Après des mois de tensions croissantes, l'Algérie a annoncé, mardi, la rupture de ses relations diplomatiques avec le Maroc voisin, invoquant une série d'arguments peu convaincants. La France a appelé, mercredi, les deux pays au dialogue au milieu des regrets des pays arabes. «À l'effondrement institutionnel du Sahel s'ajoutent une grave crise politique interne en Tunisie, un état de guerre civile cyclique en Libye, et maintenant la grave détérioration des relations toujours délicates entre l'Algérie et le Maroc, les deux pays ayant été lutte depuis des décennies pour l'hégémonie régionale. La décision d'Alger de rompre les relations diplomatiques avec Rabat est le résultat de l'escalade progressive de la tension vécue ces derniers mois, et on ne sait pas combien de temps elle va durer et jusqu'où peuvent aller ses conséquences» écrit El País. À la suite de la réunion du Haut Conseil de sécurité algérien la semaine dernière, le bureau du président Abdelmadjid Tebboune a énuméré des «griefs» qui, selon lui, conduiraient à une «révision» des relations avec Rabat. Parmi eux, une théorie à peine croyable sur le soutien présumé du Maroc à deux partis d'opposition : le MAK, qui défend l'indépendance de la région amazighe de Kabylie, et l'islamiste Rachad, tous deux qualifiés de «terroristes» et que les autorités accusent d'être à l'origine de la vague d'incendies qui a dévasté le pays, une autre théorie peu corroborée. Cependant, les experts pensent qu'il y a des raisons plus profondes derrière le conflit actuel. «La reconnaissance de la souveraineté marocaine du Sahara par les Etats-Unis sous l'administration Trump a modifié le statu quo du conflit, ce qui, ajouté à la reprise des relations entre le Maroc et Israël, a alimenté le feu dans des relations historiquement conflictuelles», a déclaré Haizam Amirah-Fernández, chercheur à l'Institut Elcano. Détourner l'attention Quelques heures après l'annonce de la rupture diplomatique, le ministère marocain des Affaires étrangères a publié un communiqué dans lequel il a qualifié la décision d'«injustifiée» et fondée sur «des prétextes fallacieux, voire absurdes». La présumée implication marocaine dans les incendies en Algérie a été raillée sur les réseaux sociaux marocains, et même le lynchage d'un jeune homme par une foule qui l'a pris pour un pyromane. Dans un article ironique, le célèbre écrivain marocain Tahar Ben Jelloun écrit : «c'est le Maroc qui a allumé les feux en Kabylie... et à Athènes, à Istanbul ou même en Californie, tout le monde sait que les Marocains sont de vrais pyromanes». De leur côté, les analystes marocains soutiennent que le véritable objectif d'Alger est de détourner l'attention au moment où la colère populaire contre le régime et la crise- politique, sanitaire, environnementale – se sont exacerbées. «Il est clair que les crises internes de diverses natures, notamment sanitaires et économiques, stimulent une montée en température des relations avec le pays voisin», explique Amirah-Fernández. Irene Fernández-Molina, professeur à l'université d'Exeter et experte du Maghreb, voit également une relation directe entre problèmes internes et crises bilatérales dans la région, l'une des moins intégrées au monde. «Il y a une perception répandue que l'insécurité est asymétrique -comme maintenant, que le Maroc est intérieurement plus fort que l'Algérie-, les relations ont tendance à se détériorer et des crises surviennent», explique le professeur. «Sans aucun doute, ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'Espagne, ni pour l'UE, ni pour le Maghreb, une région qui fait face à de nombreuses crises qui nécessitent des réponses coordonnées. Et cela est beaucoup plus difficile lorsque ses deux principaux pays n'ont pas de relations diplomatiques», glisse Amirah-Fernández. Divers rapports avertissent que la Méditerranée est l'une des régions qui seront les plus touchées par l'urgence climatique, ce qui s'ajoute à la déstabilisation actuelle du Sahel. Impact pour l'Espagne Concrètement, pour l'Espagne, «la crise pourrait rendre difficile le renouvellement de l'accord trilatéral qui permet l'arrivée du gaz naturel algérien par le gazoduc maghrébin, qui expire à l'automne. En principe, la rupture entre Alger et Rabat ne devrait pas nuire aux retrouvailles entre l'Espagne et le Maroc, mises en scène par le roi Mohammed VI, dans un discours la semaine dernière» mentionne-t-on.