Le journalisme, ce n'est pas vannes et écluses ouvertes. «Jib à foum ou ghoul» comme disait ma mère. Quand l'injure devient style ! Quand la phrase blessante devient jubilation ! Quand le texte devient revanche ! Ce n'est pas du journalisme qu'il faut désespérer, c'est des lecteurs qui le plébiscitent qu'il faut se méfier et c'est sur ses lecteurs qu'il faut s'interroger. Il faudra s'atteler, un jour, à évaluer la place de la presse écrite dans la fluidité de la transition démocratique et dans l'édification du projet de la société marocaine. Le débat sur le code de la presse, enfermé entre contempteurs et zélateurs, aurait pu être une occasion rêvée pour une bonne chamaillerie sur la déontologie journalistique. Ce fut une occasion ratée. Quelles que soient les bornes érigées par le législateur, elles ne pourront jamais remplacer les limites indolores dressées par l'éthique journalistique. Avec, au minimum, deux exigences impérieuses : la vérification des sources d'une info et le respect de la vie privée. Sur la seule base de ces deux critères, consubstantiels au métier, on peut dire, sans risque, que les serviettes, dans le kaléidoscope journalistique marocain, sont beaucoup moins nombreuses que les torchons. Et puis, il y a cette dichotomie, artificielle et entretenue, entre presse indépendante et presse partisane. Epuisante guerre de tranchées. Indépendants ! «Vous n'êtes que de fieffés mercantiles», disent les uns. Partisans ! «Vous resterez à jamais serviles», leur répondent en écho les autres. Ridicule ! N'est-ce pas. Cette césure n'est-elle pas, elle-même, obsolète ? Le traitement des attentats de Casablanca, par exemple, a donné lieu à un déluge de photos trash et racoleuses non pas dans la presse dite indépendante et donc mercantile, mais dans la presse des partis qui louchaient plus sur le tirage que sur les consciences. Les missives publiées dans Assahifa ou Al Ousbou n'attestent-elles pas que la course au scoop peut aboutir à la syncope? Dans les démocraties dignes, ce type d'erreurs ne donne pas lieu à des excuses mais à des démissions ou des scandales. Le traitement de l'affaire Rakia ou les photos des adolescentes du cyber de Taounat n'ont-elles pas manqué de décence avant la prudence due au respect à la vie privée ? Particulièrement pour les plus faibles. Affaires de législateur ou de la profession ? Et puis l'écriture. Le journalisme, ce n'est pas vannes et écluses ouvertes. «Jib à foum ou ghoul» comme disait ma mère. Quand l'injure devient style ! Quand la phrase blessante devient jubilation ! Quand le texte devient revanche ! Ce n'est pas du journalisme qu'il faut désespérer, c'est des lecteurs qui le plébiscitent qu'il faut se méfier et c'est sur ses lecteurs qu'il faut s'interroger. Enfin, il y a ce nouveau snobisme qui fait du darijisme œuvre d'authenticité et d'excellence. Darija, c'est bien. C'est populo. Il y a, toutefois, cette ligne ténue et fragile entre le populo et le vulgaire. Elle s'enjambe facilement. On tombe alors dans une espèce anarcho-populo-archaïsme. La vulgarité, exercice facile, peut aider à convaincre, voire à vaincre. Mais c'est le débat qui en sort blessé. La vulgarité est très accessible parce que platitude. Elle rampe quand l'écriture veut marcher. Et c'est l'instinct qui prend le pas sur l'esprit parce que la vulgarité reste lorsqu'on a perdu toute culture. Loin du nombrilisme abîmé ou de l'éjaculation contrariée, le journalisme doit d'abord être une exigence. Et sur ce point, au Maroc, il y a comme un malentendu.