Le Kurdistan irakien est en train de se transformer en théâtre d'opérations de l'armée turque qui menace d'intervenir en Irak pour détruire les infrastructures qui alimentent la rébellion kurde. Pour une administration Bush en fin de parcours, les mauvaises nouvelles en provenance du front irakien s'accumulent. La dernière fournée n'est l'œuvre ni de Syriens retors ni d'Iraniens manipulateurs comme les accusent à souhait la Maison-Blanche, mais des Turcs dont l'amitié pour Washington et l'alliance avec son administration sont devenues légendaires malgré leurs nombreuses convulsions islamistes. Le Kurdistan irakien, frontalier avec la Turquie, était la province modèle, louée par la hiérarchie du Pentagone comme l'exemple à suivre. Les éditorialistes de la presse américaine se pâmaient régulièrement d'admiration devant ce qui ressemble à un havre de paix tandis que les flammes de l'enfer et de la guerre civile s'abattaient sur les autres régions sunnites et chiites d'Irak. Ce Kurdistan irakien est en train de se transformer en théâtre d'opération de l'armée turque, qui sous prétexte de faire la chasse aux militants du PKK (parti séparatiste des travailleurs du Kurdistan) bombarde leurs bases et menace d'intervenir militairement en Irak pour détruire les infrastructures qui alimentent la rébellion kurde. La menace était tellement sérieuse que la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice en visite chez Vladimir Poutine pour tenter de le convaincre de changer de position sur la crise du nucléaire iranien, s'est crue obliger de dépêcher deux de ses plus proches collaborateurs : le secrétaire d'Etat adjoint Dan Fried et le sous-secrétaire à la Défense Eric Edelman, auprès du président Abdullah Gul et du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Objectif de cette mission, dissuader les Turcs de mettre leur grain de sel dans le bourbier irakien. En fait, la récente tension entre Ankara et Washington n'est pas le fruit de quelques escarmouches entre les militants du PKK et les soldats turcs à la frontière du Kurdistan irakien. Elle est le produit d'une très méchante humeur turque depuis qu'une commission au sein du congrès a adopté un texte qui reconnaît comme un génocide les massacres d'Arméniens après 1915 qui auraient fait plus de 1,5 million de morts. Pour mémoire, la France avait déjà voté une loi similaire en 2001, avant de la durcir en 2006 en pénalisant la négation du génocide arménien. Ce qui avait le don de provoquer l'ire d'Ankara. Ce texte a suscité une vive polémique entre républicains et démocrates. Le leader de l'opposition républicaine au Congrès décrivait une telle résolution, si elle venait à être votée en séance plénière comme «la chose la plus irresponsable jamais faite par ce nouveau Congrès cette année», le tout après avoir qualifié «la Turquie de très important allié dans la guerre contre le terrorisme». Ce coup de sang républicain est loin d'atteindre l'intensité de la réaction turque. Le chef d'état-major de l'armée turque, le général Yasar Buyukanit, n'y va pas par quatre chemins : «Si la résolution, qui a été votée en commission est adoptée par la Chambre des représentants, nos relations dans le domaine militaire avec les Etats-Unis ne seront plus jamais les mêmes». L'allusion est faite à la possible remise en cause de la coopération militaires entre Turcs et Américains au sein de l'OTAN et à l'usage gracieux et stratégique que l'armée américaine fait de la base aérienne d'Incirlik. Le président turc Abdallah Gul semble avoir une partie sensible à jouer avec ses alliés américains. Son alliance avec Washington est sous haute tension. Il sait que son pays, quel que soit le président américain, est une pièce maitresse, non seulement pour soutenir la guerre contre le terrorisme et l'intervention des forces américaines dans la région , mais aussi dans toute stratégie de sortie de crise que le Pentagone pourrai mettre à l'œuvre pour extraire les soldats américains du bourbier irakien. A l'heure où la partition de l'Irak semble devenir une religion qui gagne les esprits les plus rationnels, les petits gestes et grandes décisions des deux têtes de l'exécutif turc, d'Abdallah Gul et Tayyip Erdogan, seront scrutés par des pays voisins de l'Irak, comme l'Arabie Saoudite, l'Iran ou la Syrie pour qui la déstabilisation de l'Irak est depuis longtemps une affaire de sécurité nationale. Ces pays suivront de très près les débats au Parlement turc qui s'apprête à débattre de l'opportunité d'accorder le feu vert à l'armée turque d'intervenir militairement en Irak.