Des Marocains se laissent mourir parce qu'ils n'ont pas les moyens d'accéder à un centre de soins. En face le discours sur le rendement, la rentabilité apparaît d'un cynisme barbare. Cette fois, ce n'est pas au sommet d'une montagne que le froid a frappé mais à 100 km de Casablanca, dans ce nulle part dénommé Ben Ahmed, qui nous a tout de même donné les Amhal, Amaoui, Nejmi et bien d'autres. A cent kilomètres de la capitale économique, deux fillettes ont perdu la vie à cause du froid. Mettre ces morts sur le dos de la fatalité ou le jeu des statistiques serait irresponsable. Or, c'est exactement la posture que prennent certains responsables. L'attitude correcte, humainement, socialement, politiquement, c'est d'abord de s'incliner en hommage aux 25 victimes du froid. Ensuite, il faut se poser réellement la question de l'exclusion de régions entières. Ce n'est pas sous ma plume que le nihilisme ou son corollaire le populisme fleuriront. Depuis une décennie, de véritables efforts sont faits pour assurer le désenclavement et rapprocher les populations des services de base. Mais soit ces efforts sont insuffisants, soit ils sont mal ciblés, ce qui est possible puisque l'Education nationale «bouffe» plus du quart du budget pour former des analphabètes dans les deux langues. La réalité incontournable est que des centaines de milliers de Marocains manquent de tout. Pour se rendre compte de leur détresse, il suffit à tout parent d'imaginer que son fils ou sa fille est mort parce qu'il n'a pas les moyens de débourser 20 DH par jour en frais de chauffage. Nos réussites par ailleurs, relatives mais réelles, perdent tout intérêt face à cette détresse-là. Les solutions actuelles ont deux limites : les moyens et l'étalement dans le temps. Il est clair qu'il faut un véritable mouvement de solidarité nationale et non du caritatif en faveur des populations les plus démunies. Une sorte de plan Marshall en quelque sorte financé par les impôts. La solidarité nationale s'exprime par la fiscalité, pas par le mécénat. Il faut savoir en finir par l'évaluation «économiciste» des projets. Des femmes meurent à l'accouchement juste parce que le bébé se présente par le siège et que l'hôpital le plus proche est à 150 km et que les routes sont impraticables. Des Marocains se laissent mourir parce qu'ils n'ont pas les moyens d'accéder à un centre de soins. En face, le discours sur le rendement, la rentabilité apparaît d'un cynisme barbare. Toute la politique de proximité devrait être centralisée en vue d'assurer la cohésion des projets et surtout leur efficience. Il ne sert à rien de construire un centre de santé ou une école eux-mêmes inaccessibles dès qu'il pleut. Encore faut-il que cette politique existe en dehors des discours et du saupoudrage face à l'urgence. Il y a 10 ans, un ministre avait fait publiquement une proposition qu'il serait peut-être judicieux de discuter. Il avait proposé la suppression de la Caisse de compensation et l'affectation des fonds, près de 5 milliards DH par an, à la mise à niveau du monde rural. Est-ce que le pauvre des faubourgs de Casablanca acceptera de payer plus cher son pain, sachant que l'Etat s'occupe de son cousin resté au bled et beaucoup plus pauvre que lui? L'en convaincre est le rôle des politiques porteurs de projets et créateurs de sens. Sur ce front, la misère est encore plus frappante, mais elle tue la politique pas ses acteurs, bien heureusement d'ailleurs. La noblesse de la chose publique devrait aboutir à ce que le combat contre l'exclusion soit au centre de la campagne électorale. Ce n'est pas le cas. Que chacun en tire ses propres conclusions.