Les scènes bouleversantes de milliers d'Afghans essayant désespérément de fuir la prise de contrôle des talibans et l'attaque meurtrière de l'aéroport de Kaboul le 26 août ont mis en évidence les menaces humanitaires et sécuritaires à la suite du retrait précipité des Etats-Unis d'Afghanistan. La catastrophe se préparait lentement, mais les sonnettes d'alarme ont été étouffées par le courant ayant voulu mettre fin instantanément à la «guerre éternelle» de l'Amérique. «Les derniers soldats américains ont quitté l'Afghanistan, lundi 30 août au soir, avec 24 heures d'avance, mettant fin à leur plus longue guerre et près de vingt années de présence américaine dans le pays. En partant, les troupes américaines ont détruit avions, véhicules et défenses aériennes. Un départ qualifié de désastre par une grande partie de la presse américaine, à quelques heures du discours très attendu du président américain, en difficulté face à son opinion publique» écrit le site du réseau radio RTL. La Maison Blanche, écrit le correspondant de RTL à Washington, a laissé au Pentagone le soin d'annoncer la fin de la plus longue guerre de l'Histoire des Etats-Unis. Et depuis l'entrée des talibans à Kaboul à la mi-août, le président américain est sous pression. Que cette guerre désastreuse ait coûté la vie à plus de 2 400 soldats américains et près de 2 000 milliards de dollars sont des statistiques souvent citées pour justifier une fin immédiate du conflit. Les réalités sont cependant plus nuancées. À la suite d'un retrait en 2014, l'armée américaine avait une empreinte beaucoup plus réduite en Afghanistan que pendant les premières années, ce qui a entraîné une réduction des coûts et des pertes. Selon les chiffres du département américain de la Défense, au 23 août 2021, moins de 100 soldats américains sont morts au combat en Afghanistan au cours des cinq dernières années. Le montant du financement de l'Afghanistan qui revient directement aux Américains est bien documenté. Cela inclut les sous-traitants militaires et les salaires du personnel civil et de reconstruction américain qui étaient «souvent non qualifiés et mal formés», selon l'inspecteur général spécial pour la reconstruction afghane (SIGAR), une autorité de surveillance du gouvernement américain. Lorsque Biden est arrivé au pouvoir plus tôt cette année, il a annulé plusieurs décisions politiques de l'ère Trump, mais l'accord américano-taliban n'en faisait pas partie. Au lendemain catastrophique de la prise de contrôle des talibans, plusieurs diplomates et experts américains ont évoqué le manque de «patience stratégique» de l'Amérique. Dans une chronique du New York Times, Ryan Crocker, qui a été ambassadeur des Etats-Unis en Afghanistan sous Obama, a noté : «Notre manque de patience stratégique à des moments critiques... a endommagé nos alliances, enhardi nos adversaires et accru les risques pour notre propre sécurité.» «Les critiques émanent évidemment du camp républicain, dans lequel de nombreux élus réclament la démission du chef de l'Etat ou sa destitution. Mais les remarques sur le manque de préparation viennent aussi de son propre camp. De la chute de la capitale afghane jusqu'à ce départ nocturne sous la pression talibane, en passant par des évacuations chaotiques et incomplètes, rien ne s'est passé comme prévu. C'est, jusqu'ici, le moment le plus difficile de sa présidence et les conséquences politiques de ce qui aura du mal à apparaître comme un succès sont encore difficiles à évaluer» a-t-on noté. Alors que l'ONU a désigné les talibans comme une organisation terroriste deux ans avant les attentats du 11 septembre, les Etats-Unis n'ont jamais fait de même, bien que le groupe remplisse les critères d'une liste du département d'Etat américain. En 2002, le président américain de l'époque, George W. Bush, a signé un décret (13224) qualifiant les talibans d'«entité terroriste mondiale spécialement désignée». Mais cette désignation est étroitement axée sur les transactions financières, sans la précision d'une liste d'organisations terroristes étrangères (FTO) du département d'Etat. «Un désastre moral», titre même le Washington Post cité par RTL, «qui revient dans son éditorial du jour sur les milliers de personnes abandonnées par les Etats-Unis avec ce départ précipité. Certes, 122 000 personnes ont été évacuées depuis la fin du mois de juillet, mais des milliers de personnes que le président Joe Biden jugeait vulnérables n'ont pu être évacué à temps» «La faute n'est pas imputable à l'armée américaine, ni au personnel diplomatique qui ont fait preuve de courage et de professionnalisme, estime le quotidien, mais aux erreurs stratégiques et tactiques du président Joe Biden et de son administration» a-t-on noté. Le New York Times, plus sévère encore, «compare le départ des Soviétiques qui n'avaient laissé que des carcasses derrière eux à celui des Américains qui ont laissé des armes, des véhicules et tout un tas d'équipements qui serviront aux talibans durant les prochaines années». Le quotidien USA Today «s'inquiète pour les ressortissants américains encore présents sur le sol afghan et les Afghans qui ont aidé les Américains et qui n'ont pas pu quitter le pays. Désormais, seule la diplomatie pourra les sauver, maintenant que la puissance militaire américaine est partie».