Aujourd'hui, Newslooks Magazine s'intéresse à travers le regard de Andrew Millburn, à l'évolution des groupes terroristes en Afrique après le retrait américain d'Afghanistan et de Somalie, ainsi qu'aux derniers événements régionaux dont le meurtre de deux chauffeurs marocains au Mali. Ancien Colonel des forces spéciales américaines, Andew Millburn, a étudié à Saint-Paul School, University College London et Westminster University. Il est également ancien chef d'état-major du commandement central des opérations spéciales. Professeur auxiliaire de la Joint Special Operation University (Université des forces spéciales interarmées) où il enseigne le leadership et l'éthique. Il enseigne également à l'étranger à des officiers en Afrique, Moyen-Orient et Asie. Il est membre du « Modern War Institute ». Pour Andrew Millburn, l'annonce par le gouvernement français de l'assassinat d'Adnan Abu Walid Sahraoui est une nouvelle à analyser. Se réjouir, certes, puisque le monde a pu, grâce à intervention française, se débarrasser d'un terroriste, connu pour avoir appartenu au polisario avant d'intégrer l'EIGS (Etat islamique au Grand Sahara) en 2015, au sein duquel il a gravi les échelons. Andrew Millburn rappelle que les Etats-Unis avaient mis sa tête à prix car il était directement responsable de la mort de 4 américains au Niger en 2017. Il était par ailleurs responsable du meurtre de travailleurs associatifs français et d'autres nationalités. Mais, avertit l'ancien colonel, il ne faut pas croire venir à bout du terrorisme en assassinant des chefs terroristes. Ces opérations n'engendrent qu'une brève période de succès sur l'ennemi. Et pour cause, explique-t-il, aucune organisation terroriste n'a cessé ses activités ou ne les a réduites suite à la mort de ses leaders. La recrudescence de violences qui a suivi la mort de Sakawi pendant de longs mois et années le prouve bien. L'assassinat de Baghdadi n'a pas stoppé la continuité de l'état islamique non plus. Sur la base de la publication d'un rapport Oxfam, organisation non gouvernementale, qui fait mention de la condition déplorable des sahraouis dans les camps de Tindouf, Millburn défend l'idée que ces camps sont le terreau de l'extrémisme depuis bien longtemps. Il avance le nombre de 165 000 refugiés qui y sont parqués dans des conditions lamentables, exacerbées par la pandémie sans accès ou peu d'accès aux vaccins et respirateurs. « Honnêtement le régime algérien et le polisario qui administre les camps de Tindouf, sont directement responsables de ces conditions. Il ne font pratiquement rien pour les améliorer». Les investigations en cours concernant l'assassinat de deux chauffeurs de camion marocains au Mali pour identifier les meurtriers et les instigateurs d'un tel crime survenu le 11 septembre dernier, n'empêchent pas les experts de s'interroger sur l'intérêt à bloquer le commerce entre le Maroc et les autres pays africains. Andrew Millburn concède que ce cas est bien curieux. Ce drame étant arrivé au Mali pourrait porter à croire que le commanditaire est automatiquement l'EIGS. Mais la manière dont les victimes ont été tuées et le profil même des victimes ne sont pas caractéristiques de son mode opératoire, remarque l'ancien colonel des forces spéciales US. « Quel message voudrait l'EIGS envoyer au Maroc ? je peux avoir tort, bien sûr, vu que cette route vers l'ouest de l'Afrique est lucrative du point de vue commercial et cela pourrait être un meurtre ayant comme simple mobile de compromettre la circulation des marchandises au Mali. Seulement cette explication me paraît tirée par les cheveux. Il semble bien que c'est parce qu'ils sont Marocains qu'ils ont été ciblés. Je précise que n'ai aucune information de première main. Mais on peut relier cet assassinat aux attaques qui se sont passées plusieurs mois plus tôt contre un groupe de chauffeurs de camion marocains, hors des camps de réfugiés ». Millburn souligne que le rapport publié suite à l'attaque au Mali dans laquelle deux Marocains sont morts et un a été blessé, ainsi que les témoins oculaires montrent que le matériel des deux personnes impliquées dans le meurtre des deux Marocains, est très sophistiqué. Le degré élevé de sophistication disqualifie d'emblée l'EIGS, qui ne le mettrait pas à disposition de tueurs à gage pour abattre deux civils. L'expert militaire est formel : « c'est un autre type d'organisation qui est impliqué ». Sur un autre volet, Andrew Millburn reconnaît que des mercenaires, qui peuvent aussi être des groupes terroristes, appelées forces supplétives, sont utilisées par certains régimes africains pour faire « le sale boulot ». L'Afrique n'est pas la seule à être concernée précise l'expert, mais également l'Iran, la Russie, le Yemen, la Syrie, à travers le Hezbollah, les Houtis, et autres mercenaires … Concernant l'Afrique, sont pointés le Mali, la Lybie, et l'Algérie aussi qui est accusée d'utiliser le polisario bien que «ses objectifs nationaux ne soient pas clairs puisque le Sahara marocain a été reconnu», affirme l'ancien colonel et professeur, poursuivant : « c'est un point épineux car 3 décennies après, soit novembre 2020, rompre le cessez-le-feu de 1991, a clairement mis en évidence l'implication de l'Algérie et a mis en évidence le fait qu'elle utilise le polisario comme « force supplétive». D'autres groupes terroristes inquiètent, comme Al shabab lié à al Qaida. Notamment depuis le retrait des USA de Somalie en janvier 2021. Il faut craindre son expansion même vers l'afrique du Nord car ce mouvement a conduit des attaques au Kenya et contre les intérêts américains. ils ont tué en 2019 ,à Manda Bay, plusieurs Américains. Depuis le retrait des USA, al shabab a regagné en influence et a repris le contrôle de routes clés, hors Mogadiscio et contrôlent les campagnes, ce qui est un fait nouveau. Leur influence grandissante dans la corne de l'Afrique menace les intérêts commerciaux internationaux et a stabilité dans la région. C'est un fait qui est important pour tous les pays qui dépendent du commerce international, de la globalisation, et qui sont jaloux de leur stabilité. Pour cet ancien colonel, le problème actuellement réside dans la réticence des USA suite aux répercussions de sa présence en Afghanistan à s'impliquer ailleurs. La France qui était soutenue technologiquement et logistiquement par les USA se retire également du Sahel. L'annonce tardive de la mort de Sahraoui pourtant survenue en aout dernier est pour lui un signe. Certes son assassinat est un petit succès mais l'EIGS, et le JNIM (Jama'at Nusrat al Islam wal Muslimeen : coalition de groupes islamistes militants en Afrique de l'Ouest) ont tous deux gagné considérablement du terrain Avec le retrait français du Sahel et le retrait américain et européen de Somalie, il existe un vide sécuritaire. Qui va le remplir, s'interroge Andrew Millburn ? Il faut contrer les causes qui mènent au recrutement de jihadistes, pour réussir la bataille contre le terrorisme, défend l'expert américain. Les organisations terroristes ont tout le temps besoin de de recrues. Il donne en exemple , l'Iraq et la Syrie qui en 5 ans ont recruté entre 30000 et 40000 personnes. , La première solution serait des gouvernements moins autocratiques et lds conditions économiques meilleurs. L'ancien colonel s'explique : « loin des considérations idéologiques, ceux qui rejoignent ces organisations terroristes sont radicalisés par la colère, et la marginalisation qui se situe au tout début de la chaine alimentaire. Les islamistes, leur offrent un moyen de s'en sortir et de la dignité. Tant qu'on ne pourra pas combler cette marginalisation, le recrutement sera un problème continuel ».