Le Premier ministre tunisien désigné, Habib Jemli, formera un gouvernement composé d'indépendants qui ne représentent pas les partis politiques, a-t-il déclaré le 23 décembre lors d'une conférence de presse. Le pays, qui connaît une profonde crise économique, est confronté à d'énormes défis. Le Premier ministre tunisien désigné, Habib Jemli, devrait bientôt annoncer un nouveau gouvernement de coalition, mais il doit faire face aux doutes d'une population de plus en plus agitée et mettre fin à l'un des pires ralentissements économiques du pays. «La situation économique (de la Tunisie) sera si difficile en 2020 et 2021 que le gouvernement a intérêt à ne pas perdre un temps qui peut être précieux», a déclaré Tony Verheijen, le représentant de la Banque mondiale à Tunis. Les analystes ont brossé un tableau sombre de l'économie tunisienne, qui s'est détériorée depuis 2011 alors que le mouvement islamiste Ennahda régnait dans le cadre de gouvernements de coalition. Jemli, 61 ans, expert en agriculture, était ministre adjoint dans le gouvernement de coalition dirigé par Ennahda en 2012-13. Il a été désigné pour diriger le gouvernement après que le parti de l'actuel président de l'Assemblée des représentants du peuple, Rached Ghannouchi, a terminé premier aux élections législatives, obtenant 52 sièges sur 217.Jemli, critiqué par certains comme «non qualifié» pour diriger le pays surtout dans un contexte marqué par l'aggravation de la crise économique et sociale, devra se démontrer agile pour former gouvernement capable de relever les défis de la Tunisie. «J'estime que le pays est bourré de compétences économiques plus reconnues que Habib Jemli», a déclaré Zied Laadhari, qui a démissionné de son poste de chef adjoint d'Ennahda pour protester contre la nomination de l'ancien secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'agriculture. «Sur la base de considérations d'indépendance et de compétence politiques, le choix de Jemli pour diriger le prochain gouvernement n'était pas judicieux» a-t-il déclaré. «Je pense que nous répétons les mêmes erreurs du passé alors que le prochain gouvernement est supposé être le gouvernement de la dernière chance pour le pays», a-t-il ajouté. Un sondage réalisé par Emrhod Consulting, rendu public le 4 décembre, a indiqué que 89,6% des Tunisiens interrogés se sont déclarés déçus de leur situation économique. «Si cette crise n'est pas surmontée dès que possible par une prise de conscience des élites politiques et économiques du pays, l'expérience démocratique tunisienne échouera», a déclaré Mehdi Taje, le directeur de Global Prospect Intelligence. «En fait, la crise politique combinée à une crise économique et sociale sans précédent dans l'histoire de la Tunisie exacerbe les tensions sociales dans le contexte d'une forte baisse du pouvoir d'achat, d'une aggravation de la pauvreté et d'un chômage massif» a-t-il détaillé. L'économie tunisienne est devenue si fragile qu'elle peine même à absorber les prêts bonifiés qu'elle a reçus de la Banque mondiale. «Nous avons mis à la disposition du gouvernement 4,6 milliards de dollars depuis 2011. C'est exceptionnel car nous avons considéré la Tunisie et sa transformation démocratique réussie comme un atout pour la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord», a déclaré Verheijen. «Nous sommes bien conscients que le succès d'une transition politique démocratique nécessite également le succès de la transition économique» a-t-il proclamé. Cependant, la Tunisie n'a pas été en mesure de traduire l'aide qu'elle a reçue en projets de développement et a recouru à de nouveaux emprunts. Avant 2011, le gouvernement tunisien utilisait la plupart des emprunts pour investir dans les infrastructures et le développement local, ce qui a engendré une croissance annuelle moyenne du PIB de 5%. Après 2011, les emprunts ont principalement servi à financer les dépenses publiques. La dette en proportion du PIB est passée de 35% en 2010 à environ 80% cette année. Elle devrait atteindre 89% l'an prochain, selon les chiffres officiels. «L'endettement provient de notre déficit commercial», a déclaré Taoufik Rajhi, le ministre chargé des grandes réformes. «Nos dépenses servent principalement à payer les salaires et les subventions de la fonction publique, tels que l'électricité, le gaz, les produits pétroliers, l'eau, le sucre, le café et d'autres projets.» Les experts ont déclaré que le prochain gouvernement doit développer un programme complet pour réduire la pauvreté et répondre aux urgences sociales afin de redonner espoir aux segments les plus fragiles de la population qui ont commencé à descendre dans la rue pour exprimer leur frustration. Les autres priorités du gouvernement sont de ramener la production phosphatienne tunisienne aux niveaux d'avant 2011, de réduire le déficit budgétaire, d'améliorer les services publics et de renforcer la valeur du dinar pour contenir l'inflation et freiner l'aggravation du déficit commercial, ont déclaré des experts. Jemli, a demandé la semaine dernière au président Kais Saied plus de temps pour former un gouvernement. Les pourparlers pour construire une coalition au pouvoir capable de gagner un vote de confiance se sont avérés difficiles vu que les élections d'octobre ont produit un parlement fracturé dans lequel aucun parti ne détenait plus d'un quart des sièges. Plusieurs des principaux partis ont soit exclu de rejoindre le gouvernement, soit déclaré qu'ils ne le feraient pas si l'un ou l'autre des principaux partis y sera intégré. Une bataille sur les portefeuilles les plus importants a été également mentionnée comme une des raisons de l'impasse politique. La Tunisie, malgré son virage démocratique, a connu des difficultés économiques au cours des huit dernières années qui ont parfois menacé de saper sa transition politique. Le gouvernement cherche à trouver un accord avec le puissant syndicat général du travail tunisien, dont les dirigeants sont en désaccord avec Ennahda et son allié islamiste plus radical, la coalition El Karama. De hauts responsables de ladite coalition ont affirmé que la direction du syndicat «est minée par la corruption».