«L'exécution» de Boudiaf, terme utilisé alors par feu SM le Roi Hassan II, était programmée et l'agent de la garde présidentielle rapprochée, intégré à la sécurité présidentielle, quelques heures seulement avant le voyage officiel à Annaba, avait pris position juste derrière le président Boudiaf, dans la salle où le président devait s'exprimer, et en était séparé juste par le rideau de théâtre. Le président Boudiaf était enthousiasmé de pouvoir, enfin, rentrer au pays, après 30 ans d'exil volontaire à Kenitra au Maroc, et donc d'apporter sa contribution à la recherche d'une issue à la grave crise institutionnelle et politique, provoquée par l'armée, suite à l'interruption du processus électoral qui a été couronné par la victoire éclatante du FIS (Front islamique du salut), dès le premier tour. Le président Chadli Bendjdid a été acculé à démissionner, après 13 ans au sommet de l'Etat (deux mandats et demi). Tous les présidents algériens, s'ils ne sont pas assassinés comme Boudiaf ou, dans une forte probabilité, Houari Boumediene, ils sont acculés par l'armée à la démission (Ben Bella, Zeroual, Chadli Bendjdid, Bouteflika). C'est une des graves conséquences du système du parti unique, institué par le dictateur Boumediene, lequel parti comptait dans ses rangs l'armée, associée à un semblant débat politique, mais qui décidait au fond des destinées du pays, en raison de sa prééminence, comme corps puissant et uni, qui contrôlait, en outre, tous les rouages de l'Etat, sécuritaires et autres, grâce aux services de renseignements militaires. Cela étant, il serait difficile aujourd'hui, de ramener l'armée aux casernes, une armée impliquée dans le choix des présidents, qui s'oppose à la démocratisation du pays, qui s'implique dans la politique extérieure du pays, et plus grave, qui devrait , tôt ou tard, rendre des comptes sur l'assassinat de 200.000 Algériens et la disparition de 20.000 autres, dont le sort reste inconnu, durant la décennie noire. Rien ne viendra panser ces graves blessures et encore moins la réconciliation conduite par Bouteflika. La résistance en Palestine et la guerre en Irak, en Syrie et en Libye n'auraient pas fait autant de morts en dix ans ! Il s'agit, dans le cas algérien, plutôt de massacres collectifs des populations. Avec la suspension du processus électoral, l'Algérie amorce un grave virage de longue durée d'instabilité politique et institutionnelle, qui impacte gravement la construction maghrébine et la normalisation avec le Maroc. Les islamistes radicaux du FIS, comme tous les Algériens, entrainés au maniement des armes, prirent les armes pour s'opposer à la confiscation de leur victoire, une victoire qui aurait pu déboucher sur une transition, laquelle aurait mis fin à une gouvernance militaire, depuis l'indépendance. Une transition à laquelle avaient adhéré le FLN et le FFS de Hocine Ait Ahmed, pourvu qu'il soit mis fin à l'ingérence éternelle de l'armée dans les affaires politiques. Le FIS, pour rassurer les partenaires de l'Algérie, aurait concédé d'octroyer, dans le cadre d'une coalition à trois, certains portefeuilles ministériels, notamment celui de la diplomatie, au FFS et au FLN. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir s'il fallait absolument payer ce lourd tribut en pertes humaines et matérielles, pendant dix ans, pour éviter de concéder le pouvoir aux Islamistes du FIS ! Jusqu'ici, nous connaissons les seuls dégâts occasionnés par les choix de l'armée. Nous ne savons pas si le FIS allait réduire l'Algérie en cendre, comme le soutiennent les partisans de l'éradication des islamistes, notamment le chef d'état major de l'armée, Said Chengriha. L'Algérie avait été momentanément isolée sur le plan diplomatique, au niveau international, pour deux raisons : l'interruption du processus électoral, le déclenchement de la violence qui s'en est suivie. Les grandes compagnies aériennes européennes avaient suspendu leurs liaisons en direction de l'Algérie. Les occidentaux, notamment les Américains, se sont montrés réticents à la fourniture d'armes à l'Algérie, qui plaidait sur la scène internationale, en faveur de la lutte contre « le terrorisme », dont les causes sont cependant connues. Les grandes agences de presse internationales n'avaient pas immédiatement repris le lexique de l'Algérie, taxant les groupes armés de terroristes. Pendant plusieurs années, ces agences présentaient ces groupes comme étant «des groupes armés islamistes», «des individus armés». Ce n'est que plus tard, alors que l'Algérie était isolée au plan international, et ses appels ne trouvaient que très peu d'échos, que les pays occidentaux reprennent à leur compte le lexique de l'Algérie, notamment après l'attentat terroriste commis contre des touristes européens dans un hôtel de Marrakech au Maroc, par des franco-algériens (1994). Les pays occidentaux comprirent alors le message des services de renseignements algériens, selon lequel le terrorisme, qui déstabilise sérieusement l'Algérie, constituerait une menace potentielle pour les alliés des pays occidentaux dans la région. La lutte contre « le terrorisme » dura dix ans, bien qu'à plusieurs reprises, le gouvernement algérien, minimisait l'ampleur de la violence, en réduisant l'activisme des groupes armés à «des résidus du terrorisme». Cette situation, qui dura dix ans, impactera la situation institutionnelle et la démocratie dans ce pays. L'armée qui accula un des siens, le général Liamine Zeroual, à renoncer à terminer son mandat, pour désaccord sur le traitement du dossier islamiste, durcira sa position face aux islamistes, à qui elle a interdit toute régénérescence, sous quelque forme que ce soit. L'armée fera recours à Bouteflika, qui rentra d'un long exil volontaire dans les pays du Golfe, pour le cautionner et le faire élire à la magistrature suprême, en croyant pouvoir mettre à profit ses anciennes qualités d'orateur et de diplomate, en faveur de la propulsion de l'Algérie sur l'échiquier diplomatique international. Pendant une dizaine d'années, la démocratie a été mise entre parenthèse et les relations avec le Maroc, normalisées au printemps 1988, à la veille d'un sommet arabe, tenu à Alger, connurent des hauts et des bas, pour quelques trois à quatre ans, au total, avant de sombrer à nouveau dans le chaos qui a été le leur depuis l'indépendance de l'Algérie. (à suivre) *journaliste et écrivain