Condamné en 1985 à la peine capitale, commuée en 1994 en prison à perpétuité, Belkacem Hakimi fait partie des 33 personnes qui ont bénéficié de la Grâce Royale. Sa libération est, pour lui, la plus grande preuve que le Maroc est bien engagé dans la voie de la démocratisation. Entretien. Aujourd'hui Le Maroc : Comment avez-vous vécu votre libération ? Belkacem Hakimi : Cela fait près de 19 ans que j'attendais ce moment. Depuis mon incarcération, je n'ai vécu que pour ce jour-là. Cette Grâce Royale montre que le Maroc va dans le bon sens. C'est une preuve de plus que notre pays est plus que jamais sur la voie de la démocratisation. La décision de libérer plusieurs groupes de détenus politiques est doublement significative. Elle répond d'abord aux demandes de libération de plusieurs organisations non-gouvernementales et associations de défense des droits de l'Homme, marocaines et internationales. La décision royale révèle également d'une volonté inébranlable de tourner la page du passé et d'aller de l'avant. Vous attendiez-vous à cette libération ? Pour être très franc avec vous, oui. Je savais que mes jours en prison étaient comptés. Mes amis au sein du «Forum Justice et Vérité» m'avaient fait part d'une éventuelle libération. Ils ont même contacté ma famille, qui habite Oujda, et leur ont demandé de se déplacer à Casablanca. J'attendais son annonce pour le 11 janvier, anniversaire du manifeste de l'indépendance. Mais, à ma grande joie, elle est intervenue bien avant. Sa Majesté a décidé de nous libérer le jour de l'installation de la commission «Equité et Réconciliation». Ce n'était donc pas une surprise puisque j'étais préparé moralement à sortir de prison. La lettre royale qui vous a été adressée a-t-elle été à l'origine de cet espoir ? Il est clair que la lettre que SM le Roi m'avait adressée était un signe positif de ma libération. Mais cette dernière a été retardée pour des raisons sécuritaires. Il s'agit en l'occurrence des tragiques événements du 16 mai dernier. Une date où le pays a connu l'une des période les plus dramatiques de son histoire contemporaine. Le moment n'était apparemment pas propice à la libération de détenus politiques, mais plutôt à la solidarité nationale. Même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'approche trop sécuritaire prônée depuis ces attentats meurtriers, il n'en reste pas moins qu'il faut protéger le pays. Comment avez-vous vécu ces 19 années d'incarcération ? La prison est une machine infernale qui vient à bout de l'âme humaine. Il est très difficile de supporter l'humiliation, d'être entre quatre murs et d'avoir les mains liées. Cependant, au bout de plusieurs années d'incarcération, des liens fraternels se sont tissés entre les détenus. Nous avions la même cause à défendre et le même objectif à atteindre. Fidèles à notre âme de militants, nous menions plusieurs combats au sein même de la prison. Personnellement, et sans vouloir me vanter, j'étais derrière plusieurs grandes initiatives qui ont marqué le milieu carcéral marocain. A commencer par le débat soulevé après les incendies de Oukacha et l'affaire du viol d'un mineur au sein du même complexe. Mais les événements qui m'ont le plus bouleversé, et que j'ai vécus comme étant la plus grande crise de ces 19 ans de prison, sont les actes terroristes dont la ville de Casablanca a été victime le 16 mai dernier. A ce sujet, je voudrais dire à nos jeunes marocains qu'une bombe ne détruit pas uniquement sa cible. Elle laisse un grand trou derrière elle, et qu'il est très difficile de le recouvrir par la suite. Je voudrais leur dire que seule la foi en ce pays devrait compter. La réalité est bien sûr loin d'être facile, mais ce n'est rose nulle part. Comment trouvez-vous ce Maroc nouveau ? Est-il différent de celui où vous avez vécu avant votre emprisonnement ? Je viens juste de sortir de prison et ne peux donc porter de regard objectif sur tout ce qui m'entoure. Il est clair que plusieurs avancées ont été réalisées, mais il me faudrait quand même du temps pour en juger de mes propres yeux.