Qu'est ce qui déclenche le rire ? La question mérite qu'on s'y attarde parce que le Maroc accueille le festival du rire à Marrakech organisé par l'humoriste franco-marocain Jamal Debbouze depuis 11 ans. Son cachet ? c'est qu'il est animé par des artistes étrangers et binationaux, comme son organisateur. Les deux années d'interruption due au coronavirus n'ont malheureusement pas servi aux organisateurs et planificateurs de tirer les conclusions d'accueil réprobateur, mitigé et tiède de certaines prestations de certains comiques largement hués et critiqués par le public marocain, à chaque édition du Marrakech du rire (MDR). « Il faudrait donc commencer par se demander ce qui déclenche le rire pour comprendre, peut-être, ce qui l'arrête», avance à juste titre le philosophe français Gilles Vervisch. Commençons par le commencement : le rire est mécanique et est provoqué, dit-il, par une situation « inattendue, incongrue, voire absurde », ou encore le rire est provoqué selon l'acception d'Henri Bergson, philosophe français également, par le comique de langage qui résulte de trois procédés: la répétition, l'inversion et l'interférence des séries (le quiproquo), auxquels s'ajoute une plus forte dimension culturelle. Une fois que cela est établi, vient la question qui nous intéresse : peut-on rire de tout ? De toute évidence, non. Non pas pour des raisons de limitation des libertés, mais plutôt comme l'explique le philosophe contemporain Gilles Vervisch dans son livre « Puis-je vraiment rire de tout ? » en s'appuyant sur philosophes et humoristes contemporains comme du passé, car « au fond, personne ne rit de tout ou plutôt tout le monde ne rit pas des mêmes choses. D'ailleurs, on pourrait bien retourner la question : pourquoi faudrait-il rire de tout ? (...) La première limite du rire – et sans doute la plus indiscutable –, c'est le rire lui-même: la question n'est pas de savoir si on a le droit de faire rire au nom de la loi, de la morale ou de la religion. C'est bien plus simple: est-ce que ça fait rire ? » Ici intervient la dimension culturelle et celle de l'époque. « La vérité, c'est que le rire dépend de chaque individu et de chaque société : on ne rit sans doute pas de la même manière et des mêmes choses selon son caractère, son époque ou sa culture : on parle bien de l' « humour juif » ou de l' « humour anglais » ; chaque société a son histoire et ses références culturelles. Si Desproges se permettait de rire des camps d'extermination, c'est que les sujets sensibles n'étaient pas les mêmes en 1986. À l'époque, on riait aussi beaucoup des sketchs de Michel Leeb qui imitait les Noirs : « Ce ne sont pas mes lunettes, ce sont mes narines, là dis donc. » Aujourd'hui, il se retrouverait directement au tribunal ». Il en va de même des sketchs qu'on nous sert au Marrakech du rire pour nous « divertir ». Certains, fort heureusement font rire tout le monde, mais le fait que chaque édition impose des prestations où le Marocain est présenté comme voleur, sale, menteur, profiteur, analphabète, paresseux, mal chaussé, puisque porteur de babouche, sauf le chef de hordes de sauvages, qui porte des chaussures car corrompu et au service de Français ô combien civilisés, relève d'une image qui ne résonne que dans l'imaginaire des orientalistes néocolonialistes nostalgiques d'une France hégémonique qui fantasme sur la soumission des Marocains et du Maroc. On raille également sa culture et son patrimoine. L'on se souvient de Jeremy Ferrari, hué par l'auditoire marocain à propos de la muraille du Palais Badii, en « ruines ». On ne l'entendra jamais à titre d'exemple, dire de la crypte archéologique du parvis de Notre-Dame de Paris qu'elle sert de « chiottes à cigognes » comme il l'a dit du palais badii. Ce serait de mauvais goût car cela rappellerait aux Français l'incendie traumatisant de la cathédrale. Car pour fair rire, les paramètres culture et époque sont la clé. Les humoristes français le savent depuis au moins Molière, Montesquieu et Voltaire. Mais comme ce festival a l'air de ne pas prendre en considération les critiques et les sketchs sifflés par le public marocain, on en déduit, qu'il s'agit d'un festival fait pour des auditeurs et spectateurs Français. Ces Français en manque de « grandeur et de génie français « qui ont pondu des concepteurs des banlieues, de cités et des quartiers ghettos comme Barbès, pour les arabes, cette main d'œuvre et ancienne chair à canon dont ils ne sauraient tolérer la promiscuité ni la liberté de penser ou de s'exprimer conformément à leur culture et valeurs. Il faut rappeler que ce festival a pignon sur rue marrakchie. Il se doit d'évoluer avec la culture du pays et l'humour marocain. Il faut aussi rappeler à Jamel Debbouze que s'il se vend ici comme un humoriste marocain qui organise le Marrakech du rire, pour le moment, c'est son côté français flatteur et assimilé à l'esprit français néocolonialiste qui ressort, de par ses choix d'artistes et de par ses propres sketchs qui forcent la caricature du RME et du stéréotype de l'arabe inculte, sans éducation et immature qui « mérite » d'être pris de haut et « éduqué » par les Français. « Castigat ridendo mores », Monsieur Debbouze. En effet, l'humour, le comique de situation divertissent et éduquent. Dans le cas du MDR, c'est le public qui vous demande à chaque fois qu'il hue vos choix de corriger vos mœurs, en riant bien sûr.