Une réforme de la Constitution voulue par le président Abdelmadjid Tebboune ouvre la voie à un possible déploiement de l'armée algérienne à l'étranger, faisant craindre chez certains un changement de doctrine militaire du pays, qui écarte actuellement toute intervention hors de ses frontières. L'Algérie veut désormais permettre à ses forces de prendre part à des opérations de maintien de la paix, selon l'avant-projet de la réforme dévoilé début mai. L'Armée nationale populaire (ANP) semble avoir les moyens d'une telle ambition, avec 467.200 hommes: 130.000 dans les forces d'active, 187.200 paramilitaires et 150.000 réserviste, selon l'Institut international d'études stratégiques (IISS) de Londres). Ses dépenses militaires ne sont pas en reste. Elles s'élevaient à 9,6 milliards de dollars en 2018, d'après l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), soit 5,3 % du PIB, ce qui situerait l'Algérie au premier rang continental. Le calendrier de cette réforme survient aussi dans un contexte régional tendu, au moment où Alger entend peser sur le conflit en Libye, avec laquelle elle partage près de 1.000 km de frontière. De plus, l'Algérie, qui a servi de médiateur en 2014-2015 entre le gouvernement de Bamako et des groupes rebelles armés du nord du Mali, s'inquiète des risques d'instabilité sur son flanc sud. Le comité d'experts chargé de la révision constitutionnelle, qui sera soumise à référendum, propose d'amender le texte en vigueur pour autoriser l'envoi de soldats à l'étranger, en posant des conditions. L'Algérie pourra « dans le cadre des Nations unies, de l'Union africaine (UA) et de la Ligue arabe, et dans le plein respect de leurs principes et objectifs, participer à des opérations de restauration et de maintien de la paix », précise l'amendement. La nouvelle mouture de la Loi fondamentale prévoit de donner le droit au président –chef suprême des forces armées et ministre de la Défense– d'engager des troupes, avec l'aval des deux tiers du Parlement. C'est une « possibilité » laissée à son « appréciation », note le président du comité, le professeur Ahmed Laraba. Alors qu'en vertu de son actuelle Constitution, Alger défend le principe de non-ingérence, certains analystes s'inquiètent d'un changement de doctrine. Alliée traditionnelle de la Russie, le pays s'est rapproché de l'Otan à partir des années 2000, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste. Mais son armée n'a participé à aucun conflit extérieur depuis la guerre des Six Jours (1967) et celle du Kippour (1973) contre Israël. « L'envoi de troupes militaires à l'étranger risque d'exposer nos soldats et le pays tout entier au danger », estime Reda Deghbar, professeur à la faculté de droit de Blida (sud d'Alger). Cette initiative « risque d'hypothéquer la souveraineté de l'Algérie car elle va donner l'occasion à des forces étrangères s'immiscer dans les affaires internes du pays », ajoute Smaïl Maaref, expert des questions stratégiques. Pas le moins du monde, rétorque le président du comité d'experts. « Ces amendements ne remettent pas en cause les principes fondamentaux autour desquels s'organise la politique étrangère de l'Algérie: souveraineté, non-intervention et non-ingérence », argue-t-il. Selon lui, la participation de l'armée à d'éventuelles opérations de maintien de la paix ne saurait être assimilée à « une forme d'intervention ». « Dans ce genre d'opérations, il n'y a pas d'affrontements, ni d'usage de l'armement lourd ». Qu'en pense l'armée elle-même, pilier du régime ? Un éditorial publié dans sa revue El Djeich (« L'Armée ») affirme que la révision constitutionnelle est « pleinement conforme à la politique étrangère » algérienne. Commentant la récente élimination par les forces spéciales française du chef d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), l'Algérien Abdelmalek Droukdel, dans le nord du Mali, Alger avait jugé que la lutte antiterroriste relevait de « la responsabilité » de la communauté internationale.