Le président du groupe parlementaire de l'Istiqlal et ancien ministre de la Prévision économique et du Plan, Abdelhamid Aouad, estime que l'Etat doit instaurer des critères objectifs pour le recrutement des fonctionnaires, leur avancement et la gestion de leur carrière. ALM : Le ministre Fathallah Oualalou devait rencontrer, jeudi soir, les membres de la commission des Finances de la Chambre des représentants pour discuter des hauts salaires dans la fonction publique. Qu'en est-il exactement? Abdelhamid Aouad: A l'occasion de la discussion de la loi de Finances, certains parlementaires ont soulevé la question des hauts salaires et de l'équilibre des rémunérations des fonctionnaires de l'Etat. Par la suite, il s'est avéré que ce sujet doit nécessairement être abordé au sein du Parlement avec les autorités compétentes, en l'occurrence le ministre des Finances. Et pour cause, force est de constater l'existence de plusieurs grands déséquilibres dans les rémunérations. Entre les fonctionnaires de l'Etat et les salariés du secteur privé, d'une part, mais également entre un ministère et un autre. Et même dans une même administration, entre les différentes catégories de fonctionnaires. Quel est l'Etat des lieux, d'un point de vue macro-économique? Sachez, tout d'abord, que la masse salariale dans le budget de l'Etat atteint les 12,5% du PIB. Ce taux est énorme comparé aux pays comme le nôtre. C'est le cas de l'Egypte où ce taux ne dépasse guère les 9% du PIB. C'est ainsi que le Maroc doit tout faire pour que ces 12,5% ne soient pas dépassés, ou même mieux, que ce taux soit carrément diminué. Je tiens à rappeler que la note d'orientation de la loi de Finances avait effectivement fixé ce taux à 9%, chose qui n'a pas été réalisée. Par ailleurs, le budget 2003 a prévu une enveloppe de 4,2 milliards de DH pour l'augmentation des salaires, notamment à la suite des accords du dialogue social et des engagements des gouvernements précédents. En 2004, le déficit courant du budget se chiffrait à 8,2 milliards de DH, ce qui dénote d'une désépargne de l'administration publique. En somme, l'augmentation des salaires des fonctionnaires conduira inéluctablement à une baisse des investissements de l'Etat... Non, ce n'est pas tout à fait vrai. Certes, la hausse des dépenses ordinaires se fait au détriment de la capacité d'épargner et d'investir. Mais la révision de la politique salariale peut être réalisée sans aucune incidence négative sur le budget d'investissement. Au contraire, c'est un préalable, une sorte de condition pour que le Maroc puisse renouer avec la croissance économique. En outre, si le Maroc est en train de réserver des sommes astronomiques pour l'augmentation des salaires c'est qu'il a tardé à le faire. Il aurait été plus judicieux de réviser de manière régulière les salaires, c'est-à-dire en fonction de l'augmentation du coût de la vie. C'est ce gel des salaires qui est en partie responsable de la prolifération de la corruption et du laisser-allé qui caractérise bon nombre de nos administrations publiques. En somme, il devient urgent de penser et d'exécuter une nouvelle politique salariale. En quoi consistera cette nouvelle politique salariale de l'Administration marocaine? Nous pouvons la résumer en deux points principaux. D'une part, tendre vers une meilleure rationalisation des dépenses de l'Etat et d'autre part instituer plus de justice salariale en apportant des solutions aux déséquilibres existants. Pour ce qui est du premier point, il s'agira d'instaurer des critères objectifs pour le recrutement des fonctionnaires, leur avancement et la gestion de leur carrière. L'Etat doit mettre en place un cahier des charges qui fixera clairement les tâches des fonctionnaires, avec des objectifs chiffrés et limités dans le temps. En contrepartie, le fonctionnaire recevra un salaire qui n'a rien à envier aux salariés du privé. Le but est d'instaurer une culture administrative selon laquelle les dépenses de l'Etat doivent être rentables. Pour ce qui est du deuxième point, il s'agira de mettre fin aux disparités entre les fonctionnaires de l'Etat. Pour une même tâche, il faut être rémunéré de la même manière. Je ne dis pas qu'il faille baisser les salaires des uns et augmenter ceux des autres. En fait, c'est la multiplicité des statuts des fonctionnaires qui est à l'origine de ce déséquilibre. Il faudra également intégrer les indemnités dans les salaires de base. Que faut-il exactement pour appliquer cette politique? Cette politique est facilement applicable, encore faut-il en avoir la volonté politique. Je sais que le ministère concerné a réalisé des études dans ce sens et qu'un projet de loi sera incessamment préparé. En attendant, certains fonctionnaires continuent à toucher des sommes comme 200.000 DH, uniquement en primes. C'est inadmissible quand plus 55.000 fonctionnaires touchent moins du Smig. En tout cas, je tiens à préciser que si la réforme est correctement réalisée, il n'y aura aucune incidence sur le déficit budgétaire, car cette réforme impliquera l'introduction de nouveaux critères de recrutement et de gestion des carrières des fonctionnaires.