Le fret de marchandises vers le Maroc a franchi un nouveau palier la semaine dernière. La situation et ses conséquences relancent le débat sur la libéralisation. Le fret continue de flamber à l'import. Le tarif moyen Barcelone-Casablanca se négociait la semaine dernière à 600 dollars la tonne. La perte de vitesse du pavillon national, inexistant sur le vrac, et l'augmentation spectaculaire de la location des navires marchands, en sont pour beaucoup dans la situation. Entre novembre 2002 et juin 2003, l'affrètement est passé de 5000 à 7000 dollars sur des distances moyennes. Aujourd'hui, le cap des 10 000 dollars est franchi. Ce sont ces coûts supplémentaires qui expliquent la hausse du fret observée actuellement. Les armateurs mettent aussi en avant la conjoncture internationale. Cette situation exceptionnelle relance le débat sur la libéralisation. Pour le Directeur de la Marine marchande, M. Azzedine Diouri, celle-ci se pose en termes de dualité : « Dès que nous avons libéralisé le vrac, la flotte marocaine a disparu complètement sur ce créneau. Si on ouvre totalement le marché, le pavillon national sera encore affecté. Mais si nous fermons la porte à la libéralisation, les prix continueront à flamber ». La marge de manœuvre est donc assez réduite, puisqu'il faudra d'un côté protéger le pavillon national et de l'autre, assurer aux exportations un coût de transport compétitif. Aujourd'hui, le secteur de la marine marchande emploie de manière directe 4039 personnes, sans tenir compte des structures annexes. Le fondateur de l'IMTC, le commandant Mohamed Karia, pense que la libéralisation est inévitable. Mais, avertit-il, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. « 87% des échanges marocains sont entre les mains de compagnies étrangères. Nous sommes absents sur le vrac, les phosphates, le blé, le sucre, le charbon, le maïs. Cela représente pratiquement 50 millions de tonnes qui échappent aux compagnies marocaines et autant à notre balance commerciale » La régulation, préalable à tout processus de libéralisation, doit aussi s'accompagner d'une mise à niveau du cadre législatif et des outils adéquats. Le dahir de 1962 qui régit des aspects importants du secteur était établi au temps où les priorités étaient à la protection. Les navires marocains n'ont pas le droit dévolu à ceux des pays européens de se faire immatriculer dans les paradis fiscaux. Les Espagnols le font dans les Iles Canaries pour bénéficier à la clé d'une baisse de 70% des charges. De plus, il y a un certain vide à combler. Aujourd'hui, malgré la loi sur la concurrence, on ne sait pas à qui s'adresser en cas de dumping », s'étonne un armateur qui fait ouvertement allusion à des sociétés immatriculées dans des paradis fiscaux comme la Suisse et qui viennent concurrencer les compagnies marocaines sur les lignes régulières. Au Maroc, le Conseil de la Concurrence, bien qu'ayant un directeur déjà nommé n'est pas encore fonctionnel. Le hic c'est qu'à partir du mois de mai 2004, la commission de Bruxelles habilitée à statuer sur la surveillance du prix déléguera ce contrôle à chaque pays respectif. Les armateurs marocains ne sauront pas à qui s'adresser. S'ajoutent à ces considérations, d'autres paramètres tout aussi décisifs. En Europe, le cabotage est encore protégé. Un navire marocain ne peut pas exercer entre l'Espagne et l'Allemagne. Au Maroc, la libéralisation, à son niveau actuel, 90% du fret selon le directeur de la marine marchande, est presque totale. La flotte marocaine concentrée sur le régulier doit batailler dur pour s'y maintenir. Il s'agit d'autant de paramètres à prendre en considération selon les armateurs. «Nous n'avons pas le droit d'embarquer des étrangers. Un officier marocain a droit à quinze jours de congés par mois», s'écrie un armateur. Si on libéralise, on doit aussi le faire pour les assurances et toutes les charges. Sans cette régulation réclamée par les professionnels, la libéralisation risque de ruiner des années d'investissements. l'Etat a consacré 300 milliards de centimes pour soutenir la flotte dans le code des investissements entre 1973 et 1978. Quoi qu'il en soit, le secteur est soumis à un échéancier qui se rapproche. L'accord d'association Maroc-UE le stipule, à l'horizon 2012, le pavillon marocain sera entièrement libre après négociations. Ce sont tous les secteurs à l'export qui seront concernés, les agrumes en particulier. Il y a quelques années, le ministère de la Marine Marchande pouvait intervenir et demander par note ou circulaire aux armateurs de concéder une décote de 20% à ces produits pour maintenir leurs compétitivité. Après la libéralisation, les prix de transport gelés jusque-là risquent de repartir à la hausse.