Leila Chahid dégage une sérénité que lui confère sa foi en la justesse de la cause qu'elle défend depuis plus de trente ans. L'ambassadrice de Palestine à Paris a longuement évoqué, avec «Aujourd'hui Le Maroc», l'évolution du conflit israélo-palestinien. Leila Chahid nous reçoit très simplement, lundi matin, alors qu'elle est en train de prendre son petit-déjeuner dans un hôtel casablancais. On commence par des généralités avant d'entrer tout de go dans le vif du sujet. Depuis seize mois, dit-elle, que ce soit au niveau des assassinats, des bombardements, du bouclage ou des arrestations, on a le sentiment que ces mesures n'ont comme logique que des réactions à des actes de résistance. Mais, en réalité, ajoute-t-elle, il est très important d'essayer de comprendre quelle est la stratégie du gouvernement d'Ariel Sharon, arrivé au pouvoir en février dernier. Et de comprendre qu'il y a derrière le choix des cibles, que ce gouvernement appelle des « mesures de représailles », une logique très cohérente. La première, c'est une de déstructuration totale de l'Autorité palestinienne comme étant, dans les cinquante-trois années de lutte du peuple palestinien, l'acquis principal de la lutte de ce peuple. Leila Chahid ajoute qu'à l'origine, le projet n'a jamais été celui d'occuper uniquement des territoires, « mais réellement de faire disparaître la nation palestinienne en tant que telle ». En tuant le plus grand nombre, en faisant partir les autres. Donc le premier « nettoyage ethnique », a eu lieu en 1948, longtemps avant celui des Balkans, pour faire des réfugiés palestiniens des citoyens du monde arabe. Si, dit-elle, on fait le bilan de cinquante-trois années, le fait qu'aujourd'hui l'Autorité palestinienne représentant le peuple palestinien et l'OLP, soit retournée en Palestine et a commencé à structurer, même sur 10 ou 20 % des territoires, le noyau d'un Etat palestinien représentant la nation palestinienne est un acquis très important, vu le déséquilibre des forces qui, depuis toujours, joue en faveur d'Israël. L'objectif prioritaire d'Israël est donc la destruction de ce noyau d'Etat qui est représenté par l'Autorité par ses ministères, son administration, ses structures de sécurité, ses relations internationales et diplomatiques. Par l'existence même d'un passeport palestinien reconnu internationalement et permettant à tout citoyen de circuler dans le monde. Ces choses-là représentent pour Sharon l'ennemi à abattre. Leila Chahid continue sa démonstration et souligne qu'en éliminant ce noyau d'entité, qui souvent est critiqué par les Palestiniens eux-mêmes comme n'étant pas assez bon et qu'il faudra améliorer. Mais même ce petit noyau, non souverain sur les 100 % des territoires, parce qu'il ne l'est que sur 20 %, est déjà un fait que Sharon ne peut pas admettre et donc il essaye de l'écraser. Et de détruire tous les acquis d'Oslo et toutes les relations internationales qu'Oslo a permis a permis à Yasser Arafat d'établir avec les nations du monde. Sur le plan de la résistance et du moral de la population, il s'agit d'écraser l'Intifada. Car ce mouvement ne consiste pas seulement à jeter des pierres, ni à tirer sur les colons armés et les soldats de l'armée d'occupation. Ce sont toutes les formes de résistance, depuis la résistance contre les symboles de l'occupation, à faire de l'information en faisant une télévision palestinienne, une radio. D'où leur destruction. Jusqu'à continuer à fonctionner sur le plan culturel à publier de la poésie, des romans, à organiser des soirées culturelles. Jusqu'à continuer à aller au travail et à fonctionner comme une société. Ce sont les objectifs réels d'une stratégie qui est malheureusement toujours présentée dans les médias comme étant uniquement une réponse à une réalité. Sharon a essayé d'utiliser la guerre « anti-terroriste » de George Bush, après les événements du 11 septembre, comme couverture pour légitimer ce qu'il appelle sa propre guerre anti-terroriste. Il a systématiquement saboté tous les cessez-le-feu que Yasser Arafat a essayé de mettre en place. Parce que le cessez-le-feu a été une demande unanime de tous les participants du sommet de Sham El Sheikh, lequel a donné naissance à la Commission Mitchell. Cette dernière a affirmé que l'Intifada, qui a suivi la visite d'Ariel Sharon sur l'Esplanade des Mosquées le 28 septembre 2000, était la manifestation d'une frustration des attentes d'un processus de paix qui n'a pas tenu un dixième de ses promesses. Cette manifestation de violence, qui a été réprimée avec férocité par l'armée israélienne, a besoin non seulement d'une réponse sécuritaire, mais également d'une réponse politique. Depuis la publication du Rapport Mitchell, en mai 2001, Sharon était obligé de reconnaître la nécessité d'un cessez-le-feu, immédiatement des mesures politiques de la part des israéliens. Car sans mesures politiques, on ne saurait mettre fin à la violence. Soulignant qu'à présent que la guerre contre les Taliban est achevée, les Américains ne traitent pas les Européens mieux que les Arabes, Leila Chahid conclut sur un tout autre chapitre en disant malicieusement que Oussama Ben Laden, qui avait pris comme prétexte la défense de la cause palestinienne, a au moins réussi à inscrire le conflit ismaïlien-palestinien dans un contexte international.