Harlem Désir donne l'impression de mener une campagne individuelle, sans rapports étroits avec le Parti socialiste. Son plan média est si maigre que l'homme est parfois contraint de faire campagne par voie de communiqués. Ironie de la petite histoire. Si Rachida Dati, aux origines maghrébines assumées, a pu accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat comme ministre de la Justice et occupe aujourd'hui la place numéro deux dans la liste Ile-de-France de l'UMP pour les élections européennes, elle la doit, d'une manière ou d'une autre, au long combat qu'avait mené depuis les années quatre-vingt son concurrent tête de liste du PS, Harlem Désir. L'homme, âgé aujourd'hui d'une cinquantaine d'années, d'origine martiniquaise, a longtemps été le symbole mitterrandien de l'anti-racisme et de l'anti-discrimination. L'association SOS racisme porte sa marque indélébile. Il est député européen sortant et a été choisi par son parti, le PS, de mener campagne pour reconquérir son siège en Ile-de-France. Quand l'UMP du président Nicolas Sarkozy avait désigné Michel Barnier, ministre de l'Agriculture comme tête de liste et Rachida Dati, ministre de la Justice comme numéro deux, la mission de Harlem Désir ressemblait davantage à une promenade de santé. La décision présidentielle était plus motivée par une volonté de trouver une voie de garage à des indésirables au sein du gouvernement que de conquérir Bruxelles. «Le charisme d'une huître», de Michel Barnier, la nonchalance boudeuse et involontairement gaffeuse de Rachida Dati devaient , en principe, ouvrir un boulevard devant la liste PS menée par Harlem Désir. En principe seulement. Car la situation n'est pas aussi aisée. Un sondage TNS Sofres Logica réalisé pour la radio Europe 1 fait apparaître que la liste de Michel Barnier distance celle de Harlem Désir de 11,5 points. Un désastre. Une hécatombe. Harlem Désir avait pris la mesure de ces résultats avec cet appel : «il y a une alerte, je lance un appel aux citoyens pour qu'ils se saisissent de cette élection, qu'ils votent, et je lance un appel au peuple de gauche pour qu'il n'y ait pas de dispersion ni abstention, si nous voulons peser sur l'avenir de l'Europe». La situation difficile de Harlem Désir n'est pas que le fruit de sa propre personne qui fait vieux jeune sur le retour. Elle est issue d'une équation encore plus complexe, celle du Parti socialiste qui n'a pas encore su unifier sa direction, ni harmoniser sa stratégie. Proche de Bertrand Delanoë, maire de Paris qui avait perdu le contrôle du PS lors du dernier Congrès de Reims, Harlem Désir a été propulsé à la tête de la liste PS de l'Ile-de-France après une intense négociation d'appareils qui ne lui garantit ni mobilisation ni adhésion. Harlem Désir donne l'impression de mener une campagne individuelle, sans rapports étroits avec le parti. Son plan média est si maigre que l'homme est parfois contraint, comble de la solitude, de faire campagne par voie de communiqués. Le débat socialiste est monopolisé par la guerre de chefs, le choc des ego et la confrontation des ambitions. Harlem Désir s'est déjà essayé à capter l'attention des médias en tapant fort sur l'UMP : «leur bilan est tellement déplorable, leur programme tellement dangereux, leurs listes tellement peu convaincantes que même Bernard Kouchner vote à reculons» ou en se payant la tête de François Bayrou, l'homme qui menace de déstabiliser le PS : «il ne s'intéresse même plus à l'Europe, ni à la France. Il n'a plus le temps. Il ne s'intéresse qu'à lui-même, qu'à son destin personnel». Mais sa parole est écrasée par le grand brouhaha socialiste qui fait du combat entre Martine Aubry et Ségolène Royal, la seule attraction du PS. Pour Harlem Désir comme pour de nombreux socialistes, perdre en face d'un couple aussi dépareillé, aussi peu crédible que Barnier-Dati est le comble du naufrage et de l'humiliation. L'unique espoir pour redresser la tendance réside dans la mobilisation des abstentionnistes dont le chiffre est annoncé par tous les instituts de sondage comme battant tous les records. Sur ce sujet, Harlem Désir joue une partition dramatisante : «si ça devait se terminer par un taux de participation de l'ordre de 40%, ce serait un très grave échec démocratique».