Contre cette situation, la gauche marocaine peut-elle quelque chose ou plus exactement peut-elle encore quelque chose ? Ainsi posée, la question pourrait n'induire qu'une réponse négative. Ce qui serait injuste aussi bien qu'une erreur. Endosser à la seule gauche la responsabilité du change à l'islamisme reviendrait à réduire le combat de toute une société à une sensibilité politique qui est loin d'être majoritaire dans le pays. Pas plus tard que vendredi dernier, deux jours avant l'attentat presque manqué de Casablanca, Jamal Berraoui poussait un coup de gueule contre la gauche marocaine dont l'attitude envers l'intégrisme lui parait timorée. C'est tout un débat. J'y reviendrai plus loin. Il n'empêche de reconnaître que depuis le 16 mai 2003, Jamal Berraoui est habité quasi exclusivement par la crainte de voir l'intégrisme s'installer ou se banaliser dans notre quotidien. Les derniers événements sont venus confirmer ses craintes, la crainte de la majorité la plus signifiante au Maroc, devrais-je dire. Il y a donc une formule consacrée pour parler de l'attentat du 11 mars : il n'est pas fait pour nous étonner. Ce dont il faut s'étonner c'est qu'il ne se soit pas produit plutôt. Un peu de baraka et beaucoup de travail policier ne sont pas étrangers à ce miracle. Dans le collimateur de l'islamisme dans ce qu'il a de plus sanguinaire et bestial, le Maroc est ciblé pour son choix de système et pour celui de ses alliances internationales. Deux faits sont à relever : le 11 mars comme au 16 mai, les attentats ont coïncidé avec un événement qui touche au premier chef la famille royale et le peuple marocain. Histoire de gâcher la fête bien sûr, mais aussi d'atteindre au symbole. Ce n'est peut-être qu'un hasard, mais ce qui ne l'est pas par contre c'est qu'à chaque fois quelque chose foire dans l'exécution de l'agression, chaque fois un kamikaze faillit et se fait prendre vivant, ce qui est soit dit en passant très rare. Sinon les explosions de 2003 auraient été autrement plus meurtrières et celle de la semaine dernière sans commune mesure avec la tragédie qui s'est nouée, s'est dénouée serait plus juste, au cyber de Sidi Moumen. Contre cette situation, la gauche marocaine peut-elle quelque chose ou plus exactement peut-elle encore quelque chose ? Ainsi posée, la question pourrait n'induire qu'une réponse négative. Ce qui serait injuste aussi bien qu'une erreur. Endosser à la seule gauche la responsabilité du change à l'islamisme reviendrait à réduire le combat de toute une société à une sensibilité politique qui est loin d'être majoritaire dans le pays. Est-ce les relents du trotskisme dont il se revendique gauchement, mais Jamal Berraoui se laisse piéger dans une attitude sectaire qui élimine de la résistance tous ceux, très nombreux, qui ne se reconnaissent pas dans la gauche marocaine mais que l'islamisme horripile. La lutte contre l'intégrisme est une affaire trop sérieuse pour la confier à une idéologie désormais sans utopie. Pire, dont l'utopie a été recyclée par l'islamisme. Il n'y a même plus lieu d'en parler, mais les applications, soviétiques, maoïstes… qui ont été faites du marxisme ont échoué. Cependant, les raisons qui ont un temps fait prospérer l'utopie socialiste demeurent. Ce sont elles que l'islamisme a reprises à son compte. Au rêve d'un monde meilleur s'est substitué le rêve du paradis. Il en découle une énorme première difficulté : avec quoi faire patienter les impatiences de ceux qui regardent les autres vivre ? La deuxième difficulté réside dans «l'endogamie» de l'islamisme. Il féconde, stérilise serait ici plus approprié, son propre clan contrairement à l'idéal socialiste exogène à nos contrées. D'où la nécessité de poser la bonne question. Non pas celle de Jamal Berraoui, «qu'est-ce que c'est être de gauche au Maroc», mais qu'est- ce que c'est ne pas y être islamiste ?