Quand on est un ami et un allié fidèle des Etats Unis, on peut se permettre le luxe d'émettre des constats lucides voire des critiques sans que cela dégénère en une attitude hostile. S'il y a une seule leçon à retenir de la tournée dans le Golfe du président Nicolas Sarkozy brusquement pimentée par une visite surprise en Irak, la première d'un président français dans ce pays, c'est bien le langage teinté de défiance lancé aux Etats-Unis et leur domination politique et économique dans cette région. A plusieurs reprises, la diplomatie française a décrit avec un luxe inédit l'indispensable urgence pour Paris de partir à la conquête de ces territoires traditionnellement sous influence anglo-saxonne. Il fut une époque, somme toute récente, où ce genre de mouvement de menton était exprimé dans une discrétion opaque et avec un art consommé de l'allusion. Aujourd'hui, avec Nicolas Sarkozy, la critique de cette domination est presque ouvertement acerbe et la parole française semble se libérer à vue d'œil. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce tournant. La première est officiellement exprimée par Nicolas Sarkozy. A plusieurs reprises, il a l'occasion de le dire de cette manière : Quand on est un ami et un allié aussi fidèle des Etats Unis, on peut se permettre le luxe d'émettre des constats lucides voire des critiques sans que cela dégénère en une attitude hostile. L'argumentaire de Nicolas Sarkozy est sur le thème : il n'y a pas de solidarité efficace pour bâtir ensemble l'avenir sans la liberté de remettre en cause certains acquis du passé. La seconde raison a trait sans aucun doute à l'atmosphère politique installée par l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche. Tandis que sous l'ère de George W. Bush, les esprits maléfiques des néo-conservateurs ont divisé le monde en amis serviles et en ennemis combattants des Etats-Unis, la marge de manœuvre de tous ceux qui veulent incarner une sorte d'indépendance face à ce schéma réducteur s'est fortement réduite. La prudence silencieuse était d'or et la parole critique valait rupture. Tandis qu'avec Barack Obama, l'intention manifestée jusqu'à présent est que le nouveau président américain veut mouler son action diplomatique dans un multilatéral qui, non seulement tolère, mais encourage les critiques maîtrisées et les défiances contrôlées. La troisième raison de cette parole française brusquement libérée contre la domination américaine de la région du Golfe est à trouver sans doute dans une stratégie de préparation des esprits à cette décision majeure que s'apprête à prendre Nicolas Sarkozy, à savoir le retour de la France dans le commandement militaire de l'Otan. L'opposition socialiste en la personne de Jean-Marc Ayrault, patron du groupe PS à l'Assemblée, de retour d'un voyage en Israël et à Gaza, a même trouvé un lien entre la visite surprise de Nicolas Sarkozy en Irak et l'Otan : «La visite du président de la République à Bagdad en a étonné plus d'un. C'est un signe donné aux Américains pour préparer le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN». Et si ce discours relativement nouveau de la bouche de Nicolas Sarkozy sur la domination américaine de cette région du golfe et l'urgence pour la France d'opérer une percée diplomatique et économique dans ces marchés où sa présence est squelettique, n'était en réalité que le fruit des grandes pressions que fait peser la crise économique mondiale sur de larges secteurs de l'industrie française et que pour survivre, il est indispensable de partir à la conquête d'autres marchés, même ceux qui apparaissent les plus hermétiquement fermés. Sur fond de cette nouvelle compétition franco-américaine et s'il y a un sujet de crise majeure sur lequel on assiste à un vrai «Switch» dans la position des deux pays, c'est bien l'Iran. Face aux intentions d'ouverture du président Obama à l'égard de ce pays en rupture avec la posture belliqueuse de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy oppose une modération et un frein, quitte à passer pour un faucon : «Il va y avoir des élections en Iran au mois de juin…Je crois qu'il est sage d'attendre que ces élections se déroulent pour que les discussions (avec l'Iran) entrent dans une nouvelle phase (…) Et je souhaite vivement que le nouveau président américain, M. Barack Obama, engage ces discussions avec un esprit de dialogue, bien sûr, et avec une certaine fermeté».