Saïd Chengriha et Abdelmadjid Tebboune, bonnet blanc, blanc bonnet : les deux hommes, impopulaires et démunis politiquement, agitent le spectre d'un complot étranger à des fins de politique intérieure et de repositionnement sur la scène régionale et internationale. Mais le souci de la vérité a été remplacé des procédés d'une réaction emportée et illogique. Depuis 2019, l'antienne est la même : l'Algérie est confrontée à de «dangereux complots» visant ses institutions. Le général Saïd Chengriha, qui s'exprimait lors d'une prise de parole publique ce 19 août, a répété encore une fois qu'un complot d'ampleur «cible la stabilité de l'Algérie et les fondements de l'Etat» sans préciser exactement de quoi il s'agit. Tout prend une nouvelle tournure quand Chengriha, en visite officielle en Russie en juin, a évoqué de nouvelles menaces planant sur l'Algérie sans citer nommément le Maroc, au moment où Rabat et Washington avaient achevé une série d'exercices militaires, dont certains ont eu lieu à quelques encablures de la frontière algérienne. Le haut commandement militaire algérien ainsi que la présidence incarnée par Abdelmadjid Tebboune vivent une dérive sans précédent et se distinguent par la singulière émulation à jouer avec le feu. Les deux institutions sont occupées à se surveiller qu'à s'entendre sérieusement sur un plan de conduite précis et efficace pour sauver le pays. Pire, ils remâchent les mêmes thèses complotistes pour se dédouaner de leurs responsabilités. Ce qu'il y a de grave en effet c'est que tous ces épisodes qui se succèdent en Algérie ont un lien manifeste et sont comme les épisodes d'un même drame : pénurie d'eau, crise sociale, incendies, pénurie d'oxygène, etc, et le seul mouvement de réaction un peu effaré du régime est d'accuser sans cesse le Maroc et l'opposition algérienne de tous les maux. Alors que le chef de l'Etat algérien tente d'adopter une politique populiste afin de compenser son absence de base politique, le général Saïd Chengriha, chef d'état-major de l'armée algérienne, multiplie mises en accusation et théories invérifiées au moment où les difficultés de vie publique prennent un caractère particulier et dangereux en Algérie. Devant l'ampleur de la catastrophe des feux qui ont ravagé le nord du pays et le manque d'anticipation et de prévention des autorités, le régime militaro-politique a préféré recourir à l'escalade verbale. Quand au-delà de la carence du politique, s'impose, au nom de la raison d'Etat, et par l'Etat, un discours qui, au mensonge et au déni, ajoute la propagande. Crise sanitaire, poursuite des conflits sociaux, sinistrose économique, tendances inflationnistes, déclin des réserves de changes, le régime algérien est asphyxié. À cela s'ajoutent de vieilles luttes d'influences, de vieux antagonismes toujours prêts à renaître entre les faction au pouvoir. Le régime a beau se faire illusion, la multicrise qui a éclaté n'a nullement l'air de s'apaiser ; elle semble, au contraire, se compliquer et s'aggraver tous les jours, et par l'attitude des dignitaires du régime et par le conflit croissants de toutes les politiques appelées à délibérer sur l'avenir du pays. Le régime algérien a laissé malheureusement les questions sensibles se développer et devenir peut-être inextricables. En mai, en pleine pénurie d'eau, alors que les deux dernières années hydrologiques ont été toutes deux déficitaires de 30 %, Abdelmadjid Tebboune a préféré accusé le Maroc d'être responsable de la soif qui guette son pays, malgré les alertes de l'Agence nationale des barrages et transferts (ANBT), qui a affirmé que le taux de remplissage des barrages est de 44 % seulement et que le potentiel national global en ressources hydriques ne dépasse pas 23,2 milliards de m3 annuellement. Encore une fois, d'âpres critiques on fusé alors que l'Algérie, qui possède quelque 200 stations d'épuration des eaux usées, réparties sur le territoire national, sans parvenir à lancer des chantiers d'eaux épurées. En accusant le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation indépendantiste, ainsi que le Maroc, d'être responsables des incendies du nord du pays, les autorités algériennes ne font que tout méconnaître et tout aggraver en rendant plus éclatante la contradiction qui s'est manifestée depuis 2019 entre les vœux du pays et leur politique mortifère. La société civile a réclamé de nouveaux dirigeants, l'ordre des finances, des réformes la prévoyance et la modération dans l'administration des affaires publiques gangrénées par la corruption. Le régime politico-militaire a répondu par des désordres d'esprit, par des mensonges, par des colères contre plusieurs parties, par des programmes où ils inscrivent pêle-mêle des lois liberticides, les réformes radicales peu appliquées, la dénonciation de complots imaginaires. C'est que le mal est peut-être plus profond ou d'un ordre inédit. Cette impuissance du gouvernement algérien contre ses propres périls paraît sérieusement tenir à ce que le régime lui-même est en partie complice des malheurs qui frappent le pays. Ce qu'il y a de plus grave, c'est d'un côté le vice d'un pouvoir central atteint dans son intégrité, et d'un autre côté la situation morale, sociale et économique tout entière de l'Algérie, situation profondément troublée, progressivement altérée. Le régime et ses journaux se donnent le passe-temps de chercher le secret des agitations de leur pays dans des connivences extérieures, dans des complots formés au Maroc et ailleurs. C'est une explication peu sérieuse, dans tous les cas peu croyable. Le mal est en Algérie même, dans la facilité que les dignitaires algériens trouvent au sein d'une nation ébranlée, sous les yeux d'une autorité aux ressorts affaiblis. N'est-ce point cependant une chose curieuse qu'un pays se sente aujourd'hui, plus que tous les autres, rongé par cette plaie propagandiste face à ses problèmes ? Le régime algérien n'offre aucunement des garanties bien sûres de paix intérieure et il le sait bien. La situation locale est pleine d'embarras et de périls, et il a de la peine à y mettre de l'ordre. Il ne parvient plus à créer une manière de vivre qui ne soit pas la guerre de mots.