Invité vendredi 13 à Rabat du «Temps du livre», une manifestion organisée par le secrétariat d'Etat chargé de la Jeunesse, Mahmoud Darwich, l'une des plus grandes figures de la poésie arabe contemporaine dit tout sur son art et son engagement pour la cause palestinienne. L'ambiance dans la salle des conférences du secrétariat d'Etat chargé de la Jeunesse est des plus rendues vendredi 13 février. Est pour cause, l'invité du «Temps du livre», est de marque. Et c'est le moins que l'on puisse dire. Organisée pendant tout un mois par ce département, à sa tête Mohamed El Gahs, cette manifestation, qui consistait à faire la collecte de livres pour en faire bénéficier ceux qui en ont le plus besoin, se devait de finir en beauté. Un objectif atteint par la présence de Mahmoud Darwich, l'une des plus grandes figures, non seulement de la poésie palestinienne, et par extension arabe, mais aussi universelle, et dont le nom est systématiquement associé à la lutte palestinienne pour la liberté. Une belle façon également pour le département d'El Gahs de rapprocher les jeunes et la lecture par l'entremise d'écrivains et poètes du calibre de Mahmoud Darwich. Ce dernier n'a pas manqué à cette occasion de déplorer le manque de lecteurs dans les pays arabes. «Nous ne sommes même pas des victimes de l'ère Internet. Notre déficience en matière de lecture relève plus de l'ère anté-civilisation», a-t-il déclaré. Un triste constat, mais aussi l'assurance qu'il reste encore des lecteurs de la poésie. La poésie qu'il définit non pas comme un écho des victoires. «Son énergie et sa vitalité ne sont en aucun cas liées à un événement donné, qu'il s'agisse d'une victoire ou d'une défaite. La poésie est un exercice bien trop fragile pour cela. Son message, s'il en est un, est celui que l'on adresse à l'âme, à qui l'on propose un univers autre que celui dans lequel nous vivons. Elle est en cela une réponse aux plusieurs formes d'injustices subies dans le monde réel», a précisé M. Darwich. Pour lui, la poésie est un refus de la défaite de l'âme et de son occupation. C'est un éternel rempart contre toutes les formes d'invasions, qui sont en passe de tout prendre. Elle n'a ni un temps ni un espace auquel elle doit se limiter. Des propos qui tranchent avec une étiquette que sa vie durant, Mahmoud Darwich a eu à porter, celle de l'historien qui retrace par son art la souffrance du peuple auquel il appartient. Lui, il considère que toute poésie, surtout musicale, est par définition une expression autobiographique, avec un regard sur le monde et sur les choses. Tout poète ne peut que commencer par soi, en relation avec son environnement. « Ma poésie est un registre personnel, une intersection entre l'individu et le groupe écrit de manière impersonnelle. Mais je ne suis ni un historien, ni un correspondant de guerre», a affirmé le poète. En réponse à une question relative au rapport entre sa nationalité et son art, et si les événements auraient pris un autre cours s'il n'était pas né palestinien, Mahmoud Darwich a déclaré que cette naissance est peut-être une bénédiction, comme elle est peut-être une malédiction. Il s'estime dans ce sens maudit, damné poétiquement car il est palestinien. « Ma poésie est perçue plus comme un acte de résistance à l'occupation israélienne que comme une expression artistique. Tous les poètes du monde sont appréciés, jugés, critiqués sur la base de leurs œuvres. Dans mon cas, c'est toujours mon appartenance qui prend le dessus. Je suis toujours le poète palestinien et non pas un poète tout court », a-t-il expliqué. Une appartenance qui ne l'a pas empêché de refuser le poste de ministre de la Culture, au moment où l'autorité palestinienne venait d'être créée. « J'avais des réserves quant aux fondements même de l'actuelle autorité palestinienne, à savoir les accords d'Oslo dont elle est l'aboutissement. D'autant que je ne pouvais pas être divisé entre deux domaines aussi différents, voire contradictoires : la poésie et la politique », a commenté le poète. Un poète pour qui il n'y a pas plus difficile de définir l'intellectuel arabe. La raison est bien simple. Les intellectuels arabes ne représentent pas un seul et unique cas de pensée, encore moins une seule position. Critiques ou à la solde du pouvoir politique, ces derniers sont aussi différents que divergents. « Il y en a même qui se félicitent de l'avènement de la démocratie, même si cette dernière est portée par des chars et des tanks américains », s'est-il exclamé. Une exclamation qui masque cependant une révolte bien digérée avec les années. On l'aura remarqué, Mahmoud Darwich, qui a su garder toute sa fraîcheur et sa jeunesse, n'en est pas moins plus sage. Ferme sur ses positions, il s'est mu en fin diplomate. Entre le Darwich d'il y a 20 ans et celui d'aujourd'hui, force est de constater que beaucoup a changé. « Il y a 20 ans, j'étais tout d'abord jeune de 20 ans comparé à maintenant. Plus jeune, j'étais aussi plus aventureux, impulsif. Mon contrôle sur mon discours poétique était moins sévère. Maintenant, je suis moins enclin à me soumettre à l'instant présent. Mon expérience et mes connaissances ont également mûri. Mon intérêt se porte désormais plus à la cause de la poésie qu'à la poésie de la cause », a-t-il répondu. Plus réfléchi, certes, mais plus exigent. A ceux qui se plaignent du manque de lectorat, il répond sans sourciller : « On doit leur donner une poésie de meilleure qualité. A commencer par donner un sens à la poésie. La poésie n'est pas un délaissement du sens ». Là est la garantie d'avoir plus de lecteurs. On ne croit pas si bien dire.