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Niger : l'uranium oublié de la presse française
Publié dans Barlamane le 11 - 08 - 2023

Partout dans la presse hexagonale, les raisons de la colère sont rapidement identifiées et ses responsables unanimement pointés du doigt : l'ancien président, la junte. Jamais le nom d'Orano n'est évoqué, si ce n'est pour s'inquiéter de la continuité de son activité...
En Guinée, au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, partout fleurissent des coups d'Etat. Partout la France est défiée. Partout le rejet des élites en place s'accompagne de demandes d'épuration des intérêts français et plus largement, ceux des puissances tutélaires occidentales.
La cause est entendue: selon Le Monde, la corruption et le favoritisme expliqueraient la chute du président nigérien Mohamed Bazoum, ainsi que le vaste soutien dont bénéficient les putschistes. Le sentiment anti-français est rapidement rangé dans les arcanes, sinon attribué à des causes hétéroclites : « résultat de l'incapacité des dirigeants africains à penser leurs relations avec le système international depuis les indépendances » selon Amadou Sadjo Barry, interviewé par Le Monde. Attisé par la Russie d'après BFMTV et Le Figaro. Toutes les causes sont bonnes à prendre. À l'exception des bonnes.
Jusqu'à peu troisième fournisseur de l'uranium utilisé en France, pourvoyant près du quart des importations européennes du minerai, le Niger compte parmi les pays les plus pauvres de la planète.
En 2013, l'ex-président Mahamadou Issoufou et son ministre des Mines Hamidou Tchiana menaient campagne pour la revalorisation des revenus miniers du pays, au moment de la renégociation des conventions entre le Niger, la Société minière de l'Aïr (SOMAIR) et la Compagnie minière d'Akouta (COMINAK), deux filiales d'Orano (ex-Areva) au Niger.
Ingénieur des mines, ancien directeur technique de la SOMAIR et ex-directeur des mines de son pays, Mahamadou Issoufou connaît bien les carences des contrats conclus entre le Niger à Orano, alors contrôlée à hauteur de 80% par l'Etat français. En 2006, Niamey adoptait une nouvelle législation minière. Parmi ses plus importants apports figure l'instauration d'un barème de redevance progressif dont doivent s'acquitter les entreprises exploitantes, et qui peut atteindre, selon le chiffre d'affaires engrangé, jusqu'à 12%. Orano plaide une clause de stabilité incluse dans sa convention avec l'Etat nigérien, et continue de ne payer que l'ancienne taxe de… 5.5%, parvenant ainsi à alléger sa facture fiscale d'un fardeau de 30 et 70 millions d'euros par an. Un important manque à gagner pour l'Etat nigérien.
La SOMAIR et la COMINAK bénéficient en effet, depuis leur création en 1968 et 1974 respectivement, d'une taxation extrêmement accommodante, ainsi que d'une panoplie d'exonérations sur l'approvisionnement, les équipements… Un régime d'exception. De leur ouverture à fin 2016, les mines nigériennes avaient fourni 130 000 tonnes d'uranium à Orano. Près du double de l'uranium extrait en une cinquantaine d'années des 237 mines autrefois exploitées sur le territoire français. Quant au prix de l'uranium nigérien, il est, dès le début de l'exploitation, officieusement fixé par Paris…
Coups d'Etat en succession
Mahamadou Issoufou n'est pas le premier chef d'Etat nigérien à tenter de renégocier les conditions d'exploitation de l'uranium. Il connut cependant un bienheureux destin, comparé à ses prédécesseurs.
En 1974, l'ex-président Hamani Diori tente d'obtenir une augmentation du prix de vente du minerai. Paris refuse. Niamey brandit l'épée de Damoclès de la nationalisation. Moins de deux semaines après la suspension des négociations et, surtout, à trois jours du lancement d'un nouveau round de tractations, des officiers de l'armée nigérienne renversent Hamani Diori. « Comment ne pas constater que c'est l'année où la France s'était réellement nucléarisée que le Niger avait connu son premier coup d'Etat armé, dénouement du nœud gordien de l'uranium ? », se questionne Apoli Bertrand Kameni, docteur en sciences politiques à l'université de Strasbourg et auteur d'un livre consacré à la question. « Si les putschistes avaient agi sans le feu vert de Paris, l'armée française présente sur le territoire nigérien serait intervenue comme elle l'a fait dans d'autres pays pour maintenir "son" dirigeant au pouvoir, comme au Gabon où elle a soutenu Omar Bongo jusque dans les années 1990 », commente Raphaël Granvaud, membre de l'association Survie et auteur de Que fait l'armée française en Afrique ?. En 2008, le président Mamadou Tandja reprend le flambeau; il réclame et obtient une revalorisation des prix du minerai. Il est lui aussi renversé deux ans plus tard par l'armée. « Selon Jean Ping, le secrétaire général de l'Union africaine de l'époque, les services secrets états-uniens et d'autres puissances intéressées, dont très probablement la France, savaient qu'un putsch se préparait et n'ont rien fait pour l'empêcher. Tandja a payé à retardement l'affront fait à la France en essayant d'obtenir des conditions plus avantageuses », renchérit Raphaël Granvaud…
Confronté à une opinion publique qui le sommait d'honorer ses engagements, le gouvernement de Mahamadou Issoufou se fixe pour objectif de réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Il s'agissait alors d'aligner les filiales de la compagnie française sur de nouvelles règles du jeu, plus équitables. Le nouveau partage de la rente uranifère devait permettre de porter à 20% du PIB les recettes issues de l'exploitation de l'uranium, contre 5.5% auparavant.
Ce n'est qu'en 2014, et au prix de tortueuses négociations où l'Etat français a joué un rôle clé qu'un accord est trouvé. Niamey tente de marchander un package comprenant et une hausse des redevances, et une contrepartie additionnelle en échange de l'installation de contingents des forces spéciales françaises à proximité des installations minières. Paris refuse, considérant qu'il s'agit de deux questions distinctes. La redevance contestée est certes adoptée, au vu du confortable excédent brut d'exploitation dégagé par la société française en 2013 (655 millions d'euros), mais les exonérations survivent: pas de TVA pour les mines d'Arlit et d'Akouta. Trois ans plus tard, les ONG One, Sherpa et Oxfam révèlent, chiffres et méthodologie à l'appui, qu'Orano, désormais contrôlée à hauteur de 92.22 % par l'Etat français, a fraudé sur les redevances. Plus surprenant encore, « Orano a réussi à verser moins d'argent à l'Etat nigérien depuis les négociations de 2014 », selon les déclarations données à France 24 par Quentin Parrinello, porte-parole d'Oxfam. Parrinello estime que pour la seule mine d'Arlit, le groupe a versé cinq millions d'euros de redevance de moins en 2015 qu'en 2013…
Selon le collectif, Orano serait parvenue à économiser jusqu'à 30 millions d'euros d'impôts en 2015, soit 18% du budget de la santé du Niger, à travers des montages financiers entre maison mère et filiales. La société minière aurait ainsi revendu de l'uranium à sa maison mère à des tarifs largement sous-évalués par rapport aux prix pratiqués. « La même tonne d'uranium, provenant des mêmes mines, serait valorisée 11 500 € plus chère si elle n'était pas exportée par Orano. Le prix de l'uranium exporté par le groupe français parviendrait à peine à couvrir son coût d'acquisition, ce qui permettrait à Orano de ne pas payer d'impôts sur ses bénéfices au Niger », peut-on lire dans le rapport du trio. En déclarant ses mines nigériennes en situation de sous-rentabilité, Orano a su instrumentaliser le barème progressif adopté en 2014 qui prévoit, pour les situations où la rentabilité serait inférieure à 20%, des redevances d'à peine 5.5%… soit le taux de la convention antérieure à 2014.
Déchets toxiques
Mauvais client fiscal, Orano est aussi le principal pollueur du pays. Quarante ans d'exploitation acharnée ont généré 35 millions de tonnes de boue radioactive… entreposée à l'air libre.
En 2022, 27 Nigériens ont porté plainte en France contre X pour homicide et blessures involontaires liées à l'extraction d'uranium. La plainte fait suite à un édifiant reportage diffusé en 2021, qui brosse un sombre portrait de la vie à Arlit: un taux de radioactivité deux fois supérieur à celui de Tchernobyl. Des poussières et des particules radioactives qui s'engouffrent dans les habitations, portés par les vents puissants du Sahara. Sur les 140 000 habitants de la ville, de nombreux malades dont aucun n'a été officiellement reconnu atteint de maux liés à la radioactivité par Orano ou par les établissements de santé de la ville: ceux-ci étaient financés et gérés par Orano, et leurs médecins salariés de l'entreprise… La seule personne jamais reconnue malade est un salarié français qui n'a vécu que sept ans à Arlit. Selon le reportage, une personne qui passerait 1h30 par jour à Arlit dépasserait largement les taux de radioactivité recommandés par année…
Les analyses du laboratoire de la Criirad ont permis de mettre en évidence « que la radioactivité de ces déchets est de l'ordre de 450 000 becquerels par kilo, ce sont des déchets 'à vie longue'. Ils contiennent des métaux lourds radioactifs dont certains sont très toxiques, par ingestion ou par inhalation. Il émane aussi en permanence de ces déchets un gaz radioactif : le radon. Ce type de déchets, vu leur niveau de radioactivité et leur durée de vie, aurait absolument dû être mis dans des containers étanches pour être placés ensuite sur un site qui garantit un confinement à très long terme. Ce qui n'a pas du tout été le cas », déclare à Radio France Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire. Pire encore, « comme il n'y a pas de confinement, la contamination est passée aussi dans les eaux souterraines »...
Multinationales accapareuses
Au lendemain du coup d'Etat, la CEDEAO, instrument de la multilatéralisation de l'action française en Afrique, laisse planer la menace d'une intervention militaire. Le Mali et le Burkina Faso affichent leur soutien au Niger. Déjà, les sanctions pleuvent et sont opérantes: depuis quelques jours, l'argent ne circule plus. Les banques sont à court de liquidités. Depuis que la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a actionné le levier des restrictions, les Nigériens peinent à avoir accès à leurs fonds. Les retraits sont plafonnés, les salaires sont inaccessibles. Les impayés s'accumulent.
Comment dès lors s'étonner que la France soit partout rejetée en Afrique ? Car sous les habits du discours anti-occidental, s'exprime un rejet des pratiques des Etats occidentaux et de leurs multinationales accapareuses, de même qu'une condamnation de la captation de la rente par les élites en place, avec l'accord tacite ou le silence bienvenu des grandes démocraties occidentales.
La colère liée à la mainmise des entreprises étrangères sur les ressources, et les tentatives de correction des systèmes où celles-ci bénéficient du rendement maximal des produits exploités, et les communautés locales des miettes, ne se limite pas qu'au Niger. Le 10 mai dernier à Abidjan, en Côte d'Ivoire, une vingtaine de producteurs de cacao sont arrêtés après une manifestation devant le Conseil Café-Cacao. Plus de 2100 coopératives attendent en effet, depuis près de deux ans, le versement d'une prime Covid que certains syndicalistes accusent le Conseil Café-Cacao, un organisme étatique, d'avoir détournée.
Cette lutte s'inscrit dans le contexte général d'un bras de fer entre producteurs ivoiriens et ghanéens et industrie du chocolat: alors que celle-ci génère près de 130 milliards de dollars de ventes dans le monde, les producteurs ivoiriens gagnent en moyenne moins d'un dollar par jour... L'Etat ivoirien, mais en promouvant l'augmentation de la production et l'expansion de l'aire territoriale de celle-ci pour un prix très réduit, et au détriment des forêts classées, ses politiques concrètes l'alignent, au final, sur les intérêts des multinationales. « À la limite, la Côte d'Ivoire détruit sa forêt cadeau au profit des multinationales », déclare à l'agence Ecofin François Ruf, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
Pillages des matières premières, prédation économique, pollution massive, destruction d'écosystèmes: c'est bien contre les nouveaux avatars du colonialisme que les discours anti-occidentaux sont dirigés.


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