est question des traités sur le statut des terres au Sahara, un document de grande importance qui fera l'objet d'une publication prochaine et qui aura un impact positif dans la stratégie de défense de la question nationale. Son contenu juridique lui accorde une importance inégalée et c'est pourquoi il a été maintenu secret jusqu'à sa découverte tout récemment.
Q8 : Quelle explication du point de vue objectif de l'historien au fait que la question du Sahara qui paraît simple à la lecture des documents et face à la réalité du terrain (consultation effective des représentants sahraouis des populations locales des provinces du Sud et leur implication dans la politique et la gestion de la chose publique) est traitée, semble-t-il, par l'ONU, comme un problème secondaire d'un côté et mineur d'un autre puis qu'il dure depuis plus de 50 ans ?
R : Je pense que la question du Sahara marocain a été mal posée du point de vue juridique puisque le Maroc méridional et la Sâqiyya al-Hamra n'ont jamais été considérés comme colonies puisque protectorat et zone d'influence. C'est par des subterfuges comme le Rio de Oro appliqué aux trois territoires distincts et le Sahara espagnol que l'Espagne a su imposer le statut de colonie. Du coup, le principe de décolonisation ne s'applique pas à ces territoires mais uniquement à Rio de Oro et Sidi Ifni considérés en tant que tels.
La gestion et l'administration du Sahara depuis Tétouan et ce jusqu'en 1949 (Bulletin officiel espagnol) montre que si les caïds et pachas de Tindouf, Béchar, Touat, Reggan et Tidikilt ont été retenu par la France, l'Espagne a fait de même avec les tribus makhzens comme les Teknas et les Azerguins ou encore les grands de la famille Maâ El Ainain. Le temps politique précolonial fut reconduit et le colonialisme s'est contenté de reproduire les signes du système makhzen sans aucune hésitation mais en toute discrétion.
Archives diplomatiques de la Courneuve,in « Le Sahara à l'épreuve de la colonisation : un nouveau regard sur les questions territoriales », p378


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