Bercé dans une atmosphère spirituelle, Bachir Charaf, jeune chanteur et musicien marocain, fait porter sa voix jusqu'aux spectacles les plus délirants d'Italie. Son talent n'est pour lui qu'un moyen de mieux communiquer avec autrui. Le visage est lumineux, l'attitude sereine, le ton joyeux. Jovial, Bachir Charaf l'est bel et bien. Son léger excédent de poids, généralement appelé embonpoint, ajoute à sa sympathie et bonhomie. Pourtant, il évolue dans un milieu où l'on est généralement stressé, le regard plutôt terni par des cernes qui en disent long sur un rythme de vie sans limites : la musique et le spectacle. Lui, il ne s'y laisse guère aller. Il est plutôt partisan du « fume pas, boit pas… » et du « couche tôt, lève tôt ». Ce qui n'est pas sans lui donner un petit air sérieux que renforcent ses origines soussis dont il ne se défait jamais. Cela se voit et s'entend à son accent. Musicalement, c'est à l'école primaire qu'il a commencé à faire parler de lui. « J'aimais chanter et, encore enfant, je n'éprouvais aucune gêne à me donner littéralement en spectacle devant mes camarades de classe », déclare Charaf. Né en 1974, il intègre à 13 ans le conservatoire de Rabat et peaufine son talent. Epris de la musique orientale classique et amoureux du partage, il a pour habitude, alors qu'il était au collège, de réunir ses amis et leur apprendre le solfège. Une attitude que certains de ces professeurs trouvait admirable et qu'ils encourageaient en aménageant quelques minutes de leurs cours à Bachir. C'était à l'époque du collège et dans un établissement de Rabat qui ne disposait ni d'espace pour le sport, et encore moins d'une salle pour l'enseignement de la musique. Bachir Charaf finit par laisser de côté les études et se consacrer au commerce. Une activité qui ne l'empêche pas de continuer à chanter. Cette fois, ce sera dans la chanson spirituelle et les litanies où sa voix brillera de mille feux, lui valant invitation après invitation dans les cercles très fermés de la spiritualité et du souffisme. Bachir s'ouvre entre-temps à toutes les influences, entraîne sa voix dans tous les rythmes, la fait se flotter sur tous les airs. Du folklore marocain aux tendances les plus modernes de la musique moderne occidentale, en passant par l'oriental et les mawals, il pousse ses expériences toujours plus loin. En 1998, Bachir part en Italie. Il suit la vague de départs que prennent plusieurs jeunes de son âge. Il avait une vie à vivre. Au Maroc, c'était difficile. Sa découverte par le groupe Tantra Tribe s'est faite presque par hasard. Entre deux boulots à temps partiel, Bachir trouve le temps de fréquenter des milieux d'artistes. Lors d'une soirée organisée par l'une de ses connaissances, on lui demande de chanter un air arabe. Chose qu'il n'hésite pas à faire. Une membre du groupe était là. Elle tombe sous le charme d'une voix qui vient d'ailleurs, mais qui n'en est pas moins perçante, pénétrante, chaleureuse, marquée par une certaine mélancolie et la nostalgie des moments simples de joie, qui font le vrai bonheur. Charaf correspond parfaitement à Tantra, véritable melting pot de toutes les tendances musicales, du qawali au trip-hop à l'anglaise, de l'instrumental basic aux arrangements les plus complexes. Le message est pourtant un seul : le dialogue. Entre civilisations, entre peuples. Le groupe lui-même en est une illustration. Si Bachir est marocain, Tantra Tribe compte également un américain, des italiens et une chanteuse d'origine indienne. Tantra Tribe invite également, et régulièrement d'autres artistes, de plusieurs autres pays, à participer dans leurs créations. C'est ainsi que Charaf a été invité à accompagner de sa voix une de leurs chansons. «On m'a convié sur scène. J'ai chanté comme j'avais l'habitude de le faire. Et on ne m'a plus laissé partir», dit-il. Avec Tantra Tribe, Charaf dispose à son actif de trois albums et plusieurs succès. Un de leur tubes, « Out of my self », leur a valu le prix du Réseau Wave Festival, organisé chaque année à Rome et où participent plusieurs centaines de groupes. L'album de la chanson fait un tabac à la radio et consacre le groupe comme l'un des plus grands espoirs de la scène italienne. Quelques mois après, en mai 2003, Tantra Tribe de produits devant plusieurs milliers de spectateurs dans un spectacle retransmis intégralement par la RAI. « C'était l'un des grands moments de ma vie. Voir à quel point on était populaire, alors que ne se considère comme un groupe underground a été une grande surprise pour moi ». L'histoire du groupe ne fait que commencer, mais elle promet d'être intéressante. Celle de Charaf aussi, qui ambitionne de pouvoir se produire devant un public marocain, à Essaouira plus précisément.