Le parti de l'Istiqlal, fort de sa légitimité historique et de la maîtrise de son organisation, prépare les prochaines échéances électorales en se positionnant comme candidat à «l'alternative de l'alternance». Cependant, il doit s'affirmer sur la base d'une identité et d'un programme clairs. Dans une scène politique cousue main, reprisée avec plus ou moins de bonheur, le parti de l'Istiqlal peut se targuer d'être ce bout de tissu originel, magiquement préservé. Rajeuni, remodelé, réadapté à la nouvelle donne, le parti de Allal El Fassi n'en a pas moins gardé une homogénité, que l'on a défendue bec et ongles, plaçant le devenir du parti, sa prise de participation pour ne pas dire de direction des affaires du pays, au dessus des velléités autonomistes, des Iznogoud qui, ici comme ailleurs, n'ont pas manqué de se déclarer. Quand, après 24 années à la tête du parti, M'hamed Boucetta a passé la main, tout s'est passé dans un calme apparent. La continuité a été assurée par Abbès El Fassi, alors président de la commission préparatoire du congrès extraordinaire de décembre 1997 qui avait amené et canalisé ce que la presse avait appelé à l'époque une « révolution générationnelle » au sein de l'Istiqlal. A soixante ans, avocat de métier, depuis ses 34 années membre constamment réélu du comité exécutif du parti, Abbès El Fassi, également proche parent du leader Allal El Fassi, avait la stature et la prestance que requérait la nouvelle destinée du parti. Plusieurs fois ministre, ambassadeur à Paris et à Tunis, il apportait en même temps le statu quo que l'on entendait maintenir dans certains volets, et la nouvelle conception de la politique partisane que nécessitait la conjoncture. Ces deux impératifs allaient imposer une navigation au plus près dans les méandres de l'échiquier politique, exercice dans lequel le nouveau secrétaire général, même avec beaucoup moins de latitude que ses prédécesseurs du fait des nouvelles dispositions organisationnelles, allait exceller. La première participation au gouvernement Youssoufi, en 1998, donne tout de suite le ton. Le parti de l'Istiqlal, membre de la Koutla, ténor de l'opposition, innove mettant en avant son fameux «soutien critique». ». Le parti ne peut passer à côté d'un gouvernement historique, issue d'une alternance alors drapée de tout un halo d'espoirs, mais en même temps il ne peut se résoudre à n'être que le co-pilote, même confirmé, de son « rival », l'USFP aux commandes. Manœuvre de haut vol. L'Istiqlal sera au gouvernement tout en n'y étant pas. Il opte pour une participation de second plan pour 5 des six portefeuilles dont il hérite, gardant ses vrais ténors sous le coude. Histoire de pouvoir à tout moment retirer ses billes du jeu, ou encore se permettre de les sacrifier, si la partie se révélait irrémédiablement perdue. Le parti gardait ainsi aussi, toute latitude à la critique, dont il faisait le corollaire de sa participation. Il n'allait pas s'en priver. Les multiples sorties de Abbès El Fassi clouent au pilori le moindre écart du premier gouvernement Youssoufi. Pointent les carences, mais du fond d'un cocon douillet qui préserve l'acquis de l'alternance, tout en évacuant le bilan fort probablement négatif. La presse du parti s'en donne également à cœur-joie, tirant à boulets rouges sur la coalition au pouvoir. Les mêmes que ceux qu'on réservait à la droite au pouvoir. Les occasions ne manquent pas, chômage, pauvreté et tous les maux que l'on espérait facilement guérissables. Seulement, le cocon allait singulièrement se rétrécir à l'occasion du remaniement du gouvernement de l'alternance. Le secrétaire général du parti de l'Istiqlal, désormais membre, presque malgré lui, de l'exécutif, allait devoir mettre la main à la pâte. Manœuvre experte de Abderrahmane Youssoufi ou cheminement irrévocable ? Sans doute les deux. Me. Abbès El Fassi se voit confier le département de l'Emploi, de la Formation professionnelle, du Développement social et de la Solidarité. Un chantier si grand, si compliqué, et cristallisant tellement d'attentes, qu'il lui faudra bien ranger définitivement son « soutien critique», tout en veillant à ce que son bilan soit « plaidable» lors de la grande confrontation de septembre 2002. En a-t-il été dupe ? Pas le moins du monde. Il se trouve que la voilure « soutien critique » n'aurait peut être pas pu tenir le cap jusqu'aux élections législatives, et que faute de prévoir son comportement, on a préféré la renforcer d'un passage au gouvernement. La prochaine confrontation électorale montrera dans quelle mesure cette politique aura payé. En attendant, de l'intérieur de l'exécutif, le parti de l'Istiqlal continue à renforcer son statut d'alternative, « qui n'aurait pas dû être manquée », et qui garde intacte ses chances de réaliser une alternance dans l'alternance.