Un homme politique meurt assassiné au Pakistan. On en parle un jour ou deux dans la presse internationale, et puis plus rien. La violence meurtrière est devenue si quotidienne dans de nombreux pays, qu'elle finit par être banalisée. On risque de s'y habituer. Mais ainsi meurent les nations. C'est, sans doute, l'homme politique le plus courageux du Pakistan qui a été tué mardi 4 janvier à Islamabad par un fanatique de 26 ans, un policier qui était censé assurer sa protection. Salman Taseer, 66 ans, était le gouverneur du Pendjab pakistanais depuis 2008. Il appartenait au Parti du Peuple Pakistanais (PPP), le parti de Benazir Bhutto, assassinée elle aussi en décembre 2007. Il était considéré comme une figure libérale, qui ne cessait de mettre en garde contre l'influence grandissante, dans toute la société, d'un Islam ultra et intolérant. Il y a quelques années, pourtant, son fils Asatish, qui partage sa vie entre New Delhi et Londres, avait publié un livre émouvant et dur à la fois («Etranger à mon histoire»), où il reprochait à son géniteur un certain aveuglement sur ce qu'est devenu le Pakistan. Il aurait voulu un père plus libéral encore! Au Pendjab, Salman Taseer s'employait à développer l'éducation et à promouvoir la tolérance. Ces derniers mois, il était devenu une des principales, mais aussi une des rares voix qui préconisaient l'abolition du «Blasphemy Act». Cette loi «contre le blasphème» permet à n'importe qui d'accuser sans beaucoup de preuves quelqu'un d'autre au motif qu'il aurait insulté le Coran ou le Prophète Mohammed. La peine prévue dans le cas d'une telle accusation n'est rien moins que la peine de mort. La minorité chrétienne du Pakistan a été souvent la cible de pareilles incriminations. Des enfants ont même été inquiétés. Récemment, une mère de famille, Asia Bibi, a été ainsi condamnée à la peine capitale sur la base des seuls dires d'autres femmes. Salman Taseer était allé la visiter dans sa prison, convaincu qu'elle avait fait l'objet d'un procès injuste. Après l'assassinat de Salman Taseer, un deuil national de trois jours a été décrété par le Premier ministre Youssouf Raza Gilani, qui a eu le courage de se rendre aux funérailles. Mais le président Asif Ali Zardari, qui était pourtant son ami et son allié politique, et la plupart des autres responsables politiques du pays, se sont bien gardés d'assister aux prières funéraires. Pire! Un des principaux mouvements religieux du pays, la Jamaat-e-Ahl-e-Sunnat, dans un communiqué signé par cinq cents religieux, a proclamé que la mort du gouverneur devait servir de «leçon» aux politiciens. Trois cents juristes ont annoncé qu'ils étaient prêts à défendre gratuitement l'assassin. Ce dernier, lorsqu'il a comparu devant le tribunal antiterroriste de Rawalpindi, a eu droit à des pétales de roses, des guirlandes et des ovations. Plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues en sa faveur. Il est facile de fanatiser des foules incultes et frustrées et de les entraîner dans l'intolérance et la violence. La religion est tellement «chevillée au corps» (et au cœur) de beaucoup dans nos sociétés musulmanes, que la manipulation des émotions est facile. Mais quand l'incendie est allumé, il devient difficile de l'éteindre.