Loin de devoir réjouir, l'«absence» de conséquences d'une récession économique mondiale sur le plan national pose le problème de l'urgence de réformes de fond. ALM : Des observateurs mondiaux craignant un brusque ralentissement de la croissance mondiale dans le sillage des Etats-Unis. Quel sera donc l'impact de cette éventuelle récession économique sur le Maroc ? Tarik El Malki : S'agissant du Maroc, et contrairement à une idée reçue, les effets d'une récession mondiale, qui reste encore hypothétique malgré des annonces faites dans ce sens, ne seraient que marginaux. Et cela, pour la simple raison, au risque de choquer, que l'économie marocaine reste très peu intégrée, contrairement à certaines économies asiatiques ou sud-américaines, à l'économie mondiale. Plus précisément, au niveau de nos relations commerciales avec les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Grande-Bretagne), nos exportations vers cette zone sont relativement faibles comparativement à celles vers la «Vieille Europe» (France et Espagne essentiellement). Pour cela, il suffit de se référer à la balance commerciale du pays. Les risques d'onde de choc sont donc minimes. D'ailleurs, pour illustrer ceci, le taux de croissance prévisionnel du Maroc, selon le CMC, pour 2008 est de 5,4 %. Et celui-ci est davantage en fonction des conditions climatiques du pays, du prix de certaines matières premières, que des termes de l'échange Maroc-reste du monde. Paradoxalement, cette relative « absence » de conséquences au plan national, loin de devoir réjouir, pose le problème de l'urgence de réformes de fond afin de rendre l'économie nationale plus compétitive à l'échelle mondiale pour améliorer son intégration. Qu'en est-il de l'impact sur le plan financier ? Au plan financier, l'impact de la crise financière sera également très réduit sur la place casablancaise dans la mesure où son ancrage aux principales places financières internationales est insignifiant. Ce qui pourrait à la rigueur se produire est que certains investisseurs étrangers vendent quelques unes de leurs positions pour limiter leurs pertes en Europe. Cela est vraiment très marginal. On en veut d'ailleurs pour preuve que la Bourse casablancaise n'ait pas décroché, contrairement à toutes les places financières d'importance. À combien estimez-vous le risque de récession de l'économie mondiale ? Il semblerait, selon plusieurs sources concordantes, que la crise financière actuelle soit annonciatrice d'une forte récession économique aux Etats-Unis pour l'année 2008. Cette récession trouve son origine dans la crise immobilière que vivent les Etats-Unis d'Amérique depuis l'été 2007. Dans ce contexte, certains organismes internationaux revoient leurs prévisions à la baisse et prévoient que la croissance mondiale pour 2008 va ralentir à 3,3% et les prévisions sont de 1,9% pour les USA. Cette crise a atteint son paroxysme avec l'échec en décembre dernier du projet de «superfonds» de l'administration américaine qui était destiné à limiter justement la crise des crédits immobiliers. Puis, il y a eu l'annonce par le président Bush de son plan de relance de la consommation qui prévoyait d'injecter plus de 140 milliards de dollars. Ce plan a été globalement mal accueilli par les marchés financiers internationaux, spécifiquement les places asiatiques et sud-américaines qui ont clôturé avec des valeurs historiquement basses. Certains analystes mettent la crise boursière de la semaine dernière sur le compte de la réaction mitigée des places financières par rapport à ce plan, jugé trop tardif, imprécis et globalement faible. Mais en réalité, cette récession économique, dont la crise boursière n'est finalement qu'un aspect et une réaction différée dictée par une perte de confiance subite des marchés, est le prolongement naturel de la crise immobilière des sub-primes due elle-même à une gestion des liquidités par les banques américaines pour le moins hasardeuses pendant de trop longues années. La Réserve fédérale américaine (Fed) a bien diminué ses taux d'intérêt de 75 points de base, ce qui ramène le niveau des taux à 3.5% afin d'enrayer la crise généralisée sur les marchés. Mais, cela ne servira qu'à doper les marchés à court terme, masquant en réalité une crise de confiance majeure, qui mettra du temps à s'estomper. En tout état de cause, ce qui s'est récemment passé au niveau des principales places financières mondiales montre combien l'hypothèse d'une récession aux Etats-Unis se fait de plus en plus insistante. Les marchés semblent envisager de manière sérieuse la possibilité d'un ralentissement plus prononcé qu'attendu de la croissance aux USA. Quels sont les secteurs qui seront les plus touchés au Maroc par cette récession ? Comme je l'ai déjà mentionné, dans la mesure où l'impact d'une probable récession mondiale sur le Maroc serait relativement faible, on ne peut dons pas parler de secteurs qui seraient plus touchés que d'autres. D'autre part, un constat s'impose, à savoir que l'économie marocaine reste très peu diversifiée au plan de ses exportations. De plus, le degré de sophistication des exportations des produits marocains est faible en comparaison avec des pays de la région à niveau de vie équivalent. Cela est dû à un certain nombre de facteurs, à savoir de faibles performances au plan de la recherche et développement, certaines rigidités du marché du travail, le poids de la fiscalité sur les entreprises, ainsi que le régime de taux de change qui favorise la faiblesse de la croissance et le fort niveau de chômage. Tout cela pèse énormément et impacte négativement sur la compétitivité de l'économie nationale. Pour dépasser ces goulots d'étranglement et faire en sorte que le Maroc gagne la bataille de la compétitivité, il convient de poser les jalons d'une stratégie de croissance volontariste et ambitieuse qui proposerait des politiques à même de favoriser la diversification productive de l'offre marocaine. Que faut-il faire ? Les deux leviers sur lesquels il conviendrait de se focaliser sont d'une part la politique économique du pays, dans le sens où il faudra remédier aux défaillances les plus contraignantes, à savoir le régime du travail, le régime fiscal, le régime du taux de change, les biais anti-commerciaux de la politique commerciale. Et d'autre part, le marché lui-même où il conviendrait de corriger aussi certains dysfonctionnements qui perturbent le bon fonctionnement de l'économie. Quel sera l'incident sur la consommation au Maroc ? L'économie marocaine souffre d'un problème de taille sur lequel l'actuel gouvernement devra se pencher de manière sérieuse : c'est la question du pouvoir d'achat. En effet, le Maroc a de tout temps fait l'impasse sur une politique de relance par la demande dans la mesure où la consommation n'a jamais été considérée au Maroc comme un levier de croissance, à la différence de nombreuses économies développées et même d'économies en développement qui sont devenues, au fil du temps, des économies émergentes (Asie du Sud-Est notamment). La question du pouvoir d'achat est de toute actualité dans ce contexte de grande incertitude, voire de tensions sociales, où le moral des ménages n'est pas au beau fixe. En effet, les prévisions de dépenses de consommation des ménages pour l'exercice 2008 seraient en baisse en comparaison avec celles de l'exercice 2007. Dans ce contexte hautement sensible, le pays a grandement besoin d'une politique de revenus volontariste, et de solidarité active, à même d'atténuer les écarts et disparités de richesse qui risqueraient, à terme, de déboucher sur des conflits sociaux à l'issue hasardeuse et incertaine. Que proposez-vous donc pour donner un coup de fouet au pouvoir d'achat? Le modèle économique idéal pour le Maroc serait de combiner une politique de l'offre volontariste, déjà largement entamée depuis plusieurs années, marquée par la mise à niveau du système productif et du tissu industriel national, l'amélioration de l'environnement des affaires et du climat de l'investissement, la mise à niveau des infrastructures, etc; avec une politique de la demande qui fait encore largement défaut dans notre pays. Nous considérons, en effet, qu'il existe un déséquilibre important entre les mesures incitatives prises en faveur des entreprises dont la dernière en date est la baisse de l'IS à 30% et dont ne tireront sans doute bénéfice que les entreprises les plus puissantes financièrement ; et les mesures destinées à augmenter le pouvoir d'achat des ménages. Le raisonnement économique était basé sur le fait que l'ensemble des mesures prises en faveur des opérateurs allait améliorer le taux d'investissement de ces derniers et in fine la croissance économique du pays. La réalité du terrain a montré qu'il n'en a rien été. Il serait donc peut-être temps de s'intéresser à la demande, donc aux ménages dont l'augmentation de la consommation impacterait positivement sur la croissance du Maroc. Pour cela, une forte baisse de l'Impôt sur le revenu serait souhaitable. Dans le même ordre d'idées, il serait temps que pouvoirs publics et opérateurs privés se concertent sur cette question et dialoguent de manière franche et sans tabous pour définir ensemble quel type de modèle de croissance est valable pour notre pays. Et ce, en évitant de suivre coûte que coûte des modèles libéraux imposés de l'extérieur et qui, c'est le moins que l'on puisse dire, ont engendré plus d'inégalités et créé plus de problèmes qu'ils n'en ont réglés. Les consultations entre patronat, syndicat et gouvernement sur la question du pouvoir d'achat sont nombreuses, mais le fossé demeure important entre les discours et la réalité du quotidien. Il est temps d'inverser la tendance. Bio-express Tarik El Malki est titulaire d'une maîtrise en gestion (spécialité finance internationale) obtenue à l'Institut de management international de Paris (Groupe INSEEC) en septembre 2000 et d'un MBA – Profil Recherche obtenu à l'Université du Québec à Montréal (ESG-UQAM), obtenu en octobre 2005. Il poursuit actuellement un cycle doctoral en Economie à l'Université d'Aix-Marseille 2. Il a récemment publié un ouvrage intitulé «Risque pays et stratégies d'investissement : le cas du Maroc». L'auteur a participé à divers travaux sur le risque pays, notamment avec le Centre interuniversitaire de recherche sur le risque et les politiques économiques et de l'emploi de Montréal (CIRPEE). Il est actuellement directeur du Développement et de la Communication au Centre Marocain de Conjoncture (CMC) depuis avril 2006.