La lettre commise par Abdelhak Serhane dans un quotidien parisien, je dois l'avouer, m'a interpellée à plusieurs égards. Il soulève, pour moi, beaucoup de questions sur le rôle d'un intellectuel particulièrement un moment où une société a un besoin urgent de sens. Je n'y vois pas nécessairement le crime de lèse-majesté et j'aimerais, par avance, qu'on m'épargne l'accusation de crime de lèche majesté. Il y a d'abord le choix du support. Une lettre, même provocante et surtout ouverte, se doit d'être un peu intime. Pour faire, il aurait mieux valu la publier chez soi et non pas dans un journal, certes prestigieux, mais qui a, en général, des positions ambiguës sur le Maroc. Et si les connivences avec Tuquoi et consorts, comme je le suppose, ont contribué à faciliter la publication de la missive, sa portée s'en trouve considérablement obérée. Jamais ce journal n'aurait permis un papier avec une telle teneur contre un responsable français ou européen. Car la violence nerveuse est d'abord le talon d'Achille du papier. Il y a ensuite la forme. Je comprends que l'ego hypertrophié de «l'intellectuel trublion» peut être grisé par la posture séditieuse. Je ne remets même pas en cause la sincérité de son engagement. Il y a un raisonnement tendre qui s'exprime avec des mots cruels. La lettre est un outil qui se prête facilement à l'interpellation avec le risque de sombrer dans l'injure. Le pamphlet est un style aisé. Il a trois règles connues : l'exagération. Là dessus, Sahrane a la suite dans les idées. Il a toujours excellé dans l'excessif oubliant, lui l'homme de lettre, la phrase de Talleyrand «tout ce qui est excessif est insignifiant». La seconde règle, c'est la satanisation. Le diable, pour l'occasion, c'est l'establishment dont Fouad Ali Himma est devenu la figure totémique propice, ces derniers temps, à la lapidation par le premier venu pour ne pas dire par le dernier parvenu. Enfin et pour réussir un pamphlet, il y a une troisième condition sine qua none. Il faut du brio. Et là je suis forcé de dire que celui-ci fait cruellement défaut au texte. Et n'en déplaise à l'ancien professeur de la Faculté de Kénitra, le franc-parlé, hormis qu'il procure, dans son cas, de la bonne conscience, ne saurait à lui tout seul constituer un manifeste politique. Maintenant sur le fond. Si j'ai bien compris, Serhane fait partie de ces dévots de la pureté qui veulent que la pureté devienne la norme de la société. Il convoque pour cela le peuple, substrat anonyme et détenteur de la vérité infuse. Il révoque ses représentants, ses corps intermédiaires et ses responsables qu'il juge comme usurpateurs indignes, voire bons pour l'échafaud…ou l'exil. Le chemin serait dégagé pour le quarteron d'autoproclamés intercesseurs du peuple. Et dans cet usage fait du peuple, je vois pour ma part beaucoup d'impureté.