J'ai vu CasaNegra. Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un film détonnant. Plus qu'il n'est marocain, c'est un film casaoui. Purement casaoui. Le casaoui de la tchatche, de la joute verbale et du mot véloce qui fait mouche quand il ne tue pas. Ceux qui veulent le langage châtié, le verbe propret et la phrase lisse devraient aller voir ailleurs. Et le public ne veut pas aller ailleurs. Il plébiscite le film. Porté par deux jeunes talentueux et surtout par un vieux briscard de la scène marocaine, un excellentissime Ben Brahim. Oui, Monsieur Ben Brahim. D'habitude, enfermé dans le registre du blédard niais et éculé, on le découvre, sous la férule de khammari, dans «Le rôle» sublimissime dont, semble-t-il, rêve secrètement chaque acteur. CasaNegra, c'est un concentré vertigineux de grossièreté. Mais il y a quelque chose de rare, tant c'est complexe à opérer, que réussit le réalisateur. L'enchaînement des mots crus et de la darija outrancière ne desservent pas son film. Il le magnifie. La grossièreté excessive devient son atout. Son label. Et la somme colossale des grossièretés n'aboutit pas nécessairement à un résultat vulgaire. Dès le générique, on ressent que Casablanca constituera un fond de décor magnifié parce que servie par une maestria photographique. On ressent aussi le clin d'œil à David Fincher qui précédera ceux envoyés à Kustusrica, Cronenberg ou Tarrantino. Le film pèche par un peu de longueur, mais qu'on se lasse difficilement de l'exaltation de la ville blanche. Il y a enfin l'audace. Je ne parle de ces petites scénettes (masturbation, baiser) qui font courir les voyeurs de tout acabit. Je parle de l'attaque frontale qui est faite à certains maux de la société: ce fiévreux désir de fuir plus que d'émigrer, le chômage déguisé, la démerde, la mendicité trompeuse, l'intégrisme, la violence faite aux femmes…Ce courage là, cette audace ont rencontré les applaudissements d'un public qui approuve. Enfin, j'ai vu la Negra au Mégarama de Casa. Le public, tard le soir, faisait foule. Le ticket d'entrée est de cinquante dirhams. Et le temps d'attente devant les guichets était long puisque la file était interminable. Dans un pays où on peut acheter le dernier Ridley Scott pour dix dirhams à Derb Ghallef, ce n'est le dernier des exploits de ce film que d'attirer du public. Ceci donne raison à Noureddine Saïl qui plaide pour la construction des complexes cinématographiques tout en dénonçant non pas les exploitants mais les exploiteurs des salles. Si le CME qu'il préside a pour mission d'aider le cinéma et le film marocain. Ce sont de bonnes salles de qualité qui peuvent aider à sauver le spectateur marocain.