le passage coranique concerné ne met pas en avant le sacrifice d'Ibrahim, mais plutôt la vision du père – qui se voit en train d'immoler son fils - et la réponse de ce dernier : le fils «endurant» interprète la vision et autorise le sacrifice. Ils sont trois ou quatre millions de pèlerins réunis à La Mecque pour l'occasion. En communion avec eux, partout ailleurs dans le monde, les fidèles musulmans célèbrent ces jours-ci l'«Aïd Al Adha». Cette fête consiste, selon la tradition, à commémorer le sacrifice demandé par Dieu à Ibrahim dans la sourate 37. Pourtant, l'Islam n'est pas une «religion sacrificielle», au sens où il n'y a pas, dans la doctrine musulmane, l'idée que des sacrifices, réels ou symboliques, doivent être offerts à Dieu pour obtenir de Lui des bienfaits. De plus, à bien y regarder, le passage coranique concerné ne met pas en avant le sacrifice d'Ibrahim, mais plutôt la vision du père – qui se voit en train d'immoler son fils - et la réponse de ce dernier : le fils «endurant» interprète la vision et autorise le sacrifice. Et c'est sur la base de ce récit fondateur que se structure, se transmet et perdure le sacrifice tel qu'on le connaît encore aujourd'hui. Mais dans le Coran, il n'y a rien qui permette de faire un lien entre le sacrifice demandé à Ibrahim et le pèlerinage à La Mecque. La question se pose donc : «comment en est-on donc arrivé à commémorer ce geste sur les Lieux Saints de l'islam ?» Selon les historiens, avant l'avènement de l'Islam, il y avait deux pèlerinages : d'une part celui des sédentaires de la Mecque, que l'on appelle aussi «Oumra» et qui se terminait par un sacrifice de dromadaires sur le rocher de Marwa, et d'autre part celui des bédouins, qui descendaient jusqu'à la vallée de Mina et sacrifiaient eux aussi des dromadaires pour clore leurs rituels. Ces pèlerinages, qui étaient saisonniers, avaient pour objectif, en offrant aux divinités du sang (symbole de la vie), d'avoir en échange de la pluie. C'est donc la rencontre du récit coranique et des pratiques anté-islamiques qui a donné naissance au rituel du sacrifice animalier qui se pratique encore aujourd'hui. Enfin, le fils d'Ibrahim a scellé ainsi l'obéissance de tous ses descendants ismaélites au Dieu unique (en ce sens Ibrahim est le «père» de tous les croyants) ; cette obéissance est renouvelée chaque année par le croyant au travers du geste du sacrifice. Et c'est sur la Kaâba même, fondée selon le Coran par Ibrahim et son fils, que s'accomplit pour les pèlerins ce geste qui est à la fois souvenir et nouvelle promesse. Il y a en Islam ce réalisme du sacrifice : sacrifice réel du mouton, retour à la pierre solide et réelle de la Kaâba. Le sacrifice n'est pas symbolique pour les musulmans. Mais… est-ce que nous ne sommes pas devenus trop réalistes ? On sacrifie et… terminé! Mais «avoir le sens du sacrifice», ce n'est pas cela. Ce n'est pas être simplement légataire d'un acte : c'est surtout se saisir du sens de cet acte pour en faire autre chose. Or, Ibrahim a pris un grand risque : il a risqué son propre fils, pour nouer un pacte avec Dieu. Et le fils promet d'être « endurant ». Peut-être que le défi d'aujourd'hui, intellectuel et spirituel, est de renouer avec le sens de ce pacte plus qu'avec ses pratiques réalistes. Il y a d'autres manières de commémorer le geste abrahamique dans ce qu'il a de fondateur. On peut même avoir plus de liberté dans l'interprétation et dans la pratique vécue de l'Islam et… rester un fils d'Islam plus «endurant» !