Les soulèvements, de jasmin ou de fève, font des victimes parmi les manifestants et des malheureux parmi les régnants. A tout malheur, quelque chose de bon, ils ont fini par faire, je le suppose, un heureux : Laurent Gbagbo. Grâce à ces soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte, la Côte d'Ivoire s'est vue s'extraire du maelstrom médiatique et les démêlés entre les deux présidents, Ouattara et Gbagbo, sont renvoyés à la dimension de chicanes politiciennes enserrées dans l'enclos ivoirien. Le Monde suit les troubles du monde arabe avec intensité et parfois, il faut le dire, avec frayeur. Le mouvement se métastase et semble faire tache d'huile. Il y a comme un vent de raison, et non pas de folie, qui s'empare des foules arabes. Il dit la forte demande de démocratie, de justice et d'équité. Il ne répond à aucune injonction ni à aucun mot d'ordre. Il se répand dans les veines d'Internet et dans les méandres fluides des réseaux sociaux et numériques. Ces mouvements telluriques secouent les régimes mais aussi et surtout certains dogmes, notamment chez les grandes puissances. Parmi ces théories, la plus puissante demeure celle-ci : Ces régimes, autoritaires, gougnafiers, grabataires et tout ce qu'on veut, du moment qu'ils constituent un cordon sanitaire contre l'islamisme et qu'ils assurent, sur le plan économique, 5 à 6% de croissance économique, peuvent être absous de tous leurs travers. On peut, de temps en temps, faire un sermon, il faut, en revanche, surtout ne toucher à rien au risque de sombrer dans la barbarie. Cette théorie de la cécité délibérée est une faute de l'esprit. Il faut espérer qu'elle connaîtra, avec ces épisodes, son avis de décès. Autant l'incrédulité et, très vite, la sympathie ont accompagné le mouvement tunisien, autant ce qui remue l'Egypte peut susciter de l'appréhension. Si on a adopté avec Moubarak le principe du «contre mauvaise fortune, bon cœur», sa tentative de placer son fils qui, selon une rumeur, se serait déjà réfugié à Londres, a beaucoup froissé y compris une conservatrice comme Condoleezza Rice. On ne peut toutefois traiter l'Egypte du revers de la main. Il s'agit là d'une puissance régionale stratégique. Elle est la voisine immédiate d'Israël et le premier pays arabe à l'avoir reconnu. Ses relations avec l'Etat hébreu sont au centre de toute solution de paix au Proche-Orient. Et si la frilosité diplomatique a marqué l'épisode tunisien, il y a lieu d'avoir de la circonspection, voire la vigilance dans le cas égyptien. Pour deux raisons : Les islamistes sont autrement plus puissants et mieux organisés, et c'est un risque. La seconde raison, c'est qu'en Egypte une autre option existe. Elle s'appelle Mohamed ElBardei, prix Nobel de la paix comme Obama. Il peut constituer une alternative honorable.