Les États-Unis ont publiquement accusé vendredi le prince héritier d'Arabie saoudite d'avoir «validé» l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, au risque d'une crise entre les deux pays alliés. «Nous sommes parvenus à la conclusion que le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a validé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journaliste saoudien Jamal Khashoggi», écrit la direction du renseignement national dans un court rapport de quatre pages, déclassifié à la demande du président Joe Biden alors que son prédécesseur Donald Trump l'avait gardé secret. «Le prince héritier considérait Khashoggi comme une menace pour le royaume et plus largement soutenait le recours à des mesures violentes si nécessaire pour le faire taire», ajoute-t-elle. Le rapport souligne que le prince héritier disposait depuis l'année 2017 d'un «contrôle absolu» des services de renseignement et de sécurité du royaume, «rendant très improbable l'hypothèse que des responsables saoudiens aient pu conduire une telle opération sans le feu vert du prince». Les services de renseignement américains supposent par ailleurs que, à l'époque de l'assassinat de Jamal Khashoggi, Mohammed ben Salmane faisait régner un climat tel que ses collaborateurs n'osaient vraisemblablement pas remettre en question les ordres reçus, «par crainte d'être renvoyés ou arrêtés». La Maison-Blanche a annoncé que des «mesures» seraient dévoilées dans la foulée, sans plus de précisions. Le président Biden, qui avait jugé, avant son élection en novembre, que le royaume du Golfe devait être traité comme un État «paria» pour cette affaire, a tenté de déminer le terrain en appelant jeudi au téléphone le roi Salmane pour la première fois depuis son arrivée à la Maison-Blanche. S'il a mis l'accent sur «les droits de l'homme universels» et «l'État de droit», il a aussi adressé un satisfecit au monarque pour la récente libération de plusieurs prisonniers politiques. Et il a évoqué «l'engagement des États-Unis à aider l'Arabie saoudite à défendre son territoire face aux attaques de groupes pro-Iran», selon la présidence américaine. Ni Washington ni Riyad n'ont mentionné, dans leur compte-rendu de cet appel, le rapport déclassifié potentiellement explosif pour leurs relations bilatérales. Moment de vérité Critique du pouvoir saoudien après en avoir été proche, Jamal Khashoggi, résidant aux États-Unis et chroniqueur du quotidien Washington Post, avait été assassiné le 2 octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite. Son corps, démembré sur place, n'a jamais été retrouvé. Après avoir nié l'assassinat, Riyad avait fini par dire qu'il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls. À l'issue d'un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois condamnés à des peines de prison – les peines capitales ont depuis été commuées. Cette affaire a durablement terni l'image du jeune prince héritier Mohammed ben Salmane, dit MbS, véritable homme fort du royaume rapidement désigné par des responsables turcs comme le commanditaire du meurtre malgré les dénégations saoudiennes. Le Sénat des États-Unis, qui avait déjà eu accès aux conclusions des services de renseignement américains, avait aussi jugé dès 2018 que le prince était «responsable» du meurtre.