La course à la présidence de la Chambre des conseillers, tranchée en faveur du RNI, remet sur le tapis la vieille nouvelle polémique sur l'enjeu réel de cette Chambre. Pourquoi autant d'agitation autour de cette institution que l'on veut supprimer ? A quoi sert-elle finalement ? Enquête. Rarement polémique aura secoué aussi violemment le Parlement. Le différend a été tel qu'il a failli ouvrir des brèches au sein même de la majorité gouvernementale. Le RNI a mis un point d'honneur à reprendre les rênes de la Chambre des conseillers. Le parti de l'Istiqlal, qui conduit l'actuelle majorité, a pris tout le monde à revers en décidant, à la dernière minute, de présenter sa candidature. L'USFP, sortie fort de son huitième congrès, n'a pas lésiné sur les symboles (candidature féminine) dans la tentative de remporter la présidence. Des partis de l'opposition, Mouvement populaire (MP) et Union constitutionnelle (UC), sont montés sur leurs grands chevaux pour conquérir cette présidence. La majorité, ou plus encore l'opposition, qui avaient promis de présenter chacun un candidat commun, ont fini par faire cavalier seul, aux dépens des strictes règles de bienséance. Pourquoi a-t-on mis un tel prix et attaché un tel intérêt à la présidence de cette Chambre, celle-là même que l'on revendiquait de supprimer ? Cette Chambre est-elle devenue si rapidement intéressante ? Où sont passées alors les voix qui réclamaient, il n'y a pas longtemps, la suppression de cette Chambre ? «On s'attendait à ce que les candidats présentent des programmes d'idées, on a eu droit à des têtes», ironise un observateur des affaires parlementaires. Mais là est une autre question. La bataille rangée qui a éclaté sur fond de présidence de la Chambre des conseillers a le mérite, du moins, de remettre sur le devant de la scène la question de son utilité. Voire. Sa raison d'être. Faut-il supprimer cette Chambre ? Driss Lechgar, membre du bureau politique de l'USFP, affirme (voir page 5) que «le problème de l'utilité de la Chambre des conseillers est réel». «La Constitution de 1996 nous a mis devant deux Parlements et non pas deux Chambres. Deux Parlements parce que la Chambre des conseillers a les mêmes compétences que la Chambre des représentants», a-t-il argué. Mais un autre son de cloche est relevé au sein du même parti. Zoubida Bouayad, qui a disputé au nom de l'USFP la course à la présidence de la deuxième Chambre, croit dur comme fer à l'utilité de cette institution. «Il est utile de garder le système bi-caméral dans notre pays», estime-t-elle. Mohamed Aujjar partage cette tonalité. «Le bicaméralisme a fait ses preuves à travers le monde. La plupart des pays ont deux Chambres et cela ne gêne ni les politiques ni les constitutionnalistes », explique l'ancien ministre RNI des droits de l'Homme. On retrouve le même avis chez le secrétaire général de l'Union marocaine des travailleurs, Miloudi Moukharik. «La Chambre des conseillers est une institution de grande valeur pour le Maroc», fait valoir M. Moukharik, ajoutant que cette institution consacre «la politique de proximité» prônée par le Maroc. «Elus locaux, représentants des salariés et représentants du patronat forment un ensemble qui garantit une politique de proximité», met-il en relief. En théorie, l'utilité de la deuxième Chambre se défend. Rien à dire. A part, peut-être, que le rendement de cette Chambre n'est pas souvent à la hauteur des attentes. «Je me demande quel a été l'apport et la plus-value de la Chambre des conseillers dans le domaine de la législation et la consolidation de la démocratie et l'Etat de droit au Maroc», martèle la présidente de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme, Amina Bouayach. De la majorité des avis exprimés, il ressort que ce qui est en question est moins l'existence que le rôle que la deuxième Chambre ne remplit pas souvent. «Il faut que l'on ait de vrais représentants », soutient Zoubida Bouayad, déplorant que l'usage de l'argent préside souvent à l'élection des représentants des syndicats, des collectivités locales et autres corps professionnels. M. Aujjar, quant à lui, appelle à «une redéfinition des rôles, fonctions et compétences de la Chambre des conseillers». «La deuxième Chambre devrait laisser la chose politique pour la première Chambre et se consacrer à la représentation territoriale surtout dans la perspective du renforcement des attributions des régions dans le cadre du statut de la région avancée annoncé par SM le Roi». Le chercheur Mohamed Darif relève pour sa part une «anomalie» en évoquant une interférence dans les rôles des deux Chambres. Résultat ? «Au lieu d'avoir un Parlement avec deux Chambres complémentaires, on a deux Parlements, c'est-à-dire deux Chambres qui rivalisent entre elles», fait-il remarquer. Maintenant, que faut-il faire pour surmonter cet handicap ? Faut-il faire appel à une réforme constitutionnelle ? Zoubida Bouayad annonce que son parti, l'USFP, a déjà préparé un projet de loi qui devrait «amener à une réforme de la Constitution». Elle ajoute qu'il faut également une loi sur les syndicats, à l'instar de la loi sur les partis. «Nous voulons avoir des syndicats bien structurés, de vrais défenseurs des droits des ouvriers», dit-elle, insistant sur l'adoption d'un «Code de conduite ferme». Elle affirme qu'«il y va de l'image de la deuxième Chambre des conseillers». Une image terne qu'il convient, aujourd'hui plus que tout autre temps, de soigner. La crédibilité de cette Chambre passe nécessairement par là.