Dans les jours qui ont suivi les révolutions de Tunisie et d'Egypte, beaucoup se sont demandés : et la Syrie va t-elle bouger aussi? Durant plusieurs semaines, rien ne s'est passé. Le pouvoir de Bachar al-Assad pouvait se montrer satisfait. Dès le début de l'année 2011, il avait tout fait pour prévenir de possibles révoltes, annonçant de nombreuses mesures sociales et faisant baisser les prix des produits de première nécessité. Mais les aspirations à plus de liberté et à davantage de justice ont fini par se faire entendre, dans le sud du pays d'abord, dans les faubourgs de Damas ensuite. Le régime, qui avait mobilisé ses services de sécurité et ses partisans, a répondu par la répression: plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessés, de multiples arrestations. La protestation, cependant, ne s'est pas éteinte. La Syrie représente un cas très particulier. Alors que, au Bahreïn, nous avons un pays majoritairement chiite dirigé par une dynastie sunnite, à Damas on trouve un pouvoir alaouite (à ne pas confondre avec la monarchie marocaine) qui est issu d'une branche du chiisme. Il y a onze ans, en l'an 2000, Bachar al-Assad a succédé à son père, Hafez al-Hassad, qui avait conquis par la force le pouvoir en 1971. On a alors pu espérer que le jeune chef d'Etat, formé en Grande-Bretagne, allait rompre avec le pouvoir autoritaire de son père et engager de véritables réformes. Il n'en a rien été. La famille al-Assad tient les principaux leviers de commande du pays. Un des cousins de Bachar, en particulier, a la mainmise sur les secteurs les plus rentables de l'économie nationale. Les généraux, souvent alaouites eux aussi, ont toute liberté pour s'enrichir grâce à la corruption, dès lors qu'ils prouvent leur fidélité au président et à son clan. Une police politique toute puissante, les moukhabarat, surveille de près tout mouvement de contestation et frappe sans pitié les protestataires. Le pays, dirigé à partir de son indépendance par le parti Baath qui se voulait, à l'époque, laïc et socialiste, est désormais totalement engagé dans l'économie de marché, ce qui crée de nouveaux riches mais, aussi, de nouvelles pauvretés. Quand le printemps arabe a touché la Libye, le colonel Kadhafi a aussitôt demandé le soutien de Bachar al-Assad. Celui-ci le lui a accordé sans hésiter. Des militaires syriens ont été envoyés en Libye, afin de renforcer des troupes déjà présentes dans le cadre d'accords de coopération. Et la Syrie s'est opposée à la Ligue arabe, quand celle-ci s'est prononcée en faveur d'une zone de non-survol du territoire libyen pour stopper la violence de Kadhafi contre son peuple. En fait, Bachar al-Assad est conscient que, si Kadhafi tombe, cette chute pourra apparaître comme annonciatrice de la sienne aux yeux de la population syrienne. Pourtant, Bachar ne semble pas haï par la majorité de son peuple. Il aurait encore la possibilité d'apporter de vrais changements. Mais depuis quarante ans, le clan des al-Assad exerce le pouvoir par la force. Peut-il apprendre à gouverner autrement? Surtout, Bachar al-Assad doit veiller à ce que ceux qui forment le socle et le ciment de son régime: sa famille, les généraux corrompus, les moukhabarat, ne se sentent pas menacés. Lui pourrait peut-être accepter la démocratisation de son régime. Pas eux. Jusqu'à quand la fuite en avant sera-t-elle possible ?