L'Algérie et la France, le Maroc et l'Espagne forment des couples très particuliers, où les liens réels, les intérêts communs si évidents, laissent souvent place à des résurgences du passé. Le Moyen-Orient, ses convulsions, son conflit arabo-israélien douloureux, complexe et interminable, mettent souvent sous l'éteignoir, cette vaste région d'Afrique du Nord. Les stratèges européens savent pourtant l'importance de cette région pour la paix et la prospérité dans le monde et surtout en Europe. La proposition d'un espace unifié, celui de la Méditerranée, de Nicolas Sarkozy est une perspective intéressante pour les uns, une nécessité historique pour les plus lucides et une simple chimère pour les autres. C'est que la région est traversée par des courants bien contradictoires. D'un côté, nul ne peut nier l'existence d'un processus de modernisation, d'intégration des valeurs universelles, bien réel, mais il est en concurrence avec un réflexe de repli identitaire lui aussi complexe et tortueux. Ces sociétés développent des antagonismes multiples. D'abord, entre elles, les nationalismes et leur entrechoc, bien que déclinants ont laissé des traces, des atavismes, dont le plus symptomatique est le différend historique maroco-algérien. L'Algérie – et son protégé le Polisario –, depuis le début, veut étendre son influence en Atlantique et affaiblir ainsi son rival éternel du Maghreb, le Maroc. Ensuite, les liens avec l'Europe sont compliqués et souvent passionnels. L'Algérie et la France, le Maroc et l'Espagne forment des couples très particuliers, où les liens réels, les intérêts communs si évidents, laissent souvent place à des résurgences du passé, sous forme de crise passionnelle, latente ou déclarée. Les raisons historiques sont connues, la colonisation et la guerre de libération de l'Algérie, quatorze siècles d'histoire concernant le Maroc et l'Espagne. De l'Andalousie à Sebta et Mellilia, ces deux nations ont des destinées croisées, mêlées, pour le meilleur et pour le pire. Pourtant, des deux rives de la Méditerranée, on sait que l'avenir est à la coopération. L'Europe compte sur la rive sud et son nécessaire développement comme un approfondissement de son propre marché. Elle sait aussi que sa sécurité, face au terrorisme et aux trafics de tout genre dépend de ce qui se passe dans cette région. Les riverains du sud de la Méditerranée, en attendant une intégration régionale, et même à l'heure de la mondialisation, sont totalement dépendants de l'Europe pour leur développement. Cette réalité de l'interdépendance s'impose à tous et rend ridicules les fameuses crises d'urticaires. Mais au-delà, c'est au niveau des valeurs que l'on est en droit de faire preuve d'optimisme. Dans les pays du Sud, malgré les atavismes culturels, il est clair que les choix de démocratie, de tolérance et d'ouverture sont ceux de la frange la plus importante de la société. Les apparences sont trompeuses, l'intégrisme et son fils naturel le terrorisme, sont une réaction à la modernité pas à sa négation. Ce phénomène qui s'appuie sur des faits locaux et internationaux n'est qu'une convulsion au vu de l'histoire. Les sociétés sont réellement traversées par la volonté d'accès à la modernité. C'est par le développement, la démocratisation que cette région contribuera à la paix dans le monde, pas par l'exacerbation des nationalismes. Cela n'est pas un vœu, c'est une réalité historique. Sans la démocratie et sans le développement, ces sociétés continueront à secréter des terreaux pour le terrorisme Islamiste. Contrairement à une idée répandue, les forces démocratiques existent dans ces pays. Placées entre l'enclume et le marteau, elles ont fait en Tunisie, par exemple, le choix funeste de se placer derrière le régime face à la menace islamiste. Les inconséquences de l'Occident, allié naturel présupposé, peut renforcer cette tendance. En Algérie aussi, où le président Bouteflika s'apprête à changer la Constitution pour s'assurer un troisième mandat et où toutes les élections sont truquées par un pouvoir qui a imposé une amnistie des assassins sans pour autant éradiquer le terrorisme ? Au Maroc, le processus de démocratisation est le fruit d'un consensus, il en est forcément plus lent, et moins spectaculaire. Cela ne diminue en rien l'exemplarité d'une expérience affermie dans un contexte régional défavorable. Avant n'importe quel acte d'unification, la pression en faveur de la démocratie doit être plus conséquente. D'abord, par la dénonciation sans équivoque, y compris officielle de toute violation des droits de l'Homme. Ensuite, par l'établissement d'un lien entre celles-ci et toute aide économique. Enfin, par un soutien affiché aux forces démocratiques. Est-ce trop demander? • Ahmed Charai Membre du Conseil d'administration du Foreign Policy Research Institute à Washington et de l'ONG internationale «Search For Common Ground»