M. Mouatassim est parmi les cinq personnes condamnées dans le cadre de l'affaire Belliraj et qui ont été libérées, suite à une grâce royale. Le chef du parti Al Badil Al Hadari, dissous en 2008, parle de ses trois ans de prison, des changements que vit le Maroc et de ses projets pour relancer son parti. ALM : Quelles sont vos impressions suite à votre libération ? Mustapha Mouatassim : Je suis très heureux. Je ne peux qu'être content suite à notre libération. Ce qui me rend encore plus heureux c'est de voir mon pays s'engager dans un processus de transition démocratique. C'est cela qui est le plus important. Le Maroc d'aujourd'hui connaît plusieurs changements. La libération des détenus politiques est une reconsidération des valeurs de la liberté. C'est une initiative qui met fin à une injustice qui a duré trois ans. J'estime que le contexte local et régional a favorisé des mutations profondes. Nous souhaitons fortement que cette initiative louable rompe avec l'injustice et le despotisme afin de construire un édifice démocratique fort au Maroc. En fait, je salue vivement l'Instance de défense, composée de plusieurs sensibilités, qui a beau milité pour notre libération en plus des avocats qui nous ont défendus. Ces derniers ont cru en notre innocence malgré tout. Nos familles ont également milité en notre faveur. Aussi, le Mouvement du 20 février, né dans un contexte particulier suite au martyr du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi, a également joué un rôle déterminant. Dans les manifestations du 20 février et du 20 mars, ce Mouvement de jeunes a appelé à la libération de tous les détenus politiques. Je salue également les associations de défense des droits de l'Homme et les médias qui ont plaidé, sans cesse, pour notre innocence. On ne doit pas aussi oublier le CNDH, créé récemment, et qui a pris en main le dossier de la libération des détenus politiques. D'ailleurs, la grâce royale est intervenue suite à un mémorandum de ce Conseil. Comment avez-vous été impliqué dans le procès de la cellule Belliraj ? La justice a joué un rôle négatif durant les années de plomb. Aujourd'hui, rien n'a encore changé. Plusieurs discours royaux ont mis en exergue cette réalité. La justice au Maroc est corrompue et dépend des directives. Et ce ne sont pas uniquement les détenus politiques qui en souffrent mais aussi les prisonniers de droit commun. J'espère très fort que le «vent de Bouazizi», exprimé par les jeunes du 20 février, souffle sur la justice pour qu'elle soit réformée. Plusieurs détenus de la cellule Belliraj et de la Salafiya Jihadiya n'ont pas été libérés. Qu'en dites-vous? Je dis que notre bonheur aujourd'hui n'est pas complet. Nous souhaitons fortement mettre fin définitivement à la problématique de la détention politique. Plusieurs personnes qui sont toujours en détention sont innocentes et doivent être libérées immédiatement. Certes, il y a aussi des personnes qui ont commis un tort envers leur pays, mais qui ont fait des révisions de leurs idées en prison. L'Etat est appelé à entamer un dialogue avec ces derniers pour trouver une solution de leur dossier. Par contre, pour les personnes qui sont toujours attachées à la violence et aux choix catastrophiques et qui refusent d'adhérer à la voie de la paix, quelles qu'elles soient et quel que soit le courant idéologique auquel elles sont fidèles, l'Etat doit accomplir son devoir en protégeant la société contre elles. Que pensez-vous des autres détenus dans le cadre de la cellule Belliraj ? Je dis que le tribunal n'a pas pu prouver aucun élément de culpabilisation à l'égard de ces personnes. Sinon, les autres considérations ne me concernent pas. Le procès dans son ensemble a été injuste. Dans le cadre de ce procès, les témoins ont témoigné en notre faveur pour nous décharger des accusations, mais le tribunal ne les a pas pris en considération. Nous avions compris, dès lors, que notre procès était politique et qu'il ne fallait pas s'attendre à grand-chose d'une justice corrompue et dépendante. Comment voyez-vous l'impact de la libération des détenus sur la vie politique au Maroc ? Il s'agit d'une démarche qui va ressusciter la confiance. Le jour où George W. Bush a dit en 2001, suite aux attentats du 11 septembre, «Avec nous ou avec les terroristes», plusieurs citoyens marocains ont été détenus arbitrairement dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Avec l'IER, nous nous sommes inscrits dans un processus de réconciliation avec notre passé. Toutefois, avec les procès inéquitables enclenchés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, nous avons assisté à une reproduction de l'histoire douloureuse ce qui a donné lieu à une véritable crise de confiance. Aujourd'hui, le fait de vouloir liquider le dossier des détenus politiques ne pourra qu'avoir un impact positif. L'acteur principal dans le contexte actuel c'est le Palais royal qui a initié des réformes qui ressuscitent l'espoir. Il s'agit, entre autres, de la réforme du Conseil de la concurrence, l'ancien CCDH et l'Instance centrale de prévention contre la corruption. Entendez-vous reprendre l'action politique à travers le parti Al Badil Al Hadari ? Nous allons militer pour ressusciter le parti Al Badil Al Hadari. La dissolution de ce parti en 2008 a constitué une première au Maroc. Plusieurs partis politiques ont été impliqués dans les violations graves des droits de l'Homme des années de plomb et pourtant ils n'ont pas été dissous. Ceci dit, nous appelons la Cour suprême et le tribunal administratif à fixer une date d'une séance pour examiner le dossier de notre parti. A noter que nous avions porté plainte devant la justice en 2008 contre la décision de la dissolution, mais depuis lors, la justice n'a pas examiné notre demande. Nous appelons les responsables à faire preuve de bonne foi pour prouver que le Maroc s'est inscrit réellement dans la voie de la transition démocratique. En 2008, nous avions peur de l'avenir. En 2011, nous avons quitté la prison plein d'optimisme. Aujourd'hui au Maroc, il y a plusieurs indices qui montrent qu'il est possible de réussir, dans ce pays cher, la transition effective vers la démocratie et l'édification de l'état de droit. Que pensez-vous du chantier de la réforme de la Constitution ? La CCRC continue son travail en élargissant le champ de concertations. Je regrette le fait que cette Commission ne nous a pas convoqués en tant que parti politique pour présenter notre vision à propos de la réforme constitutionnelle. Ceci dit, je pense que le débat enclenché actuellement au sujet de la réforme, notamment dans les médias publics et la presse, est un point très positif. Il y a une certaine dynamique qui ne peut être que bénéfique. Les propositions présentées par les partis politiques, les acteurs de la société civile et les centrales syndicales aideront la Commission dans sa mission. L'enjeu pour le Maroc est énorme. Si nous arrivons à réussir ce chantier, nous réussirons indiscutablement une transition démocratique réelle. Par contre, si nous échouerons, chose que nous n'espérons pas, les conséquences ne peuvent être que catastrophiques. Racontez-nous votre expérience en prison ? Après avoir passé les premiers jours en prison où je sentais toujours l'amertume de l'injustice, j'ai commencé à m'habituer à cette donne. J'ai fait comprendre aux membres de ma famille que l'emprisonnement n'était pas étranger à ma mission de militantisme en tant qu'acteur politique. Durant mon emprisonnement, je me suis consacré à la lecture afin de renforcer mes connaissances culturelles. Aussi, au sein de la prison, j'ai pu constater une réalité qui m'était un peu étrangère, celle des conditions de détention. En fait, j'appelle tous les acteurs politiques à passer volontairement au moins une semaine en prison pour sentir la souffrance de la population marocaine carcérale. Cette expérience leur permettra, en outre, de constater de près les problèmes sociaux dont souffrent les prisonniers. Comment votre famille a vécu cette expérience ? Les membres de ma famille ont beaucoup souffert de ma détention. J'ai toujours inculqué à mes enfants les valeurs de la tolérance, la coexistence pacifique et le dialogue, mais ils ont été secoués par des accusations choquantes qui m'ont été adressées par le ministre de l'Intérieur et celui de la Communication. Imaginez la souffrance d'un enfant lorsque ses collègues à l'école le traitent de «fils de terroriste»! Seule leur conviction profonde en mon innocence leur a permis d'amortir l'effet du choc. Dieu merci, ma libération a montré à mes enfants que les valeurs auxquelles je les toujours éduqués sont celles auxquelles je crois profondément moi-même.