Au lieu de se plaindre tout le temps, la majorité gouvernementale ferait mieux d'appliquer les lois existantes. Tel est l'avis de Mohamed Abied, secrétaire général de l'Union Constitutionnelle. ALM : Estimez-vous que la démission de neuf députés pour tenter leur chance à la deuxième Chambre est une initiative acceptable ? Mohamed Abied : Même si ce phénomène que nous blâmons fortement n'a pas affecté les rangs des députés de l'Union Constitutionnelle, je peux vous assurer qu'il représente, à nos yeux, une transgression grave des règles les plus élémentaires de l'éthique politique et démocratique et une atteinte au principe de l'égalité des chances. Il est inadmissible que la noble et lourde mission de représentation des citoyens soit détournée pour servir des intérêts et des ambitions strictement personnels. Démissionner est certes un acte libre, que le législateur a prévu pour des cas et des situations à caractère exceptionnel. Mais ce qui se passe relève de l'exploitation malsaine d'un droit, Il y a donc un vide juridique qu'il faut combler avant que l'on assiste à une nouvelle forme d'exode parlementaire qui risquerait de discréditer davantage l'ensemble du processus électoral. D'ailleurs, je me demande si les députés démissionnaires ont pris leur décision sur la base d'un calcul préalable des voix que leurs partis détiennent par régions et par collèges ou s'ils comptent utiliser d'autres "moyens" beaucoup plus sûrs selon eux. Nous verrons! Plusieurs indicateurs laissent deviner qu'une bonne partie des candidats du scrutin du 8 septembre use de moyens illégaux en pré-campagne électorale, qu'en pouvez-vous nous dire dans ce sens ? Oui, malheureusement. Mais il n'y a pas que les candidats qui usent de moyens illégaux en pré-campagne électorale, les membres du gouvernement aussi. Quand un ministre règle le calendrier des visites qu'il compte effectuer aux provinces et régions avec l'échéance électorale pour aller régler les problèmes, distribuer les autorisations, avantages et autres agréments, cela constitue une pratique illégale qui doit être pareillement condamnée. Le trafic d'influence est aussi une politique illégale. Certains partis au gouvernement l'ont utilisé cependant de manière quasi flagrante. Je citerais comme exemple le nombre de candidats qui n'avaient aucun lien avec ces partis et qui occupent aujourd'hui les têtes de leurs listes. Le ministre de l'Intérieur a minimisé la portée des cas de fraude relayés par la presse. Quel commentaire faites-vous de la réaction de Chakib Benmoussa ? Le ministre de l'Intérieur fait partie de la majorité gouvernementale. Cette même majorité essaie de crier plus fort que tous les autres pour mettre en garde contre la fraude électorale à tel point qu'un responsable administratif a été relevé de ses fonctions au sein d'une préfecture après sa dénonciation par un parti au gouvernement. Franchement, je me demande à quel jeu joue la majorité gouvernementale. C'est elle qui assume la responsabilité de ce qui se passe et en même temps, elle essaie de se faire passer pour victime. Son rôle n'est-il pas de produire les actes et les solutions convenables pour résoudre les problèmes au lieu de se contenter de les médiatiser ? Pour nous, le problème est dans le camp de la majorité. Il faut trouver les fraudeurs là où ils sont et quel que soit le camp auquel ils appartiennent. C'est là la tâche du ministère de l'Intérieur et du ministère de la Justice. Cette tâche doit être accomplie au-delà des intérêts et des positionnements politiques. Plusieurs membres influents issus de diverses formations politiques ont claqué la porte de leurs partis faute d'avoir eu les accréditations de ces derniers. Cela ne discrédite-t-il pas davantage les partis et la politique en général ? Je souligne d'abord que, Dieu merci, nous n'avons pas connu des cas pareils à l'Union Constitutionnelle, mais cela n'empêche que de tels comportements dénotent d'un manque de discipline au sein des partis politiques qu'il faudrait désormais résoudre. D'un autre côté, nous sommes pour la réglementation de l'acte de candidature au Parlement. Le postulant à ce poste doit remplir un certain nombre de conditions vis-à-vis du parti qui l'accrédite dont, notamment, l'exigence d'une durée minimum d'adhésion avant d'acquérir ce droit. Je pense que nous vivons un phénomène particulier qui risque d'aggraver la balkanisation du champ politique et d'affaiblir davantage l'impact de l'institution partisane sur la démarche démocratique en général. Pour vous, quelle est la responsabilité du gouvernement dans tout cela ? Le gouvernement n'a pas d'autre choix que d'assumer pleinement ses responsabilités. Il y va de l'avenir de la pratique démocratique dans notre pays. Personnellement, je ne trouve pas normal qu'un pays se trouve devant une situation où le ministre responsable et la majorité gouvernementale ne font que se plaindre, alors qu'il y a des lois qui n'attendent qu'à être appliquées avec rigueur et impartialité. Il n'y a pas d'autre manière de voir les choses. Croyez-vous que le retour au monocaméralisme et l'abolition de la deuxième Chambre soient une solution adéquate pour mettre fin à ce genre de dérives ? Les dérives sont le résultat de l'existence de pratiques malsaines. Les fraudeurs existeront avec le monocaméralisme ou le bicaméralisme tant que les mentalités ne changent pas. Je continue à croire que l'un des moyens de corriger ces pratiques et d'atténuer ces dérives n'est autre que l'application continue de la loi. Nous avons tendance à tout focaliser sur le politique en tant que tel, alors que la politique n'est que l'un des moyens pour améliorer le social et l'économique. C'est pour cette raison qu'il y va de l'intérêt de tous d'appréhender l'étape que nous vivons actuellement dans ses vraies dimensions d'épanouissement et de développement. Quant à la question du sort de la deuxième chambre, il faut la lier plutôt avec notre vision commune du processus de régionalisation en tant que facteur de bonne gouvernance et la détacher complètement de celle des pratiques délictueuses.