Michel de Guillenchmidt, juriste international, conseiller d'Etat honoraire et ancien doyen et professeur à la Faculté de droit de l'Université Paris Descartes, souligne que l'initiative pour la négociation d'un statut d'autonomie de la région du Sahara relève effectivement d'une approche réaliste. En tant que juriste international, vous avez qualifié l'initiative marocaine d'accorder une large autonomie aux provinces sahariennes de «réaliste» et de «moderne». Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette initiative est moderne et réaliste ? Michel de Guillenchmidt : La présentation, le 11 avril 2007, au secrétaire général des Nations Unies, au nom de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, de «l'initiative pour la négociation d'un statut d'autonomie de la région du Sahara» relève effectivement, à mes yeux, d'une approche réaliste. Elle ne met pas en cause la souveraineté du Maroc sur la région concernée. Mais elle propose une avancée importante qui est l'autonomie. Elle représente donc une offre sérieuse de négociation. Au Polisario d'ouvrir les yeux et de cesser de camper sur une position archaïque. Comme a fini par l'admettre, avec lucidité, en avril 2008, l'un des envoyés personnels successifs du secrétaire général de l'ONU, Peter van Walsum pour qui l'indépendance n'est pas une option réaliste. Il y a davantage, aussi, dans la proposition marocaine : elle est «moderne». Elle va dans le sens de l'Histoire. Dans plusieurs régions du monde, on assiste aujourd'hui à une évolution en faveur de la décentralisation politique. Voyez au Royaume-Uni avec la réapparition des Parlements écossais, gallois, irlandais. Voyez en France. Voyez encore l'Espagne. Et il y a bien d'autres exemples. Bref, ce mouvement de décentralisation, même s'il engendre parfois des crises, se répand. L'initiative marocaine procède de cette approche moderne. Cette proposition d'autonomie ne représente-t-elle pas la solution consensuelle et politique pour sortir de l'impasse ? Elle est indiscutablement politique, derrière sa présentation très détaillée techniquement. Ce conflit interminable – et absurde – ne se résoudra que par une solution politique, par un accord de bonne foi entre l'Algérie et le Maroc. Il faudrait bien que le Polisario fasse un effort de lucidité sur ce dossier… et sur lui-même. La persistance du conflit n'est-elle pas une menace pour la stabilité de la région ? Il existe des périls nouveaux, au sud de la zone en particulier et le danger d'un banditisme se référant parfois, sans doute par commodité, à des interprétations religieuses fondamentalistes extrémistes est bien réel. Quant aux camps de Tindouf, hélas, ils demeurent, notamment, avec leurs cortèges de désespoir et de propagande. L'action humanitaire sur place des Nations Unies ne résout rien. La proposition de l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU pour le Sahara, Christopher Ross, d'organiser des réunions informelles entre les parties prenantes pourra-t-elle contribuer à faire avancer la recherche d'une solution sur la base de la dynamique créée par l'initiative marocaine ? Parler est toujours positif. Il y a une proposition concrète du Maroc. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a aussitôt salué cette initiative. Des représentants du Polisario ont sans doute conscience que s'ils quittaient la table et cessaient de participer aux «rounds» de Manhasset, ils se trouveraient encore plus isolés au plan international. La toute récente résolution du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité, avec le soutien de la France, le montre : cette instance demande que les négociations se poursuivent activement. Les réunions entre les parties constituent pour cela un cadre approprié. Des enfants ont été déportés à Cuba et des milliers de familles empêchées de quitter les camps de Tindouf. N'est-il pas temps aussi de mettre fin à ce drame humanitaire abject ? Ces enfants, idéologiquement pris en mains ailleurs –notamment à Cuba, ne sont hélas que des instruments de ce malheur. Ils sont les instruments d'une politique de puissance qui pensait trouver une grande partie de son fondement dans la Guerre froide. Or celle-ci a pris fin. D'autres grands dangers menacent le monde. Le risque actuel est que, si les négociations menées sous l'égide des Nations Unies s'enlisent à nouveau, l'on assiste à un gel de la situation qui ferait penser au «Désert des Tartares» de Buzzati : on regarde sans fin l'horizon où rien ne se passe plus. L'offre marocaine donne la possibilité d'écarter ce danger de léthargie. Un contact direct, au-delà des discussions de Manhasset, entre le Maroc et l'Algérie serait pour cette raison hautement souhaitable… et urgent. Le peuple algérien se trouve otage d'un conflit qui n'est pas le sien. Pourquoi Alger bloque-t-elle toute solution à ce conflit, ainsi que toute coopération constructive entre les peuples du Maghreb? Il faut le demander aux dirigeants algériens. Il est souvent difficile d'admettre un changement de circonstances. Spécialement lorsque des positions dures ont été prises pendant des décennies … Il est clair que l'Algérie n'a pas besoin aujourd'hui de cela. Quant à la coopération interrégionale, elle est assurément un sujet considérable. Elle peut ouvrir de nouvelles perspectives et représenter l'occasion à saisir, dans l'intérêt des peuples du Maghreb. Ce serait une orientation « moderne » également, pour l'Algérie comme pour le Maroc. Mais compte tenu de cet inutile conflit, complètement enlisé jusqu'à l'initiative marocaine, la coopération inter-régionale dans cette région du monde représente un rêve. Quel dommage que ce rêve ne puisse devenir rapidement réalité !n Propos recueillis par Hasna Daoudi