Il y a une nuance à apporter, le bâtiment et les grands travaux ont effectivement dopé le taux de croissance et créé une surchauffe qui peut donner lieu à une réduction du chômage. Lors de «l'audition» du ministre des Finances à Hiwar, plusieurs sujets à controverse ont été soulevés. L'épisode «fortune personnelle» n'a aucun intérêt, la preuve c'est que la campagne a continué de plus belle. Le dénigrement, la diffamation, Fathallah Oualalou les a subis tout au long de sa carrière avec dignité faut-il souligner. Au lieu de focaliser sur ces bassesses on aurait pu initier un vrai débat public autour des évaluations et projections de l'USFP, puisque c'est au nom du parti que Oualalou intervenait. Pour précision, si ma mémoire ne me trahit pas, l'USFP a voté contre la loi sur les privatisations de 1989 et ce au niveau de la sauvegarde des secteurs prétendement stratégiques. Il est donc faux de dire que l'USFP n'a jamais été contre la privatisation, sauf si le ministre parlait de convictions personnelles. L'important est cependant ailleurs, il est dans les chiffres et projections annoncés. A commencer par l'emploi, l'Istiqlal veut créer 1,3 million d'emplois, USFP et PPS renchérissent à 2 millions, plus que ce qui a été fait depuis le gouvernement d'alternance. Alors sommes-nous devant un «Demain on rasera gratis» ? Il y a une nuance à apporter, le bâtiment et les grands travaux ont effectivement dopé le taux de croissance et créé une surchauffe qui peut donner lieu à une réduction du chômage. Il reste que s'inscrire dans une logique de période de croissance soutenue, c'est aller un peu trop vite en besogne. Hors logement social, l'immobilier est proche de la fin du cycle, en tous les cas on ne peut parier sur le même dynamisme pendant cinq ans encore. La raison en est simple : les prix et les limites de la réserve foncière vont réduire les opportunités. Par ailleurs, le tourisme va souffrir d'un fait religieux : le Ramadan. Celui-ci va commencer un cycle de 7 ans où il perturbera fortement la saison estivale. La manière de vivre le mois sacré est incompatible avec le tourisme. Enfin par rapport aux autres secteurs, il y a une dépendance vis-à-vis des marchés traditionnels qui devrait atténuer les certitudes. Il existe bien un réservoir d'emplois qui nécessite de la créativité : l'artisanat, mais jusqu'ici on ne prend pas sa problématique par le bon bout: la nécessité d'un organe de l'Etat pour accompagner les artisans, en amont par l'implication de designers et en aval par la recherche de nouvelles niches. Ce qui me gêne c'est l'approche taux de croissance égal développement. Il y a 10 ans, on nous annonçait qu'avec un taux de croissance de 7%, tous nos problèmes seront résolus, aujourd'hui rien qu'avec 5% on créera 2 millions d'emplois, on réduira le nombre des pauvres de moitié et on doublera le revenu par tête d'habitant. Ce modèle «mathématique» est livresque, il singe des raisonnements valables dans les économies industrialisées. D'ailleurs, l'une des des questions posées en France par exemple est que la croissance ne fait pas reculer le chômage. La comparaison ne tient pas la route parce que l'économie marocaine n'est pas intégrée et que le taux de croissance n'est pas diffusé dans l'économie avec la même fluidité qu'ailleurs. C'est pour cela qu'au Maroc, l'Etat a encore un rôle important à jouer. Annoncer donc autant de «bonnes nouvelles», c'est reprendre les vieilles habitudes qui avaient amené l'USFP à réclamer un SMIG à 5000 DH il y a dix ans, il n'atteint même pas 2000 DH aujourd'hui. Sur la question de la solidarité, Oualalou s'en remet totalement à l'INDH et il est socialiste ! La réduction de la pauvreté de moitié n'est pas chose aisée, elle devient chimérique quand cette volonté ne s'appuie pas sur les deux armes de l'Etat : la fiscalité et le service public. Car enfin, la misère serait plus supportable si les malades étaient pris correctement en charge et si les enfants avaient accès à une école intégratrice et jouant à plein son rôle d'ascenseur social. C'est d'une réforme de fond que le pays a besoin pour éviter que la crise sociale ne se transforme en crise politique. Les effets d'annonce peuvent avoir des conséquences inverses à celles projetées et démobiliser fortement quand le «paquetage» n'est pas un projet global, ce qui n'enlève rien au mérite des partis qui veulent lancer ce débat.