La situation aurait demeuré sous contrôle si Moqtada Sadr était un chef de parti politique traditionnel. Or, il est aussi un redoutable homme de guerre à la tête d'une armée de soixante mille hommes fanatisés et dévoués. D'un simple clic de souris comme dirait aujourd'hui le langage jeune, le religieux radical chiite Moqtada Sadr a plongé l'exécutif irakien que dirige Nouri al-Maliki dans une zone de turbulences politiques dangereuses en ordonnant le retrait de ses ministres du gouvernement. Par ce geste spectaculaire, le jeune Moqtada, icône de la rébellion irakienne contre l'occupation américaine et de la vengeance chiite contre les sunnites irakiens, une sorte de «Che» enturbanné de la galaxie chiite post Saddam, a démontré encore une fois sa réputation de faiseur de rois et de démolisseur de statues. Le landerneau irakien a encore en mémoire sa capacité d'arracher, presque au sabre, 32 sièges au Parlement irakien lors des dernières élections et de configurer à sa guise la physionomie du gouvernement, alors qu'il vivait en semi-clandestinité, traqué en permanence par les snipers mercenaires de l'armée américaine. L'objet de la rupture qui s'annonce entre Moqtada Sadr et le gouvernement de Nouri al-Maliki est le refus de ce dernier d'exiger des Américains un calendrier de retrait de leur 140.000 hommes pour mettre fin à l'occupation de l'Irak comme l'ont bruyamment exigé les manifestations-monstres qui avaient célébré le quatrième anniversaire de la chute de Saddam Hussein. Le bras de fer entre les deux hommes n'est pas à ses débuts. Le souvenir est encore frais dans les mémoires de ce psychodrame qui s'est joué en novembre 2006 en Jordanie quand Moqtada avait tenté par tous les moyens d'empêcher une rencontre au sommet entre le président Bush et Nouri al-Maliki. La rencontre avait, dans un premier temps, été annulée avant d'être reprogrammée et tenue dans des conditions rocambolesques qui confinaient à l'indignité comme l'écrivait cruellement la presse américaine de l'époque. La situation aurait demeuré sous contrôle si Moqtada était un chef de parti politique traditionnel. Or, Moqtada Sadr, en plus de ses prétentions à devenir une référence religieuse chiite unique, est un redoutable homme de guerre à la tête d'une armée de soixante mille hommes fanatisés et dévoués. Maintes fois brandie, Moqtada Sadr avait mis sa menace à exécution cette fois dans un contexte où il n'aura échappé à personne la détérioration manifeste des relations entre Nouri al-Maliki et le régime iranien. Le 8 avril, Téhéran avait subitement interdit à l'avion du Premier ministre irakien en partance pour le Japon de survoler son territoire. Moqtada illustre à lui seul les énormes contradictions politiques et militaires de l'Administration Bush en Irak. Considéré par l'intelligentsia militaire américaine comme une marionnette du régime iranien en Irak à tel point que de nombreux observateurs, même parmi les plus proches des cercles du pouvoir, s'interrogeaient publiquement sur la tolérance excessive de l'armée américaine à l'égard des forces de nuisances de Moqtada notoirement connu pour ses exactions contre les sunnites, sa propension au nettoyage ethnique et l'affrontement confessionnel. Alors que les pertes américaines en Irak augmentent avec la régularité d'un métronome, que le débat fait rage à Washington entre la Maison-Blanche et les démocrates du Congrès sur la nécessité d'établir un agenda de retrait, («Dans cette guerre vitale, nous ne devons pas faire de la défaite un projet de loi», dixit Bush), la décision de Moqtada d'affaiblir l'exécutif irakien sur lequel Georges Bush a parié toute sa fortune est un incontestable tournant. Même si Nouri al-Maliki et la Maison-Blanche avaient accordé leurs violons en affirmant que ce retrait ne bouleverse pas fondamentalement l'équation politique irakienne, tant que le mouvement de Moqtada reste au sein de la coalition parlementaire chiite (l'Alliance unifiée irakienne), il n'en demeure pas moins qu'un énorme pas a été franchi qui inscrit la question du calendrier de retrait au cœur de la crise irakienne. Aujourd'hui, cette question, qui mobilise des démocrates, violemment opposés à G. Bush à Washington, travaille une opinion américaine inquiète de l'impasse et des pertes en augmentation. L'incontournable Monsieur Moqtada vient de siffler la fin de la partie « US must go home ».