Une réserve cependant : personne ne peut affirmer sans risquer le ridicule que le vrai – faux départ d'Aboubakr Jamaï est le produit d'une menace sur la liberté d'expression au Maroc. Aboubakr Jamaï en quittant la direction du Journal-Hebdomadaire a-t-il tiré sa révérence ? Rien n'est moins sûr. Les articles qui ont précédé et suivi le départ, la grandiloquence du propos, l'éditorial d'explication et ses clauses de style, la conférence de presse et ses effets de manche, toute la mise en scène indique que nous sommes en présence d'une sortie qui ressemble bien à une rentrée. Il y a longtemps que le fondateur du Journal a quitté la peau du journaliste pour se fondre dans les bottes du Zaïm. Je n'ai aucune intention de discuter les choix éditoriaux du Journal, ses positions et ses postures. Dans l'espace des débats marocains, il y en a pour tout le monde et pour tous les goûts. Une réserve cependant : personne ne peut affirmer sans risquer le ridicule que le vrai – faux départ d'Aboubakr Jamaï est le produit d'une menace sur la liberté d'expression au Maroc. L'existence du Journal en est l'infirmation permanente que son fondateur confirme en proclamant sa fierté de laisser derrière lui sa belle aventure vivante. Y a-t-il lieu de rentrer dans la querelle sur l'estimation des amendes, élevées ou pas, infligées à l'hebdo pour diffamation ? Aucune utilité si ce n'est pour dire que la femme de César se doit d'être irréprochable. Pompéïa de son prénom, en allant à la rencontre adultère du charmant Claudius, se devait de prendre toutes les précautions… Raisonnement par l'absurde : supposons un instant que Claude Moniquet qui vaut au directeur du Journal 3 millions DH, en établissant son étude sur la déliquescence du Polisario, a travaillé pour l'Etat marocain. Dans l'affrontement larvé du Maroc avec l'Algérie et le Polisario ce ne serait que de bonne guerre. Au nom, donc, de quelle mission divine ou de devoir temporel, et pour quels intérêts le Journal se devait-il de chercher à en démonter le mécanisme ? Depuis trente ans, Alger n'a reculé devant aucun moyen, aucune désinformation, aucune manipulation, aucun achat de conscience pour réduire le Maroc. Pourquoi le Journal n'a-t-il jamais cherché à en dévoiler les dessous ? A qui profite l'omission ? Comme souvent dans ce domaine, on n'a pour réponse que son intime conviction. Un mort et l'autre à l'agonie. L'abbé Pierre et Gabriel Garcia Marquez. Le prix Nobel de la littérature, à l'article de la mort, a adressé une lettre d'adieu à ses amis qui l'ont mise sur Internet. On l'achève une boule dans la gorge. Autant l'abbé, dès l'âge de 17 ans, avait hâte de mourir pour rejoindre son créateur, autant l'auteur de «cent ans de solitude» se demande dans son épître si Dieu ne lui offrirait pas «un morceau de vie.» Il apprendrait alors aux hommes «qu'un homme n'a le droit d'en regarder un autre de haut que pour l'aider à se lever», et dirait tous les jours à tous ceux qu'il aime «je t'aime, sans présumer bêtement qu'ils le savent déjà.» La France a dit merci à l'abbé Pierre pour toute son humanité. La même France oublie que tout aussi unanime, elle, l'avait condamné à la réclusion "volontaire" par une humiliation sans retenue. Ce monumental refuge des sans domicile fixe avait «osé» en 1996 soutenir Roger Garaudy traîné dans la boue et devant la justice pour son ouvrage criant de vérités «les mythes fondateurs de l'Etat d'Israël.» On l'a pris ainsi dans le piège des frontières voulues indéfinissables et mouvantes entre l'antisémitisme et l'antisionisme. Ce Chrétien à part n'en est pas moins resté imperméable aux préoccupations propres à la judéo-chrétiénté pour le Moyen-Orient. Dans son livre testament, «mon Dieu… pourquoi ?»*(voir page 7) il écrit : «Je viens de relire une encyclopédie sur vingt siècles de christianisme, et j'ai été frappé de découvrir ce qu'ont vraiment été les croisades. Derrière le prétexte de vouloir libérer les Lieux saints et de permettre aux pèlerins de s'y rendre en sécurité, s'est mise en place une gigantesque entreprise de domination, de pillages, de massacres atroces […] C'est pourquoi je m'interroge sur la « croisade», ce sont ses propres mots, que George Bush est en train de mener au Moyen-Orient». (*) Plon (octobre 2005)